Par Jean-Pierre Mbelu
Comme en 1960, les élites congolais(es) du statu quo ne sont pas prêtes à défendre les intérêts des Congolais(es) (les terres, les mers, les forêts, les matières premières stratégiques et la matière grise précieuse). Elles font comme si »Kabila est le mal congolais » était une idéologie. Or, elles tout comme leurs amis de »la kabilie » sont »les agents au service du néolibéralisme » et de son fondamentalisme du marché. Que les élections aient lieu un peu plus tôt ou un peu plus tard, ces élites évidées de toute capacité de pensée une idéologie alternative risquent de se succéder sans rien apporter de consistant aux masses populaires congolaises. Comme en 1960, elles n’ont pas été formées à des idéologies alternatives ; par exemple, à une économie solidaire.
Quand le Congo-Kinshasa accède à son indépendance formelle le 30 juin 1960, l’une des remarques formulée à l’endroit de la Métropole est de n’avoir pas pris le temps de former les élites capables de gérer par eux-mêmes leur pays. Avec un peu de recul, cette remarque peut être revue et corrigée.Comment pouvait-il être possible, à une force conquérante et colonialiste, de préparer des élites de substitution ? Cela d’autant plus qu’elle n’avait aucune intention d’abandonner sa colonie.
Luttes tricontinentales et pensées alternatives
Et puis, cette remarque ne tient du tout pas compte du fait que les autodidactes ayant accepté de se ressourcer à la pensée marxiste furent soupçonnées d’être de connivence avec »le communisme ». C’est-à-dire d’être de mèche avec la pensée alternative au capitalisme et inspirée (entre autres) par la révolution de 1918. Lumumba va en payer un prix très fort. Ses contacts avec Nkrumah, Nasser, Moumié, Frantz Fanon, etc. n’ont pas été vus d’un bon œil par »les petites mains du capital ».
Rappelons que ces dignes fils de l’Afrique rencontrés par Lumumba étaient porteurs de toute une lutte »tricontinentale » fondée sur des pensées alternatives à la pensée dominante.
L’assassinat de Lumumba est un signal fort. Il nous apprend qu’à son indépendance, le Congo-Kinshasa a eu un premier Ministre et des proches ayant d’autres sources d’inspiration que la pensée capitaliste dominante. Avoir approfondi une idéologie différente du capitalisme a été fatal pour Lumumba. « Il n’était pas du bon côté de l’histoire ».
Dans sa lettre à sa femme, Pauline, Lumumba rappelle que »nous ne sommes pas seuls ». Il fait une référence implicite à la Tricontinentale, aux luttes portées par l’Asie, l’Amérique latine et l’Afrique et alimentées par des rencontres soutenues des élites politiques et intellectuelles de ces trois continents. Sur cette question, il y a lieu de lire avec beaucoup d’intérêt, »La Tricontinentale. Les peuples du tiers-monde à l’assaut du ciel » de Saïd Boumama (2016).
Disons tout de suite que l’ assassinat de Lumumba est un signal fort. Il nous apprend qu’à son indépendance, le Congo-Kinshasa a eu un premier Ministre et des proches (Kashamura et Gizenga) ayant d’autres sources d’inspiration que la pensée capitaliste dominante. Avoir approfondi une idéologie différente du capitalisme a été fatal pour Lumumba. »Il n’était pas du bon côté de l’histoire ». Qui le remplace ? Quelle était l’idéologie politique de Mobutu ou de Tshombe dans les années 1960 ? Quelle était-elle ? Les témoins de notre histoire collective peuvent nous informer.
A notre avis, »la désorientation existentielle » provoquée par l’assassinat de Lumumba a sonné le glas de la recherche d’une pensée politique alternative au capitalisme.
»Ses petites mains averties » ont créé, dans les années 50, le Bilderberg, pour contrer la pensée »tricontinentale » ; et plus tard, vers les années 1970, la Trilatérale, pour véhiculer, à travers les écoles et les universités, à travers les médias dominants, l’idéologie du turbo-capitalisme (et plus tard du néolibéralisme) comme »pensée (unique) indépassable. »There is not alternative », dira Mme Albright, forte du soutien de Ronald Reagan au Consensus de Washington, véritable »Evangile » du fondamentalisme du marché.
Empêcher l’irruption des masses populaires dans la sphère publique
Rappelons, donc, que pour combattre les idées alternatives de trois continents, soucieux de rompre avec l’ensauvagement capitaliste, deux autres continents et un pays asiatique dénommé »l’empire de l’intelligence » (l’Europe, l’Amérique et le Japon) ont cherché à anéantir leurs efforts (intellectuels) en créant la Trilatérale. Celle-ci devait, forte du soutien de ses »experts », empêcher l’irruption des masses populaires dans la sphère publique en faisant de l’école, des églises, de l’université et des médias les lieux de la fabrication des citoyens apathiques. Les »experts » de la Trilatérale avaient (et ont encore) une mission : transformer les citoyens en simples consommateurs des produits du marché et faire des oligarques du marché »les nouveaux maîtres du monde ».
Depuis les années 1970, le capitalisme ensauvagé est resté l’idéologie dominante. La montée du »socialisme du XXI ème siècle » en Amérique latine vers les années 1998-2000 le pousse à transformer cette partie du monde en un champ de »guerres par morceau ». Le Brésil, le Venezuela, la Bolivie, l’Equateur, etc. en paient le prix. Un prix très fort.
Les actuels « bons gouvernants africains » sont ceux qui, sans penser par eux-mêmes, ouvrent l’Afrique aux circuits dominants du fondamentalisme du marché. Et le débat politique s’est appauvri et réduit aux invectives à l’endroit de quelques « nègres de service » de « la démocratie du marché ».
En Afrique, le colonel Khadafi a voulu, avec certains de ses pairs, tracer une autre voie. Il a été assassiné. Les actuels »bons gouvernants africains » sont ceux qui, sans penser par eux-mêmes, ouvrent l’Afrique aux circuits dominants du fondamentalisme du marché. Et le débat politique refuse de revendiquer ses racines tricontinentales. Il s’est appauvri et réduit aux invectives à l’endroit de quelques »nègres de service » de »la démocratie du marché ». Ils réclament les élections, non pas pour proposer aux masses populaires de faire irruption en politique ; mais plutôt pour leur proposer un système parlementaro-bourgeois gagné à la pensée néolibérale. Ils répètent, à la suite de Madeleine Albright, qu’il n’y a pas d’alternative au capitalisme ensauvagé avec son lot de terrorisme, d’oppression et de répression ; d’avilissement et d’assujettissement des pans entiers des populations.
Disons que comme au cours des années 1950-1960, plusieurs pays africains n’ont pas formé leurs élites à avoir des systèmes alternatifs au turbo-capitalisme.
Au Congo-Kinshasa, les disciples du »solidarisme » sont en train de se laisser gagner par »l’amélioration du climat des affaires ».
Donc, comme en 1960, les élites congolais(es) du statu quo ne sont pas prêtes à défendre les intérêts des Congolais(es) (les terres, les mers, les forêts, les matières premières stratégiques et la matière grise précieuse). Elles font comme si »Kabila est le mal congolais » était une idéologie. Or, elles tout comme leurs amis de »la kabilie » sont »les agents au service du néolibéralisme » et de son fondamentalisme du marché. Que les élections aient lieu un peu plus tôt ou un peu plus tard, ces élites évidées de toute capacité de pensée une idéologie alternative risquent de se succéder sans rien apporter de consistant aux masses populaires congolaises. Comme en 1960, elles n’ont pas été formées à des idéologies alternatives ; par exemple, à une économie solidaire. Elles ne se sont pas formées à penser autrement ; en marge du turbo-capitalisme. Elles ont parmi elles des ex-employés des tueurs à gages économiques que sont le FMI et la Banque mondiale prônant »le Plan Marshall ». Ce plan ayant transformé l’Europe en une caniche des USA. Ces élites font comme si notre avenir était dans le passé décrié des autres. Mawa plein ! Dieu merci ! »Le petit reste » veille.
Babanya Kabudi
Génération Lumumba 1961