L’analyste politique Jean-Pierre Mbelu souligne comment, à travers la marche de soutien organisée autour des 45 ans de « Joseph Kabila », le Congo s’avère être un pays sans Etat, rappelle l’émergence des nouveaux prédateurs congolais, appelle à un regain de patriotisme pour un Congo de l’insoumission, et explique pourquoi nous devons travailler, avec les masses populaires, à renverser les rapports de force.
Sur les 45 ans de Kabila et la marche de soutien
Nous ne sommes pas sortis de l’ère Mobutu. Il y a un culte de la personnalité qui domine la scène politico-sociale congolaise et qui est loin de disparaître. Ce qui a fait tiquer, c’est ceci : Toutes ces marches se sont déroulées sans anicroche. On prend les moyens de l’Etat, la police, l’armée, tout est mis, au service d’un individu et de son groupe. Nous sommes dans un système patrimonialiste, c’est à dire, une confiscation des moyens publics pour les mettre au service du privé. Vous comprenez davantage que, avec ce mode de fonctionnement, le Congo n’a pas d’Etat.
Il y a des marches insidieuses de soumission de nos populations appauvries. Ces dernières, parce qu’appauvries deviennent facilement des proies à soumettre. Nous devrions, étudier comment après avoir travaillé à l’appauvrissement anthropologique de nos populations, un groupe d’individus travaille à les soumettre en leur offrant du pain et des jeux.
Sur le Congo de l’insoumission
Si les populations sont usées, c’est parce qu’il s’agit aussi d’une usure programmée. La guerre coloniale est organisée pour maîtriser toute capacité de résistance des populations ciblées et quand cette capacité de résistance a été maîtrisée, on impose à ces populations, un ordre colonial ou néocolonial, après on fait semblant de lui proposer la paix. Quand des gens vivent sous l’oppression pendant très longtemps, quand ils restent sous la misère pendant très longtemps, en tant qu’humains, ils se dégradent. Si l’oppression, la pression et la misère ne sont pas vécues en conscience, cela abrutit et agrandit.
S’il n’y a pas un regain de patriotisme, pour appeler au Congo de l’insoumission, ce pays risque de disparaître.
Sur Kabila
Kabila n’est pas celui que nous prétendons qu’il est. Il le sait au fond de lui-même. Il n’habite pas cette fonction là. C’est un soldat, envoyé au front. Tout simplement. Il n’y a pas de fonction présidentielle, on a des capita médaillés qui présentent Kabila comme étant leur supérieur hiérarchique. Kabila joue un rôle, c’est une marionnette téléguidée de l’extérieur.
Un Etat se construit sur la base de certaines règles du vivre ensemble partagé. Un Etat se construit sur la base de textes et de règles fondamentales qu’on appelle la Constitution. Le Congo en tant qu’Etat manqué, a tous ces textes là, mais qui sont vides de sens.
Sur les nouveaux prédateurs
Notre malheur est de ne pas étudier notre histoire. Ces messieurs là ont constitué ce que les experts de l’ONU ont appelé en 2002 un réseau transnational de prédation. Ils ne sont pas tombés du ciel. Ils viennent d’un groupe de mafieux décidés à vendre le Congo au mieux offrant, pourvu qu’ils s’en mettent plein les poches. Il y a beaucoup de criminels parmi eux (criminels contre l’humanité, criminels économiques, criminels de guerre), comment voulez-vous que ces gens puissent suivre des règles qui pourraient lui compliquer parce qu’ils seraient invités à rendre compte.
Sur le renversement des rapports de force
Tant que les parrains de Kabila le supportent encore, il peut rester là où il est. Ne nous leurrons pas. Tant que nos masses populaires seront faibles, et ne se seront pas transformées en masse critique, capable de renverser les rapports de force, les choses risquent de durer.
Il y a au moins deux camps. Le camp des parrains de Kabila qui l’ont fabriqué et qui savent encore le tolérer mais qui sont capables de changer la donne rapidement. Il y a le camp des masses populaires qui sont encore en train de se convertir petit à petit en masse critique. Quand ces masses seront arrivées à un certain niveau de compréhension, quand elles auront conjugué la connaissance approfondie des acteurs et de notre histoire, et la conscience de notre devenir en tant que peuple, elles pourront renverser les rapports de force. Pour le moment, les rapports nous sont défavorables au point que notre identification des véritables acteurs de ce qui se passe chez nous est encore trop faible. Nous n’arrivons pas à faire la part des choses entre les acteurs pléniers de ce qui se passe, et les acteurs apparents. Et souvent nous tombons dans le larbinisme, nous avons de plus en plus, parmi nous, des pervers narcissiques qui estiment qu’au nom de ce qu’ils appellent le pouvoir, qu’ils peuvent sacrifier les masses tout en composant avec les bourreaux.