Par Jean-Pierre Mbelu
Dans une analyse non-systémique de »l’ Etat-raté-manqué » du Congo-Kinshasa, il est encore possible de ne voir que les acteurs, leurs sous-traitants et leurs complices sans analyser les principes facilitant l’articulation de leurs actions. Une analyse un peu plus globale devrait tenir compte de tous les éléments en présence. Plusieurs analyses actuelles de la situation du pays de Lumumba tombent dans l’un ou l’autre de ces travers. Elles sont faibles du point de vue de l’analyse systémique. A notre avis, cette faiblesse est liée au fait que, souvent, nos analyses ne questionnent pas l’histoire et la nature de l’Etat congolais actuel en prenant en compte les acteurs pléniers de la guerre de prédation et »par morceau » menée contre le pays, leur mode opératoire transnational et les objectifs qu’ils se sont assigné sur le temps long.
Partons d’une approche simple d’un Etat (vu comme un système), comme étant »un corps territorial institué », fondé sur des principes (et des lois nationales et internationales) permettant des interactions entre ses membres pour »un vivre ensemble » harmonieux. Cet Etat est ‘institué » par la reconnaissance de sa souveraineté au niveau international (Charte de l’ONU), par sa légalisation et sa légitimation au niveau national.
Une faiblesse des analyses du point de vue de l’analyse systémique
Il est principalement le fruit des luttes historiques des acteurs nationaux.Néanmoins, il peut être »produit’ par une combinaison des efforts (des luttes et des guerres) des acteurs extérieurs et intérieurs, les uns plus visibles que les autres, pour le besoin de la cause. Dans un cas comme dans un autre, il est nécessaire de connaître, d’identifier les acteurs, les principes sur lesquels ils fondent cet Etat produit et les objectifs qu’ils se sont assignés. L’attention portée au fonctionnement d’un Etat en tant que système conduit à accorder une importance particulière à l’articulation entre ses acteurs, les principes sur lesquels ils fonctionnent, les moyens auxquels ils recourent pour réaliser ces objectifs, les défis face auxquels ils sont placés ainsi que les tactiques, les méthodes et les stratégies qu’ils utilisent en vue d’y faire face.
Un exemple. Les acteurs participants à la Conférence de Berlin ont produit »l’Etat congolais » comme étant une »terra nullius » ; c’est-à-dire un espace vague, un réservoir de matières premières et de la main-d’oeuvre bon marché nécessaires à l’édification de leurs propres Etats. Et cette »terra nullius » était dénommée »L’ Etat indépendant du Congo » de 1885 à 1908 avant qu’il ne soit cédé à la Belgique comme colonie. Cet »Etat indépendant du Congo » constituait tout un système d’exploitation des Congolais(es) par des administrateurs interposés et fondé sur les principes de l’usage de la force, du mépris, de l’instinct de domination et du racisme. Les acteurs recourant à ces principes et leurs sous-traitants ont permis au Roi Léopold II de s’enrichir scandaleusement sur le dos des Congolais(es), ses bêtes de somme. Cette œuvre esclavagiste n’aurait pas eu des résultats escomptés sans la complicité de certains chefs féodaux congolais.
Il est nécessaire de connaître, d’identifier les acteurs, les principes sur lesquels ils fondent cet Etat produit et les objectifs qu’ils se sont assignés.
Cet système étatique a fonctionné en réseau ; un réseau constitué de Léopold II, de ses administrateurs, de ses sous-traitants et de Congolais(es) exploité(es) sur fond des principes sus-mentionnés. En critiquant ce système, il est possible de se focaliser sur Léopold II, sur ses administrateurs, ses sous-traitants et d’oublier ses complices congolais. Il est aussi possible de ne voir que les chefs féodaux et les autres vendeurs d’esclaves sans les acteurs Belges.
Il est encore possible de ne voir que les acteurs, leurs sous-traitants et leurs complices sans analyser les principes facilitant l’articulation de leurs actions. Une analyse un peu plus globale devrait tenir compte de tous les éléments en présence. Plusieurs analyses actuelles de la situation du Congo-Kinshasa tombent dans l’un ou l’autre de ces travers. Elles sont faibles du point de vue de l’analyse systémique. A notre avis, cette faiblesse est liée au fait que, souvent, nos analyses ne questionnent pas l’histoire et la nature de l’Etat congolais actuel en prenant en compte les acteurs pléniers de la guerre de prédation et »par morceau » menée contre le pays, leur mode opératoire transnational et les objectifs qu’ils se sont assigné sur le temps long.
Changer les acteurs et les règles du jeu étatique
Rappelons que la guerre de basse intensité menée contre le Congo-Kinshasa y a produit »un Etat raté ». C’est-à-dire un Etat incapacité dans ses fonctions régaliennes. Attaqué depuis plusieurs années par les tueurs à gages économiques que sont la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (imposant leurs programmes d’ajustement structurel), malmené par les multinationales recourant aux proxys (militaires) pour avoir accès à ses matières premières stratégiques, infiltré par un conglomérat d’aventuriers maffieux, le Congo-Kinshasa est dépouillé de ses moyens économiques, sociaux, militaires et politiques pouvant l’aider à s’assumer comme »Etat souverain ». Il peut être classifié parmi les »Etats manqués » dans la mesure où il a perdu toute capacité de protéger ses citoyens de la violence et de la mort ; et surtout de respecter la loi fondamentale qu’il s’est donnée. Il peut s’affirmer »démocratique » tout en vidant ses institutions formelles de tout contenu démocratique réel. C’est-à-dire de la participation au débat sur les questions collectives de tous les citoyens et de toutes les citoyennes, de leur participation à la délibération sur ces questions, de leur implication dans les décisions prises et dans le contrôle social des gouvernants. Dans cet »Etat-raté-manqué » la reddition des comptes est inexistante.
la refondation du Congo-Kinshasa comme un »Etat normal » passe par le changement des acteurs (ou la création des contre-réseaux au réseaux transnationaux actuels) et celui des principes juridiques, sociaux, culturels et politiques pouvant le régir demain. Au niveau national, régional, panafricain et international. Le changement d’acteurs peut se révéler inefficace s’il n’y a pas de changement de règles de jeu étatique. Et vice versa. Sans oublier l’histoire ; la mémoire collective vivante.
Comme au temps de »l’Etat indépendant du Congo », il est fondé sur les principes de l’usage de la pure force, du mépris des Congolais(es), de leur exploitation éhontée, de l’instinct de domination, du racisme et de la haine de soi. Comme en ce temps-là, les acteurs pléniers agissent en réseau transnational. Ils ont des alliés-proxys et des chefs féodaux modernes au Congo-Kinshasa et dans les pays voisins. Tous les membres de ce réseau ne sont pas toujours visibles. Plusieurs agissent dans l’ombre et avec persévérance. Et ce n’est pas parce qu’ils ne sont pas visibles qu’ils ne sont pas efficaces. Leur efficacité tient aussi au fait qu’ils ne soient pas visibles. Ils peuvent ainsi facilement changer d’alliés-proxys et d’autres sous-fifres en pariant sur »leur innocence dans l’ombre ».
La volonté d’ignorer cela, le refus de ne pas le savoir peut conduire à une autoflagellation généralisée et à la haine de soi fondées sur une véritable analyse des cas visibles d’usage de la pure force, du recours à la violence, au vol, à la corruption etc. La dernière vidéo de Ndeko Eliezer est très instructive à ce sujet.
»La casuistique » (l’analyse des cas) devrait toujours compte de l’analyse systémique. Rappelons que ceux et celles qui ont participé de la production du Congo-Kinshasa comme »Etat-raté-manqué » ne sont pas disposés à le laisser devenir »un Etat normal ». Ils ne jurent que par sa néocolonisation. Ils forment les armées de leurs jeunes dans cette perspective. Plusieurs de nos jeunes, »achetés » par le dollar, se préparent, eux aussi, à devenir »les négriers modernes ». La lutte est âpre et passionnante à la fois. Les néocoloniaux et les supplétifs ont peur que le pays de Lumumba ne devienne le moteur de l’émancipation politique de plusieurs de ses voisins.
L’analyse systémique nous aide à comprendre que la refondation du Congo-Kinshasa comme un »Etat normal » passe par le changement des acteurs (ou la création des contre-réseaux au réseaux transnationaux actuels) et celui des principes juridiques, sociaux, culturels et politiques pouvant le régir demain. Au niveau national, régional, panafricain et international. Le changement d’acteurs peut se révéler inefficace s’il n’y a pas de changement de règles de jeu étatique. Et vice versa. Sans oublier l’histoire ; la mémoire collective vivante.
Babanya Kabudi
Génération Lumumba 1961