Par Jean-Pierre Mbelu
« L’histoire nous apprend que nous ne savons pas apprendre de l’histoire. » – M. Jean
Soutenir aujourd’hui que ‘ »Fatshi béton » est le premier détenteur du « pouvoir-os » à dire tout haut que le Kongo-Kinshasa est agressé par le Rwanda participe de la falsification de l’histoire et de la désorientation des masses populaires.
0. Mise en route
L’ ouverture de l’espace public kongolais au débat pluriel est un acquis à préserver. A tout prix. Il peur transformer des échanges en des trajets d’apprentissage (, de désapprentisage et de reapprentissage) et de questionnements. Le fanatisme des »courtisans » et des »spécialistes de la com » ainsi que la quasi absence d’évocation des sources -articles, livres, documentaires, témoins oculaires- constituent des obstacles que la pluralité du débat et des débatteurs pourrait aider à franchir sur le court, moyen et long terme.. La fétichisation de certaines fonctions et le culte rendu aux »chefs » participent de temps en temps de la falsification de l’histoire. Surtout de l’histoire de la guerre raciste de prédation et de basse intensité imposée au pays depuis les années 1990.
Tel est le contexte dans lequel il est curieux d’entendre des compatriotes soutenir, la main sur le coeur, que »Joseph Kabila » n’a jamais pointé du doigt le Rwanda au cours de cette guerre. Pourtant, des documents existent et soutiennent le contraire.
I. En 2004, »Joseph Kabila » fait une déclaration publique
« Début décembre 2004, Joseph Kabila fait une déclaration publique sur l’agression du Rwanda portée sur le sol congolais. Il affirme : « Depuis quelques jours, les forces armées du Rwanda ont violé notre territoire en traversant la frontière commune par plusieurs entrées, dans la province du Nord-Kivu. Pour justifier leur aventure criminelle, les responsables rwandais avancent le prétexte de la chasse aux groupes armées rwandais sur le territoire de la République Démocratique du Congo. Chers compatriotes, je voudrais vous rappeler que ce problème des groupes armés, qui n’a pas été créé par le peuple congolais, a servi de prétexte à la guerre que le Rwanda a menée contre notre pays depuis 1998 et qui a contribué à déstabiliser dangereusement la région des Grands Lacs.». 1»
Donc, il y a dix-huit ans qu’un représentant du »pouvoir-os » kongolais disait haut et fort que Rwanda commettait des crimes au Kongo-Kinshasa sous des prétextes fallacieux.
Et « le 24 juin 2004, il affirmait déjà au Financial Times que l’attaque de Bukavu était une initiative militaire soutenue par le Rwanda. Il laissera aussi clairement entendre que le Congo n’a jamais voulu faire la guerre avec le Rwanda et que cela n’était ni dans l’intérêt du Congo ni dans celui du peuple congolais. 2»
Donc, il y a dix-huit ans qu’un représentant du »pouvoir-os » kongolais disait haut et fort que Rwanda commettait des crimes au Kongo-Kinshasa sous des prétextes fallacieux. Pour quoi a-t-il dénoncé le Rwanda alors qu’il en est »un Cheval de Troie » ? Il est possible qu’il ait eu un petit moment de lucidité avant que le lobby tutsi s’active à organiser un dîner où il se retrouvera en face de Paul Kagame et à le dissuader de s’engager sur cette voie. Telle est l’une des hypothèses de Charles Onana que, personnellement, je remets en cause.
II. Une fausse bonne piste et le témoignage de Cynthia
A mon avis, »Joseph Kabila » a voulu engager les Kongolais(es) sur une fausse bonne piste afin qu’ils (elles) participent, à leur tour, à la dépopulation de l’Afrique des Grands Lacs et au »chaos contrôlé » par les globalistes apatrides soucieux de l’expansion d’un monde unipolaire débarrassé des Etats souverains et des »humains-déchets » en vue de s’emparer de leurs terres et de leurs ressources du sol et du sous-sol. Le rapport Kassem de 2002 mentionne son nom en décriant la participation d’un réseau transnational à ce »chaos ».
Depuis Berlin et même après, « Civilisation » et «démocratie » sont des mots corrompus couvrant »un péché », celui de la convoitise. En quoi consiste-t-il ? A croire que ce que autrui possède ne devrait pas être à lui mais à celui dont l’avidité a corrompu le coeur et l’esprit.
Et témoignage de Cynthia McKinney, ancienne congressiste du parti démocrate et envoyée spéciale de Bill Clinton dans les Grands Lacs africains en 1997 est beaucoup plus clair sur cette question. Elle dit, sans ambages, qui sont les acteurs historiques et pléniers de cette guerre par morceaux. « Depuis plus d’un demi-siècle, écrit-elle, le peuple congolais souffre et subit toutes sortes d’agressions. Autrefois, c’était la colonisation belge qui prétendait lui apporter la « civilisation ». Aujourd’hui, ce sont les Etats-unis qui prétendent l’aider à vivre en « démocratie ». Pour « civiliser » les Congolais, le roi Léopold II leur faisait couper les bras. Pour leur apporter « la démocratie », les Etats-unis les laissent se faire massacrer. Derrière l’envie apparente d’apporter la « civilisation » et la « démocratie » aux Congolais, se cache le besoin récurrent de profiter des énormes richesses minières du Congo (…). 3» Et elle ajoute : « Ce sont ces immenses ressources qui ont toujours attiré Européens et Américains au Congo et qui excitent tant leur convoitise qu’ils en oublient les êtres humains qui peuplent ce pays. Face aux gigantesques profits que les multinationales peuvent tirer de l’exploitation abusive de ces richesses, les êtres humains ne comptent pas, du moins pas assez. Et dans les zones les plus riches, la destruction de l’environnement comme celle des hommes, des femmes, des enfants et de leurs droits, y est une triste réalité. 4»
Depuis Berlin et même après, « Civilisation » et «démocratie » sont des mots corrompus couvrant »un péché », celui de la convoitise. En quoi consiste-t-il ? A croire que ce que autrui possède ne devrait pas être à lui mais à celui dont l’avidité a corrompu le coeur et l’esprit.
III. Le complexe de supériorité et l’extermination des Bantu
Le fondement métapolitique de ce »péché » est le complexe de supériorité entretenu par l’Occident collectif depuis 1885 (et même un peu tôt) au moment du partage de l’Afrique. Et certaines minorités5 africaines, instrumentalisées par les globalistes apatrides , sont des victimes consentantes de ce complexe et tiennent à tout prix à soumettre et à exterminer les majorités Bantu au coeur de l’Afrique. Tel est le complexe dont vivent Paul Kagame , plusieurs de ses disciples et son allié (Museveni) chargés de »la Renaissance Africaine » depuis les années 1990.
Ignorer le fondement métapolitique de la guerre par morceaux menée contre le Kongo-Kinshasa et l’Afrique et pointer du doigt un petit pays instrumentalisé par des globalistes apatrides peut facilement conduire à une autoflagellation stérile.
Dans ce contexte, la politique étrangère des globalistes apatrides s’est révélée être une participation à la prolongation de la douleur, de la souffrance et de la mort au coeur de l’Afrique. Cynthia McKinney y fait allusion dans une lettre adressée à Bill Clinton. Elle écrit ce qui suit : « Malheureusement, je me vois dans l’obligation de vous informer qu’en RDC, comme en Afrique en général, des crimes se commettent, avec apparemment (sic) l’aide et l’apport de votre administration. Je tiens à vous dire que la politique des Etats-Unis a échoué (sic) en RDC…Le résultat est une politique africaine brouillonne, désordonnée, un continent à vif et la complicité des Etats-Unis dans les crimes contre l’Humanité. 6»
Ignorer le fondement métapolitique de la guerre par morceaux menée contre le Kongo-Kinshasa et l’Afrique et pointer du doigt un petit pays instrumentalisé par des globalistes apatrides peut facilement conduire à une autoflagellation stérile. Cela peut être interprété comme une complicité avec les forces de la mort.
Donc, lorsque la mémoire collective tombe dans l’amnésie, il est toujours souhaitable de revenir aux sources pour éviter de reconduire les nominations piégées et désorientatrices de cette guerre par morceaux.
La nommer agression du Kongo par le Rwanda ne suffit pas si cela sert à cacher tout l’apport des américaines eux-mêmes et d’autres occidentaux pour sa meilleure approche.
Pour conclure ; guerre perpétuelle et relecture de l’histoire
Cette guerre perpétuelle sollicite constamment l’intelligence collective kongolaise et africaine. Car elle est fondamentalement une guerre contre l’intelligence. Aussi ne vise-t-elle pas seulement la dépopulation du Kongo-Kinshasa mais aussi celle de l’Afrique en recourant à »la politique du diviser pour régner » et aux jeux des coulisses anglo-saxonnes dont bénéficient plusieurs guerres par procuration.
Soutenir aujourd’hui que »Fatshi béton » est le premier détenteur du »pouvoir-os » à dire tout haut que le Kongo-Kinshasa est agressé par le Rwanda participe de la falsification de l’histoire et de la désorientation des masses populaires.
Soutenir aujourd’hui que »Fatshi béton » est le premier détenteur du »pouvoir-os » à dire tout haut que le Kongo-Kinshasa est agressé par le Rwanda participe de la falsification de l’histoire et de la désorientation des masses populaires.
Heureusement que l’ouverture de l’espace public kongolais au débat pluriel est en train de corriger cette approche minimaliste. Les mémos déposés à certaines ambassades en témoignent.
Cela étant, cette guerre par morceaux devrait nous apprendre à exceller dans l’art de bien identifier l’adversaire et la nature de l’adversité, comme ne cesse de le soutenir Mufoncol Tshiyoyo. Cela pourrait être d’une aide certaine dans la réponse collective, patriote et souverainiste à y apporter et dans le choix des partenaires stratégique et économiques. Elle devrait nous apprendre à occuper utilement et collectivement les terres kongolaises de façon à les protéger des assauts des vautours. Elle nous enseigne qu’elle a une dimension spirituelle à approfondir en nous invitant à guérir de toute convoitise et de tout complexe d’infériorité pour ne pas faire le jeu de l’adversaire. La voie de la dénéocolonisation passe aussi par-là. La résilience, le courage, l’esprit d’abnégation, etc. sont des vertus à cultiver majoritairement en ces temps de transition mondiale entre le monde unipolaire sur le déclin et le monde multipolaire souffrant de graves douleurs d’enfantement.
S’habituer à lire et à relire ensemble notre histoire est indispensable à la refondation du Kongo-Kinshasa sur des bases info-formées. L’exercice fait dans cet article à partir d’un livre de Charles Onana peut l’être au moyen de plusieurs livres écrits sur cette guerre par des compatriotes et même des amis occidentaux. A titre illustratif, en voici quelques-uns :
J. KANKWENDA MBAYA et F. MUKOKA NSENDA (éd), La République Démocratique du Congo face au complot de balkanisation et d’implosion, Kinshasa, Icredes, 2013
FWELEY DIANGITUKA (sous la direction de), Les Congolais rejettent le régime de Kabila, Vevey, Editions Monde nouveau:Afrique nouvelle, 2015
J. HOGARD, Les larmes de l’honneur. 60 jours dans la tourmente du Rwanda, Paris, Hugo et Compagnie, 2016
J. REVER, Rwanda. L’éloge du sang, Paris, Max Milo, 2020
Babanya Kabudi
Génération Lumumba
1C. ONANA, Ces tueurs tutsi. Au coeur de la tragédie congolaise, Paris, Duboiris, 2009, p. 162.
2Ibidem, p. 162-163.
3Ibidem, p. 7
4Ibidem.
5Plusieurs guerres par procuration menées par les globalistes apatrides ont toujours instrumentalisé les minorités. Lire P. DALE SCOTT, La machine de guerre américaine. La politique profonde, la CIA, la drogue, l’Afghanistan, Paris, Demi-lune, 2012.
6Ibidem, p. 16.