L’analyste politique Jean-Pierre Mbelu décrypte les enjeux politiques au cœur de la cour pénale internationale au vu des dernières décisions de cette juridiction, expose le dilemme auquel doivent faire face les congolais au quotidien, rappelle le lien entre la dynamique avortée de la conférence nationale souveraine et le processus de prédation et de destruction qui sévit aujourd’hui au Congo. Et explique pourquoi le Congo actuel, en faisant la mendicité, ne peut être respecté.
Sur l’acquittement, par la Cour Pénale Internationale (CPI), de Mathieu Ngudjolo (accusé de massacres contre les populations congolaise dans l’Ituri)
Pourquoi cette affaire reconnaît-elle un pareil rebondissement maintenant ? Est-elle utilisée pour faire pression sur les gens de Kinshasa ? Ou simplement pour que la vérité judiciaire éclate ? Si elle est utilisée pour que la vérité judiciaire éclate. Espérons que ce rebondissement pourra conduire la CPI à pouvoir interpeller toutes les personnes impliquées dans cette affaire.
Mais il ne faut pas se leurrer. Parce que la guerre qui sévit au Congo est aussi la guerre de la politique et de la justice internationale. Et de temps un temps, la Cour Pénale Internationale y joue un certain rôle. Voilà pourquoi il nous faudrait une cour pénale internationale pour pouvoir juger tous ces crimes de sang liés à l’exploitation de l’Afrique.
Cette décision de la CPI révèle nature de la guerre qui sévit au Congo depuis les années 1996/1997. C’est une guerre de prédation, c’est un vol organisé à mains armées. Il y a un conglomérat d’aventuriers, venu de l’extérieur, qui a organisé, avec la complicité de ceux qu’ils ont trouvé à l’intérieur du Congo, des massacres, des viols, des crimes contre l’humanité, pour pouvoir piller les ressources du Congo, avec le soutien des maîtres du monde.
Cette affaire vient nous rappeler l’importance d’une bonne maîtrise de l’histoire de ces 20 dernières années de la RDC.
Sur la théâtralisation des réalités politiques au Congo
Sur la politique de l’autruche au Congo
Au Congo, on parle de démocratie, là où il y a guerre, désolation, destruction de dignité humaine, au nom de l’argent.
Au Congo, on fait une politique de l’autruche, au lieu d’appeler simplement, un chat un chat. La RDC est un état manqué, pour reprendre l’expression de Noam Chomsky, dont les institutions et les structures formelles ont un dehors démocratique, mais sont vides de contenus.
Sur le dilemme auquel doivent faire face le congolais
Cette guerre révèle sa véritable nature. C’est aussi une guerre d’extermination des congolais. Comment voulez –vous que des personnes, ayant mis en cause les criminels de guerre et les criminels contre l’humanité qui exercent les fonctions d’autorité politique et judiciaire au Congo, puissent être renvoyés à leurs bourreaux ?
Il y a là encore le dilemme dans lequel le Congolais « normal » se retrouve aujourd’hui : Que doit-il faire ?
Dire la vérité sur ce qui se passe dans son pays, au point d’en payer de sa vie. Ou devenir complice de ceux qui ont organisé la mort du Congo. Et souvent, plusieurs congolais et congolaises dans ce cas là. Et choisissent entre l’exil et la mort, l’exil et la prison. De plus en plus, le Congo est en train devenir une prison à ciel ouvert.
Voyez toutes ces dames et messieurs, qu’on jette en prison, parce qu’ils ont osé exprimer leur point de vue politique.
Sur l’affaire Muzito-Kubla
Depuis plusieurs années, il arrive que certaines élites, de part et d’autres, aient des combines, pas très clairs, qui permettent à certains individus de s’enrichir et cela au détriment des peuples.
Dans cette affaire, la Belgique peut être une chance pour le Congo. Parce qu’en Belgique, il y a des systèmes de contrôle, il y a la peur du gendarme. Parce qu’il y a un minimum de séparation des pouvoirs qui permet à l’appareil judiciaire belge de pouvoir instruire l’affaire tout en pensant la présomption d’innocence des personnes impliquées. Du côté belge, il y a cet effort là.
Mais, du côté congolais, il n’y a presque rien. Et puis, ce n’est pas la première fois que Muzito est cité dans des affaires de corruption.
La question fondamentale que révèle ce qui se passe entre le Congo et la Belgique dans cette affaire, c’est que le système néolibéral est fondé sur le sang, la corruption, la mort, le mensonge, alors comment demain refonder l’Etat congolais sur d’autres valeurs que la mort ?
Sur le lien entre la conférence nationale souveraine des années 1990 et le système de prédation d’aujourd’hui
Si le Congo avait évolué, au-delà des règlement de comptes, dans la dynamique enclenchée à la conférence nationale souveraine, il serait déjà très, très, avancé. Ce que nous revivons aujourd’hui, avec notamment l’affaire Kubla-Muzito, sont les conséquences de l’interruption d’un processus initié par les congolais et un certain nombre de leurs alliés et de l’imposition d’un autre processus de prédation, venu de l’extérieur, et qui a conduit la RDC à s’insérer un peu plus en profondeur dans le système néolibéral.
Sur Lambert Mende et le « Congo Bashing »
Cela étant dit, Mende parle de colonialisme, parle d’impérialisme quand les pratiques liberticides de son gouvernement sont remises en question. Est-ce normal que nous puissions avoir un Congo ressemblant à une prison à ciel ouvert ? Un Congo où les compatriotes doivent à tout moment choisir entre l’exil et la prison ?
Mende aime beaucoup parler du « Congo bashing ». Mais comment voulez-vous qu’aujourd’hui on puisse avoir des études qui vous prouvent que de 2013 à 2015, la RDC a perdu 17 milliards de dollars, des commissions qui montrent le dysfonctionnement économique et financier de la RDC, mais que les résultats de ces commissions n’ont jamais été pris en compte ?
Et il ne peut pas s’adonner à des remises en question sérieuses parce que souvent, on doit pouvoir choisir entre la prison et la mort. Si ce gouvernement restait attentif aux critiques internes, il s’épargnerait des critiques externes.
Sur la question de la souveraineté du Congo
Vous ne vous respectez pas quand vous organisez un pays sous fond de la mendicité, vous avez tout le temps la main tendue vers ceux que vous considérez comme des néocolonialistes et impérialistes. Quand ces derniers vous jettent des fleurs, ils sont vos amis. Quand ils vous critiquent, ils deviennent vos ennemis. Et là, vous sortez de vos réserves pour les vilipender. Or, nous savons que plusieurs membres de ce gouvernement n’y seraient pas s’ils n’avaient pas l’appui de ceux qu’ils estiment être les néocoloniaux.
Si Mende veut avoir un pays respecté et respectable. Et bien qu’il cherche à devenir souverain politiquement, culturellement et économiquement. Mais comment voulez-vous devenir souverain, si pour poser un acte souverain aussi banal que les élections, vous devez tout le temps demander de l’argent à l’extérieur, pendant que cet extérieur sait que vous avez de l’argent en Suisse, dans les Iles vierges britanniques, et ailleurs dans le monde…