Par Jean-Pierre Mbelu
Le marché naissant en Afrique orientale et australe au mois de juin est une poursuite de la cannibalisation de l’Afrique entreprise à Berlin en 1885. Il faut lui opposer une intégration politique alternative. Il n’y a pas d’autre choix. Il faut une coalition d’acteurs (pas de politicards) décidée à créer des réseaux panafricains et transcontinentaux ; une coalition d’acteurs visionnaire et capable de jouer le rôle du levain pour lever la pâte des masses critiques en les structurant. Il y va du travail de reconquête de l’indépendance et de la souveraineté réelle de l’Afrique. Un travail des acteurs et non pas celui des ‘’nègres de service’’.
L’adverbe ‘’officiellement’’ utilisé dans le titre de cet article voudrait indiquer, en filigrane, qu’’’officieusement’’, le Congo-Kinshasa comme plusieurs autres pays africains sont des ‘’créations néocoloniales et impérialistes’’. Leurs indépendances politiques furent beaucoup plus formelles que réelles. La cannibalisation de l’Afrique à la Conférence de Berlin en 1885 perdure après ces indépendances formelles. Au sortir de la deuxième guerre mondiale, en effet, « les puissances impérialistes ont (…) décidé d’opérer un transfert formel de pouvoir aux classes « autochtones », qu’elles avaient elles-mêmes créées et qu’elles continuaient de dominer par la violence symbolique. »[1]
Le mode opératoire des impérialistes et colonialistes
Ce transfert n’a pas permis à plusieurs pays africains de s’édifier comme des nations fortes politiquement, économiquement, culturellement, spirituellement et socialement. Pour dire les choses autrement, l’impérialiste et le colonisateur se sont gardés de brader leurs intérêts politiques, économiques, militaires et financiers sur le continent.
Quel a été leur mode opératoire avant de procéder au transfert du pouvoir formel à leurs anciens dominés ? Par le biais de leurs services secrets, ils « ont procédé à de vastes épurations, à des séries d’assassinats ciblés, afin d’éliminer physiquement les principaux dirigeants des mouvements nationalistes. »[2] Citons-en quelques-uns et les dates de leur élimination physique : le Centrafricain Barthélemy Boganda en 1959, le Camerounais Félix-Roland Moumié en 1960, le Congolais Lumumba en 1961, le Ghanéen Kwame Nkrumah en 1966, le Bissau-guinéen Amir Cabral en 1973, etc.
L’impérialiste et le colonisateur se sont gardés de brader leurs intérêts politiques, économiques, militaires et financiers sur le continent. Quel a été leur mode opératoire avant de procéder au transfert du pouvoir formel à leurs anciens dominés ? Par le biais de leurs services secrets, ils ont procédé à de vastes épurations, à des séries d’assassinats ciblés, afin d’éliminer physiquement les principaux dirigeants des mouvements nationalistes.
A quoi cette criminalité d’Etat a-t-il servi ? En effet, écrit Jean Ziegler, « cette criminalité d’Etat fut implacable : il fallait, à tout prix, éliminer les leaders nationalistes authentiques afin de remettre le ‘’pouvoir’’ à des ‘’élites’’ autochtones préparées, suscitées et contrôlées par le colonisateur. »[3] Ces élites compradores n’ont pas permis au Congo-Kinshasa et à plusieurs pays africains de créer ‘’une bourgeoisie patriote’’ capable de porter la lutte d’émancipation politique initiée par les Pères des indépendances formelles.
A ce point de notre réflexion, il y a déjà lieu de répondre à la question récurrente du ‘’que faire ? ‘’. Il faut maîtriser l’histoire de la cannibalisation de l’Afrique à partir de la Conférence de Berlin et en faire la chose la plus partagée avec les masses populaires africaines en vue de les transformer en masses critiques. Il appartient aux intellectuels organiques et structurants congolais et africains d’abattre ce travail titanesque à temps et à contretemps.
L’amnésie est nuisible à la construction d’une conscience nationale et d’un imaginaire alternatif
Il y va de l’entretien de la mémoire collective contre l’amnésie. Et celle-ci est nuisible à la construction d’une conscience nationale et d’un imaginaire alternatif.
Plusieurs penseurs africains estiment qu’il est même important de remonter, en étudiant Cheikh Anta Diop, jusqu’à l’Egypte ancien dans un travail de déformatage et de reformatage des identités africaines détruites par ‘’le fascisme extérieur’’ avec la complicité des ‘’nègres de service’’ intérieurs.
En effet, le décervelage entretenu au cours des périodes esclavagiste, coloniale néocoloniale et impérialiste à travers la famille, l’école, l’université et l’église a provoqué, chez un nombre important de Congolais(es) et d’Africain(e)s, la peur d’être soi, l’apathie, le servilisme, le larbinisme, la soumission et l’esclavage volontaire rendant difficile la production ou la structuration d’un imaginaire alternatif créateur d’une autre Afrique possible.
Il y a là comme une urgence de mener une bataille des idées indispensable à la re-création de l’humain en Afrique. Une autre école, une autre université et une autre église (orientée dans le sens de la théologique de la libération par exemple) devraient, entre autres, y participer.
Les exceptions confirment la règle. Il y a là comme une urgence de mener une bataille des idées indispensable à la re-création de l’humain en Afrique. Une autre école, une autre université et une autre église (orientée dans le sens de la théologique de la libération par exemple) devraient, entre autres, y participer.
Cette bataille des idées pourrait être portée prioritairement (et/ou concomitamment) par des structures et des organisations d’intégration politique, culturelle et de sécurité, fruits des Etats souverains sociaux et de droit. Ici, l’un des modèles à étudier (et peut-être à imiter) est celui des pays latino-américains tels que le Venezuela, le Cuba, la Bolivie, l’Equateur, etc. Le modèle à déconseiller est celui de l’Union Européenne.
L’exemple des pays latino-américains
Les latino-américains ont donné à leurs organisations régionales une matrice organisationnelle pétrie de souveraineté, solidarité, d’égalité, de fraternité et de coopération. Leurs politiques économiques et de défense communes sont fondées sur cette matrice organisationnelle et portées par des gouvernements progressistes.
L’Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique (ALBA), l’Union des nations sud-américaines (UNASUR) et la Communauté des Etats d’Amérique latine et des Caraïbes (CELAC) sont des exemples en grande partie réussis d’organisations et de structures d’intégration économique, sociale et politique. A travers elles, les latino-américains prouvent qu’ils ont compris que « l’intégration, qui repose sur une base politique, répond à une réalité changeante et se fonde notamment sur les éléments matériels que sont les forces productives et les ressources naturelles abondantes et diverses (forêts, pétrole, minéraux de tous types, terres rares, gaz, vastes surfaces consacrées à l’agriculture et à l’élevage), mais surtout sur la diversité culturelle et humaine de plus de 500 millions d’individus. Le processus d’intégration doit rechercher des politiques communes de gestion et d’exploitation souveraines des ressources naturelles, y compris en matières d’accès à l’eau, lequel doit être reconnu comme un droit humain. »[4]
«Il faut mettre en place au niveau de chaque Etat des organisations politiques avec des programmes communs, relancer des dynamiques du style du Rassemblement Démocratique Africain (RDA) avec des logiques politiques interterritoriales qui permettront de présenter des candidats dans différents Etats avec la même culture politique, avec la même étiquette politique, avec la même base militante, avec la même organisation déjà supranationale. Tout cela permettra déjà de faire élire dans un temps très court des dirigeants solidaires avec la même vision et capables d’aller ensemble vers le même objectif. Comme cela a été le cas en Amérique du Sud lorsqu’on a vu arriver une vague successive de gouvernements progressistes qui a complètement désarçonné les USA qui ne savaient plus où frapper. »
Des compatriotes Africains réunis en novembre 2014 pour réfléchir sur la question de l’intégration[5] estimaient qu’ « il faut mettre en place au niveau de chaque Etat des organisations politiques avec des programmes communs, relancer des dynamiques du style du Rassemblement Démocratique Africain (RDA) avec des logiques politiques interterritoriales qui permettront de présenter des candidats dans différents Etats avec la même culture politique, avec la même étiquette politique, avec la même base militante, avec la même organisation déjà supranationale. Tout cela permettra déjà de faire élire dans un temps très court des dirigeants solidaires avec la même vision et capables d’aller ensemble vers le même objectif. Comme cela a été le cas en Amérique du Sud lorsqu’on a vu arriver une vague successive de gouvernements progressistes qui a complètement désarçonné les USA qui ne savaient plus où frapper. » Encore faudrait-il qu’il y ait des Etats ‘’réels’’ dans plusieurs pays de l’Afrique après des guerres menées les néocoloniaux et les impérialistes pour produite des ‘’Etats ratés’’.
Résoudre « l’équation de la direction »: Une urgence pour le Congo et l’Afrique
Contrairement au modèle latino-américain, le marché de l’Afrique de l’Est et de l’Afrique australe copie le modèle de l’intégration européenne par le marché. Il est la poursuite de la cannibalisation de l’Afrique entreprise à Berlin en 1885. Fondé sur l’ultralibéralisme issu du Consensus de Washington, il promeut des mesures d’austérité permanente et la primauté du capital. Il est prisonnier des ‘’tueurs à gage économique’’ que sont la Banque mondiale et la Fonds monétaire international. Il est donc nuisible aux peuples d’Afrique de l’Est et de l’Afrique australe. Son fondement idéologique n’est pas qu’ultralibéral. Il est aussi raciste.
Sa réussite sonnera le glas des peuples de l’Afrique orientale et australe au profit du 1% des oligarques d’argent transcontinentaux.
Un seul pays ne peut rien faire dans cette guerre sans merci que le marché ultralibéral livre à l’Afrique. Il faut une coalition d’acteurs (pas de politicards) décidée à créer des réseaux panafricains et transcontinentaux
Il est donc urgent de résoudre l’équation de la direction dans les pays impliqués dans ce marché. Y reprendre les luttes menées par les Pères des indépendances africaines pour les achever en étant fondés sur des masses panafricaines critiques nous semble être une nécessité de l’heure. Un seul pays ne peut rien faire dans cette guerre sans merci que le marché ultralibéral livre à l’Afrique. Il faut une coalition d’acteurs (pas de politicards) décidée à créer des réseaux panafricains et transcontinentaux ; une coalition d’acteurs visionnaire et capable de jouer le rôle du levain pour lever la pâte des masses critiques en les structurant. Il y va du travail de reconquête de l’indépendance et de la souveraineté réelle de l’Afrique.
Nous ne nous leurrons pas. Ce travail appelant au secours des pôles de force alternatif exigera une connaissance historique entretenue, une mémoire collective avisée, en encouragement permanent des coalisés et une persévérance contre toute espérance. C’est un travail à abattre du le temps long. Il apprendra aux coalisés à passer le relais.