Par Jean-Pierre Mbelu
Lire et relire ses livres aide à pouvoir étudier en profondeur certaines questions. En relisant « Carnages. Les guerres secrètes des grandes puissances en Afrique », je me rends compte que l’assassinat de Lumumba ne lui a pas réglé tout son compte. Des efforts pour tuer son esprit chez ses frères et sœurs congolais sont toujours conjugués. La guerre de prédation et de basse intensité menée contre le Congo-Kinshasa par le Rwanda de Paul Kagame et l’Ouganda de Yoweri Kaguta Museveni, avec le soutien de leurs parrains anglo-saxons, s’inscrivait dans cette perspective.
C’est vrai qu’elle faisait partie d’un « plan régional global ». Soutenant qu’ils n’ont pas participé au partage de l’Afrique à la Conférence de Berlin, »les vainqueurs de la guerre froide » voulaient en découdre avec « les Européens colonisateurs » et en finir avec leur influence dans ce qui était considéré comme leurs « pré-carrés ». La France et la Belgique étaient dans leur ligne de mire. Mais aussi certains pays africains étant devenus indépendant sans leur soutien. Tel est, par exemple, le cas du Soudan. Leur projet global visait « la réfaction du monde » et de l’Afrique des Grands Lacs dont ils voulaient redessiner la carte.
L’importance du symbole dans la guerre psychologique
Le Zaïre de Mobutu ayant servi pendant la guerre froide à « contenir » l’expansion du « communisme » devait être démanteler afin que Museveni crée sa « République des volcans » et que Kagame agrandisse le Rwanda en y adjoignant les Kivus. Et ce n’est pas anodin qu’une ambassadrice américaine à Kinshasa ait dit à Mobutu, en 1991, que c’était fini avec lui, qu’il n’était plus utile aux USA.
Pour réaliser « leur plan régional global », « les vainqueurs de la guerre froide » ont besoin d’un symbole. Ils vont, encore une fois, instrumentaliser un congolais : Laurent-Désiré Kabila
1991 est en fait l’année de « la fin de l’URSS ». L’instrumentalisation de « l’aigle de Kawele » prend fin avec « la fin de la (première) guerre froide ». (Ses parrains savent qu’il est malade…)
Et pour réaliser « leur plan régional global », « les vainqueurs de la guerre froide » ont besoin d’un symbole. Ils sont forts en études psychologiques. Ils vont, tout en ayant Museveni et Kagame comme « marionnettes », se servir de quelqu’un dont le passé lumumbiste peut susciter des adhésions émotionnelles au pays de Lumumba. Ils vont, encore une fois, instrumentaliser un congolais : Laurent-Désiré Kabila. Ils le font tout en sachant qu’ils finiront par lui régler son compte le moment venu. « Pour l’heure, affirme Dan Simpson, l’ambassadeur des Etats-Unis à Kinshasa, nous avons besoin de lui. Mais nous réglerons son compte quand nous en aurons fini avec lui. Pour l’heure, il est l’homme qu’il nous faut ! Nous savons bien qu’il n’a pas le profil pour diriger ce pays. »
Les rwandais ne faisaient pas confiance en leur allié lumumbiste Laurent-Désiré Kabila
Les services secrets proches de Paul Kagame le savent eux aussi. Et ils s’arrangent pour être vigilants. Ils ne font pas confiance à Laurent-Désiré Kabila. Ils savent qu’il est capable de retournement d’alliance. Ils n’ont pas oublié son passé lumumbiste. L’un d’eux, Emmanuel Ndahiro, chargé de services secrets extérieurs du Rwanda le rappelle à ses compères en ces termes : « Lorsque nous nous sommes réunis à Kisoro (Ouganda), du 3 au 5 juin [1997], juste après notre victoire qui a conduit à la chute de Mobutu, nous avons souligné la nécessité de renforcer notre promesses en affectant nos meilleures ressources humaines dans les services qui s’occupent de la sécurité, de l’économie, des finances et de l’administration, particulièrement dans les provinces du Nord et du Sud-Kivu qui sont partie intégrante de notre patrie. Cette stratégie est censée faciliter notre contrôle de la République démocratique du Congo et de consolider notre influence dans la région des Grands Lacs (…). Pendant que nous attendons vos propositions concrètes (…), nous devons appeler l’ensemble de nos leaders dans la République démocratique du Congo à rester vigilants, jour et nuit, parce que Kabila est lumumbiste. » Tout est dit. Lucide et prévoyante, la note poursuit sous forme d’avertissement : « Vous savez très bien que les lumumbistes sont des nationalistes. Ils pourraient un jour se rebeller contre nous et nous chasser du Congo. Les Congolais sont comme les Hutu. Ils sont ingrats… »
En fait, le 02 août 1998, il y a eu retournement d’alliance. Kagame et son FPR/APR sont invités à retourner au Rwanda. La guerre de prédation et de basse intensité va s’intensifier. Le RCD/Goma va naître. Les autres « rébellions » soutenues par Kagali vont suivre. Les mécanismes de mixage et de brassage vont intégrer plusieurs de leurs membres dans plusieurs institutions congolaises afin que se perpétue le contrôle du Congo par le FPR/APR. Son « cheval de Troie » va devenir, au Congo-Kinshasa, « une autorité morale ». Et Laurent-Désiré Kabila, « ce lumumbiste » sera assassiné, comme « par hasard », le 17 janvier 2001. Lumumba est assassiné le 16 janvier 1961. Quelle coïncidence hasardeuse !
« Vous savez très bien que les lumumbistes sont des nationalistes. Ils pourraient un jour se rebeller contre nous et nous chasser du Congo. Les Congolais sont comme les Hutu. Ils sont ingrats… »
Ces assassinats font partie de « la stratégie du choc ». Ils constituent des « grands coups » assenés au Congo-Kinshasa pour « semer l’effroi » afin d’étouffer toute velléité de résistance, de le dominer et de le soumettre. Lorsque, comme au cours de la guerre des années 1990, ces « grands coups » sont accompagnés de « viols massifs » des femmes congolaises, ils passent un message : exterminer ces mères qui mettent « les lumumba » au monde au cœur de l’Afrique.
Lorsque ces »grands coups » sont suivis par des »élections-pièges-à-cons », ils s’inscrivent dans »la stratégie du chaos ». Ces »élections » favorisent la politique du »diviser pour régner ». Elles attisent les conflits tribaux et ethniques vrais ou imaginaires. Elles participent de la déstabilisation du pays et du »plan régional global » de son remodelage (et de la remise de l’unité réelle de l’Afrique aux calendes grecques).
Tuer l’esprit lumumbiste
Bref, la guerre de prédation et de basse intensité menée contre le Congo-Kinshasa depuis les années 1990 a aussi comme objectif de tuer, dans les cœurs et les esprits des Congolais(es) l’esprit lumumbiste, l’esprit patriotique, l’amour de leur pays et le fait d’en être « les seuls maîtres ».
La guerre de prédation et de basse intensité menée contre le Congo-Kinshasa depuis les années 1990 a aussi comme objectif de tuer, dans les cœurs et les esprits des Congolais(es) l’esprit lumumbiste, l’esprit patriotique, l’amour de leur pays et le fait d’en être « les seuls maîtres ».
Et quand le FPR/APR a rependu la thèse des « Congolais(es) BMW », il voulait cacher « son approche lucide et prévoyante » des frères et sœurs de Lumumba. Malheureusement, les plus faibles d’esprit d’entre nous ont mordu à l’hameçon et ont coalisé avec Kagame et ses parrains pour mettre le Congo-Kinshasa et l’Afrique en morceaux. Leur « plan global régional » a réussi au Soudan.
Ils n’ont pas encore renoncé à leur « stratégie du choc et du chaos ». La renaissance du lumumbisme semble être une voie obligée pour un panafricanisme des peuples. Il me semble…
Babanya Kabudi
Génération Lumumba 1961