Par Bénédicte Kumbi Ndjoko
Une politique volontariste en vue du développement du Congo implique nécessairement que plus rien ne soit interrogé, ni le passé, ni le présent, ni même l’avenir, ni les individus. Les fous sont morts, vive les fous!
Le fou plutôt que le griot
La figure du fou du roi est apparue en Europe au Moyen-Âge, au 13ème siècle. Au départ c’est une figure monstrueuse car ceux qui occupent cette charge ont souvent quelques infirmités. Il leur est demandé d’amuser le roi en chantant, dansant, en déclamant des poèmes mais la place de la folie réelle ou simulée tient une place centrale dans cet exercice. Peu à peu, cette fonction va se professionnaliser et le fou devient un personnage incontournable des cours européennes et ceci jusqu’au règne de Louis XIV. Il est perçu comme l’alter ego du roi et la folie qu’il simule est là pour éclairer la raison du monarque tout en le divertissant. Il peut dire au roi ce que d’autres ne pourront jamais lui dire directement. C’est peut-être le premier personnage dans l’histoire européenne a avoir disposé de la liberté d’expression.
Au détriment de la figure du griot qui pouvait aussi jouer le rôle de révélateur de certains dysfonctionnements sociaux au moyen de la mémoire et de la tradition, il semble, qu’en Afrique et ici au Congo, on lui a préféré la figure européenne du fou. Le fou que l’on s’est choisi est celui du 18ème siècle, muselé, qui a perdu toute sagesse et dont seule la folie subsiste pour dire des choses entendues qui doivent rester dans le cadre stricte de ce qui était alors considéré comme de la bienséance.
Au détriment de la figure du griot qui pouvait aussi jouer le rôle de révélateur de certains dysfonctionnements sociaux au moyen de la mémoire et de la tradition, il semble, qu’en Afrique et ici au Congo, on lui a préféré la figure européenne du fou. Le fou que l’on s’est choisi est celui du 18ème siècle, muselé, qui a perdu toute sagesse et dont seule la folie subsiste pour dire des choses entendues qui doivent rester dans le cadre stricte de ce qui était alors considéré comme de la bienséance. Avec l’évolution du pays, depuis l’accession à l’indépendance du Congo, ceux qui ont joué ce rôle, et dont le plus fameux est peut-être Mende Omalanga, ils sont rentrés dans l’imaginaire des Congolais sous le nom de djalélistes avec plus ou moins de »talent ». Leur rôle, aujourd’hui, consiste avant tout à défendre le régime et à désorienter le peuple.
Fils Mukoko après s’être allé à quelques vérités bien senties, après quelques passages à tabac et l’octroi d’un travail à la présidence semble lui aussi assumer cette volonté de désorienter son public. En tant que fou du roi, son rôle est d’amener son auditoire à ne plus faire mention du Rwanda, à ne pas questionner le rôle que joue Vital Kamerhe dans la déstabilisation du Congo. Ainsi, il rappelle que la survie de l’UDPS au gouvernement est intimement liée à son accord avec l’UNC. Sans ce dernier, le parti, souvent décrit comme historique, n’aurait aucune voix au chapitre. Ceci paraît tout de même étonnant dans la mesure où il est rabâché urbi et orbi que le parti est la première force politique du pays et que c’est parce qu’il est reconnu comme tel, parce qu’il a passé 37 ans à lutter pour la démocratie que les Congolais ont donné leurs voix à Félix Tshisekedi pour l’amener à la magistrature suprême.
Fils Mukoko et la grande entreprise de lobotomisation de la population congolaise
Dans son acceptation, la présence de Vital Kamerhe à la fête donnée par James Kabarebe pour le mariage de son fils, ne doit être réduite qu’à une affaire de vaches qui ne représentent rien parce que le directeur de cabinet du président de fait en aurait beaucoup et qu’il peut faire ce qu’il veut avec ses bovidés. Donc, il faut circuler car il n’y a rien à brouter. Au sujet du Rwanda, le problème pour lui est un problème d’état d’esprit. Il suffit de savoir que le Congo, aux dimensions de continent, ne peut en aucun cas subir les attaques d’un petit pays comme le Rwanda. Le cas de la petite Belgique et ses 76 ans d’occupation coloniale du Congo ne lui dit rien. Cet argument est d’ailleurs bien souvent repris en coeur par les partisans de la bétonie. Celle-ci tend à faire des autres Congolais dénonçant l’agression du Rwanda contre le Congo des peureux et des faibles d’esprit. Le Rwanda les auraient spirituellement dominés.
Le discours de Fils Mukoko participe de la grande entreprise de lobotomisation de la population congolaise, du souhait de maintenir les masses populaires hors du champ politique. Les hautes instances politiques du pays n’ayant pas le temps de parler à ces masses clochardisées, on leur envoie un de leurs semblables mieux à même de faire passer le message.
Le discours de Fils Mukoko participe de la grande entreprise de lobotomisation de la population congolaise, du souhait de maintenir les masses populaires hors du champ politique. Les hautes instances politiques du pays n’ayant pas le temps de parler à ces masses clochardisées, on leur envoie un de leurs semblables mieux à même de faire passer le message. Les Congolais sont invités à admettre que leur survie passe nécessairement par le maintient du système en place et par le fait de l’auto-suggestion de leur force due aux dimensions du pays.
La bienséance ici voudrait que le passé soit chassé des discours et de la pensée, que les fondements de la guerre au Congo ne soient pas invités à la table des débats. C’est une perte de temps, et qui a besoin de tout ceci lorsqu’il s’agit de regarder de l’avant? En d’autres mots, les nouveaux bouffons de la République, ne cessent de réactiver l’idée qu’il faut dormir comme des bébés, qu’il ne faut surtout pas fouiner dans le passé. Une politique volontariste en vue du développement du Congo implique nécessairement que plus rien ne soit interrogé, ni le passé, ni le présent, ni même l’avenir, ni les individus. Les fous sont morts, vive les fous!
Bénédicte Kumbi Ndjoko