Par Jean-Pierre Mbelu
Dans la première partie de cet article, nous avons voulu, en évoquant le documentaire de Jean-Luc Kienge et les trois autres (Le conflit au Congo. La vérité dévoilé, Rwanda’s untold story, l’Afrique en morceaux), provoquer la curiosité de certains de nos lecteurs. Pourquoi ? Pour qu’ils prennent le temps de regarder ces quatre documentaires et qu’ils en tirent des leçons pour notre devenir collectif. Notre conviction est la suivante : « Sans une bonne maîtrise de notre histoire et une bonne identification de ses acteurs officieux et officiels, de leurs nègres de service ; sans une bonne maîtrise de leur mode opératoire et des enjeux dont le Congo-Kinshasa est le théâtre, nous ne saurons pas agir efficacement pour renverser les rapports de force qui nous sont défavorables jusqu’à ce jour.
Dieu merci ! Plusieurs d’entre nous affirment qu’ils ont déjà tout maîtrisé ! Souvent, ce n’est pas pour eux que nous écrivons. Nous écrivons pour ceux et celles qui, comme nous, veulent encore apprendre et rejoindre les élites organiques et structurantes pour débattre, discuter et délibérer sur les contre-stratégies à mettre collectivement en place pour que le Congo-Kinshasa devienne enfin ‘’un peuple d’hommes et de femmes libres et libérés’’. Dans cet ordre d’idées, les propositions d’un individu n’ont de valeur qu’après qu’elles aient été soumises au débat, à la discussion et à la délibération des collectifs citoyens travaillant à reconstruire le Congo-Kinshasa à partir de sa base.
L’instrumentalisation et la manipulation des congolais
Revenons au documentaire de Jean-Luc Kienge. Pour ceux et celles qui ont suivi attentivement les cinq épisodes, il pose entre autres la question de l’instrumentalisation des Congolais(es) et de leur manipulation à travers plus de cinq décennies de leur histoire commune. Comment procèdent ‘’les acteurs pléniers’’ de ce théâtre tragique ? Sur fond de leurs intérêts et du système économico-politique qu’ils contrôlent, ils créent, au Congo-Kinshasa, ‘’des nègres de service’’ qu’ils présentent aux populations congolaises comme étant leurs gouvernants. Pendant un temps, ils en font ‘’leurs amis’’ et les médias dominants mettent sur le devant de la scène publique ‘’leurs rencontres amicales’’. Le jour où ils décident de changer de ‘’nègres de service’’, ils mettent ces mêmes médias à contribution pour vilipender ‘’leurs créatures amies’’. Ces médias vendent aux populations congolaises ‘’le vocabulaire’’ à utiliser pour se débarrasser de celui pour qui elles ont dansé et même souhaité de rester aux affaires ad multos annos. Curieux !(Rappelons-nous ‘’topesaki cinq ans na Mobutu, tobakisi…mpo nakusukisa cent ans tomotombele et récement, quand Joseph Kabila a visité les terrains de jeux construits à Kinshasa. Nous avons entendu des compatriotes qui, bien que sachant que ‘’le raïs’’ est la fin de son mandat officiel (sic), criaient : ‘’Wumela’’)
Sur fond de leurs intérêts et du système économico-politique qu’ils contrôlent, ils créent, au Congo-Kinshasa, ‘’des nègres de service’’ qu’ils présentent aux populations congolaises comme étant leurs gouvernants. Pendant un temps, ils en font ‘’leurs amis’’ et les médias dominants mettent sur le devant de la scène publique ‘’leurs rencontres amicales’’. Le jour où ils décident de changer de ‘’nègres de service’’, ils mettent ces mêmes médias à contribution pour vilipender ‘’leurs créatures amies’’. Ces médias vendent aux populations congolaises ‘’le vocabulaire’’ à utiliser pour se débarrasser de celui pour qui elles ont dansé et même souhaité de rester aux affaires ad multos annos.
A travers le documentaire de Jean-Luc Kienge, l’exemple de Mobutu est plus que parlant. La CIA le crée (avant 1960 et le confirme en 1965) et quand il est malade, les USA s’en débarrassent comme d’un citron bien pressé.. Et les médias dominants parlent (enfin) de sa fortune ! Les Congolais(es) se mobilisent pour ‘’chasser le dictateur’’ sans savoir qu’ils (elles) n’ont pas la maîtrise de l’initiative historique. Pour dire les choses autrement, les Congolais(es) tombent facilement dans le piège des ‘’faiseurs des rois’’. Plusieurs y tombent comme des esclaves volontaires. Mais ils (elles) bombent le torse comme si ‘’chasser le dictateur’’ du pouvoir n’était pas prioritairement une initiative d’autrui pour ses intérêts !
Avant Mobutu, ils (elles) étaient déjà tombés dans le même piège au sujet de Lumumba. Ce que le documentaire ne raconte pas sur Lumumba est que, dans ses objectifs, il avait prévu que le Congo libre devait aider les autres pays africains à devenir libres ; surtout ceux au Sud de l’Afrique. Et que pour lui, l’indépendance du Congo ne pouvait devenir réelle qu’au moment où toute l’Afrique allait être indépendante. D’où son engagement, à partir des années 1958 dans la lutte pour le panafricanisme aux côtés de Nkrumah, Sékou Touré, Moumié, Frantz Fanon, etc. Etant mis au courant de ces objectifs, les puissances néocoloniiales et impérialistes ont incité certains gouvernement fantoches africains à se retourner contre Lumumba. Le pire, c’est ce qu’ont fait certains Congolais. « Les observateurs qui se sont trouvés dans les capitales africaines pendant le mois de juin 1960 pouvaient se rendre compte d’un certain nombre de choses De plus en plus nombreux, en effet, d’étranges personnages venus d’un Congo à peine apparu sur la scène internationale s’y succédaient. Que disaient ces Congolais ? Ils disaient n’importe quoi. Que Lumumba était vendu par les Ghanéens. Que Gizenga était acheté par les Guinéens, Kashamura par les Yougoslaves. Que les civilisateurs belges partaient trop vite, etc. »[1]
Pourquoi Lumumba et ses proches faisaient peur
Ces affabulations indiquaient que le Congo et l’Afrique étaient dans le collimateur des ‘’faiseurs des rois’’. Ces affabulations indiquaient aussi que la rencontre des combattants de la liberté congolais avec leurs compatriotes africains à certaines conférences panafricaines avaient réussi à faire du Congo-Kinshasa ‘’une deuxième plage du débarquement des idées révolutionnaires’’, après la Guinée de Sékou Touré.. Voilà, entre autres, pourquoi Lumumba et ses proches faisaient peur. « Des sénateurs, des députés congolais, aussitôt après les fêtes de l’indépendance, se sauvaient hors du Congo et se rendaient…aux Etats-Unis. D’autres s’installaient pour plusieurs semaines à Brazzaville. Des syndicalistes étaient invités à New-York. Là encore, si l’on prenait l’un de ces députés ou de ces sénateurs dans un coin et qu’on l’interrogeait, il devenait patent que tout un processus très précis allait se mettre en route. »[2]
Après Lumumba et Mobutu, aucune grande leçon n’a été tirée de ce passé historique. Les anglo-saxons se servant de leurs proxys ougando-rwando-burundais ont retourné les Congolais les uns contre les autres et ont fait de certains d’entre eux leurs marionnettes.
Quand Mzee Laurent Kabila a voulu rompre avec ce ‘’servilisme’’, il a été assassiné. Après lui, quand ‘’Joseph Kabila’’ monte sur ‘’le trône’’ présidentiel, il effectue son premier voyage aux USA.
La rencontre des combattants de la liberté congolais avec leurs compatriotes africains à certaines conférences panafricaines avaient réussi à faire du Congo-Kinshasa ‘’une deuxième plage du débarquement des idées révolutionnaires’’, après la Guinée de Sékou Touré.. Voilà, entre autres, pourquoi Lumumba et ses proches faisaient peur
Que se passe-t-il maintenant que ses « créateurs » cherchent à faire semblant de s’en débarrasser ? Ils le remercient pour les services rendus. Ils disent, malgré les différents rapports de leurs experts travaillant à l’ONU et les meurtres perpétrés au quotidien à l’est du pays, qu’il a créé de la ‘’stabilité’’ au Congo-Kinshasa. Mais il doit partir ‘’par respect des mandats constitutionnels’’ (et non pas parce qu’il a ouvert le marché congolais aux Chinois !!!) si l’on veut éviter que tous les pays des Grands Lacs Africains ne puissent s’embraser.
Et comme en 1960, des députés, des sénateurs, des responsables de certains partis politiques, certains membres de la société civile défilent à Washington pour demander à Obama et à John Kerry de faire pression sur ‘’leur créature’’. Ils font la même chose à travers plusieurs capitales occidentales. Et ce défilé ne semble pas les pousser à réfléchir sur le devenir de l’Occident dont ils sont fanatiques. Les Occidentaux eux-mêmes se plaignent. Ils disent que chez eux, de plus en plus, le pouvoir est confisqué par ‘’les usurpateurs’’[3], par ‘’les nouveaux cercles de pouvoirs’’ travaillant à la neutralisation du suffrage universel. Les Grecs en savent quelque chose. Les Français et les Américains aussi. Le candidat socialiste Sanders, aux USA, dit certaines choses à hautes voix. Il parle de l’achat des politiques par le pouvoir de l’argent.
Que faire ?
Une Grecque écrit ceci : « « Un état d’exception contraire à la démocratie se met en place en Europe, a souligné Zoé Konstantopoulou, avec la crise économique pour prétexte et comme instrument, l’austérité, la dette publique et le refus de la BCE de fournir des liquidités. L’objectif est la disparition des procédures démocratiques et parlementaires, la destruction des droits de l’homme, et l’asservissement des populations, dont les gouvernements doivent obéir à des directives provenant d’organismes qui ne relèvent d’aucune légitimité démocratique, qui ne sont soumis à aucune procédure de transparence ni à aucune obligation légale de rendre des comptes.»[4] Comment pouvons-nous, en conscience, recourir aux ‘’cercles de pouvoir’’ luttant contre la démocratie, les droits et libertés fondamentales pour garantir la démocratie au Congo-Kinshasa de demain ? Ici, il y a quelque chose de foncièrement corrompu dans les démarches entreprises par certains d’entre nous. Cela d’autant plus qu’elles ne visent pas le changement du système économico-politique contrôlé au Congo-Kinshasa par ces ‘’cercles illégitimes de pouvoir’’ depuis 1885.
Il y a certaines urgences qui s’imposent à nous : la création et la re-création des médias alternatifs et des collectifs citoyens, un questionnement permanent sur notre rôle en tant que Congolais(es) dans le retournement de la situation économico-politique contre nous, une remise en question de notre capacité de lutter contre les forces de la mort sur le temps long, un effort d’identification des ennemis externes et internes de nos populations pour lutter en connaissance de cause et en conscience, la relativisation de l’Occident comme centre du monde, etc.. Ces urgences doivent être intégrées dans les multiples réponses que nous donnons à la question : « Que faire ? ».
A ce point nommé, la question lancinante posée par le documentaire de Jean-Luc Kienge revient : « Quel peuple certains d’entre nous voudraient que nous puissions devenir ? Un peuple libre ou un peuple d’esclaves ? » Répondre à cette question nous exige une bonne maîtrise de notre histoire pour nous la réapproprier. D’où nos renvois à la documentation existante pour un approfondissement de ce processus de réappropriation de cette histoire. Les plus doués d’entre nous peuvent s’en passer. Une éducation fondée sur une bonne connaissance partagée de l’histoire du Congo-Kinshasa réécrite par ses dignes filles et fils nous semble un préalable indispensable à toute lutte de reconquête de sa véritable indépendance. Elle permet d’appréhender la logique traversant la traite négrière, la colonisation, la néocolonisation et la mondialisation ultralibérale : une logique de cupidité, de mépris, de racisme et de néantisation de l’homme africain et congolais. Elle ne peut pas être combattue par le larbinisme.
A regarder les choses de plus près, il y a certaines urgences qui s’imposent à nous : la création et la re-création des médias alternatifs et des collectifs citoyens, un questionnement permanent sur notre rôle en tant que Congolais(es) dans le retournement de la situation économico-politique contre nous, une remise en question de notre capacité de lutter contre les forces de la mort sur le temps long, un effort d’identification des ennemis externes et internes de nos populations pour lutter en connaissance de cause et en conscience, la relativisation de l’Occident comme centre du monde, etc.. Ces urgences doivent être intégrées dans les multiples réponses que nous donnons à la question : « Que faire ? ».
Certaines recettes faisant partie des réponses à cette question s’inventent de temps en temps et même souvent sur les différents fronts de lutte. Tout n’est pas prévisible à l’avance. Des solutions magiques n’existent pas à la tragédie congolaise. L’écriture est une des recettes. Elle contribue à l’approche critique de notre histoire collective quand elle se soumet à la critique des autres et au débat argumenté. (à suivre)
Mbelu Babanya Kabudi