L’analyste politique Jean-Pierre Mbelu décrypte le fonctionnement de la justice au Congo et son caractère arbitraire, souligne comment le Congo est devenu une prison à ciel ouvert depuis l’arrivée des « libérateurs » de l’AFDL, expose les liens et la complicité entre les multinationales mortifères qui exploitent les matières premières au Congo et toutes ces rebellions qui sont montées, et explique pourquoi notre priorité ne devrait pas être les élections mais la sauvegarde de nos terres et de notre souveraineté.
Sur la réforme de la justice au Congo
Si réellement, ils remettent la justice sur les rails, ils pourront être traduits devant cette même justice.
A partir du moment où l’une des exigences de la remise du pays sur les véritables rails, à savoir la création de la commission vérité et réconciliation, n’a pas été respectée, vous ne pouvez pas mettre en place une justice responsable dans un pays sans que la vérité historique ait été faite sur la guerre que ce pays connaît depuis plus de 20 ans maintenant. Il y a là un point de départ qu’il ne faut pas mettre entre parenthèses.
Si vous comptabiliser le nombre de promesses faites par ce régime et les effets qui les ont suivi, vous verrez qu’il n’y a rien eu. C’est un régime habitué à faire des promesses, mais comme il ne rend compte devant aucune instance, vous ne pouvez pas vérifier réellement si ces promesses ont été tenues ou pas. Et puis, les promesses n’engagent que ceux qui les font et ceux qui y croient.
Sur le fonctionnement de la justice au Congo
Il y a au Congo, un fonctionnement de la justice qui n’a rien à voir avec une justice idoine. C’est de l’arbitraire mais aussi une méthode utilisée pour pouvoir esclavagiser les congolais, les soumettre et casser chez eux tous les ressorts de la résistance à ce système que ce régime mortifère est en train de servir.
Sur le Congo en tant que prison à ciel ouvert
Et si on revient au cas des fosses communes, les gens de ce régime vous disent, à une voix haute et audible, qu’ils ont l’habitude de creuser des fosses communes et d’y enterrer les congolais. Et tout le monde se tait dans toutes les langues et la vie continue comme si de rien était.
Si le Congo est un pays dans lequel on peut mourir par indigence, et être jeté dans une fosse commune, c’est que ce pays n’est pas gouverné. Donc, pour la plupart de nos compatriotes, c’est une prison à ciel ouvert. La lutte de la résistance doit être menée de manière à résoudre à la fois la question de la direction dans ce pays et la question de la rupture de ces chaînes esclavagistes entretenues par les négriers des temps modernes et leurs parrains.
Sur les nouveaux prédateurs au Congo
Quand vous suivez le documentaire sur le parc des Virunga, vous vous rendez compte qu’il y a des échanges entre ceux qui ont décidé de mettre le Congo en coupes réglées avec les rebelles qu’ils financent. Il n’y a pas moins de 1000 entreprises multinationales américaines impliquées dans le pillage des richesses à l’Est du pays et ce sont les militaires et les milices qui leur facilitent la tâche.
Il y a cette complicité entre les multinationales mortifères qui exploitent les matières premières au Congo et toutes ces rebellions qui sont montées à temps et à contretemps. D’ailleurs, on parle déjà d’un nouveau mouvement qui va participer à la politique de la terre brûlée pour que rien ne puisse avancer au Congo.
Il y a comme un recyclage des rebelles et des prédateurs. On crée des guerres, et après la guerre, il y a des amnisties et certains rebelles et militaires ayant participé à cette guerre là, intègrent les institutions du pays et la vie continue. Il faut être attentif à ce mode opératoire. Ce sont des gens qui se connaissent. Ils font semblant de se faire la guerre entre eux, et ce sont nos populations qui, pris entre les deux feux, quittent les villages où elles vivent, et tout de suite après, les mercenaires qui travaillent avec les multinationales viennent construire dans ces villages désertées par les populations.
Cette façon de faire participe de la balkanisation du pays. Mais malheureusement, plusieurs d’entre nous, fatigués par cette guerre d’usure, n’arrivent plus à faire tellement attention à ce mode opératoire. On vous parle d’élections, de ceci et de cela, et on est très peu attentif au fait que certains coins du Congo n’appartient plus au pays.
Sur le « grand marché » de l’Afrique centrale et le détricotage de notre souveraineté
Si nous ne percevons pas cela, nous risquons de croire qu’il y a encore 3 pays au cœur de l’Afrique centrale. Non, on est en train d’aller dans le sens de la suppression des frontières, du dépassement de la souveraineté de ces 3 pays pour que les échanges commerciaux l’emportent sur leurs souverainetés distinctes. Mais nous nous croyons que demain, ou après demain, la guerre va prendre fin, le Congo sera souverain, on va organiser des élections. Non. Nous devons être attentif à ce détricotage de la souveraineté pour savoir comment nous positionner, résister et penser à faire de la lutte pour la sauvegarde de la souveraineté du Congo une priorité. La priorité ne devrait pas être les élections mais la sauvegarde de nos terres et de notre souveraineté. Et pour cela, les congolais devraient comprendre qu’ils ont une lutte âpre et patriotique à mener en se mobilisant toujours davantage comme un seul homme.
Sur la liberté de la presse
Résister à cette guerre d’usure, pendant plus de 20 ans, à mains nues, avec la parole et la plume, ce n’est pas facile à porter. Et parfois, on finit par tomber dans la reconnaissance de l’imposture, dans la reconnaissance des mercenaires et des marionnettes comme étant des responsables dignes de ce nom. On finit par prendre les pyromanes pour des pompiers. Or, ceux que les pyromanes cherchent, c’est de pouvoir casser tous les ressorts de la résistance à la guerre d’usure qu’ils sont en train de mener.
La constitution est supposée garantir aux citoyens congolais leurs droits fondamentaux et leurs libertés fondamentales et leur liberté d’expression, fait partie des libertés fondamentales. Or dans ce pays, il n’existe aucune liberté respectée, surtout pas la liberté d’expression.
Peut-on avoir des lois dignes de ce nom dans un Etat failli? Non. Pour qu’il y ait des lois respectées, il faudrait d’abord qu’il y ait un Etat responsable. Or, le Congo n’a pas d’Etat responsable.
Sur les négociations entre le régime kabiliste et les partis d’opposition
Beaucoup de ces partis d’opposition n’ont pas reconnu les résultats des élections de 2011. Aller maintenant discuter avec celui qui a fraudé, c’est contredire l’engagement pris par certains partis. Pourquoi ces gens de l’opposition ne vont-ils pas dialoguer avec la population, qui est meurtrie, esclavagisée pour pouvoir continuer à la mobiliser afin qu’elle puisse bouter dehors ce régime de prédation?
Quand on essaie de parcourir notre histoire, on constate qu’il y a des conciliabules, des dialogues à plusieurs reprises qui n’ont jamais donné à nos populations un Etat de droit, un Etat souverain, un Etat social.
Si un dialogue signifie, enterrer toutes haches de guerre, donner priorité aux intérêts des congolais, éviter de mettre le feu aux poudres, pour que ce pays aille de l’avant, ça peut être compréhensible. Mais toutes les fois où ils sont allés à Sun City, à ceci, à cela, on noud donnait l’impression qu’il y avait dialogue, mais les armes ne se taisaient pas. Ceux qui appellent de tous leurs vœux le dialogue ont intérêt à reconduire la commission Justice, Vérité et Réconciliation. Que la vérité soit faite sur notre histoire. Tant que cette vérité ne sera pas faite et partagée avec notre population, tant que la question de la terre ne sera pas résolue, tous ces dialogues ne serviront à rien.