Par Boniface Musavuli.
A priori deux pays et deux peuples n’ayant rien à voir l’un avec l’autre. La République Démocratique du Congo et la Syrie. Sauf d’être les cibles concomitantes de l’Amérique et de ses alliés militaires. Quelles que soient les explications qui pourront être fournies pour justifier ces actions, les Etats-Unis se révèlent être un empire militaire assez inquiétant. Mais l’occasion tombe à point nommé. Il était temps de savoir ce que subit un peuple, les Congolais, meurtri de façon récurrente dans le silence de la communauté internationale par deux alliés des Etats-Unis. Les attaques rwando-ougandaises devaient être menées juste pendant que Washington « absorbe » l’actualité internationale.
Il a fallu du temps pour relever de troublantes coïncidences entre les emballements médiatiques déclenchés par Washington et les déclenchements des opérations armées contre le Congo à partir du Rwanda et de l’Ouganda, deux puissants alliés du Pentagone en Afrique accueillant des coopérants militaires américains. La dernière semaine du mois de septembre a été marquée par une montée de fièvre, Washington s’apprêtant à mener des frappes contre la Syrie. C’est exactement le moment que choisit le Rwanda pour dépêcher plusieurs bataillons sous le couvert du M23 dans l’Est du Congo etbombarder la ville de Goma en violation de plusieurs règles du droit international dont la Charte de l’ONU prohibant les actes d’agression et les dispositions du Statut de Rome sur les crimes de guerre et crimes contre l’humanité (bombardement des populations civiles). L’opération est« heureusement » un tragique fiasco pour Kigali, l’armée congolaise et les troupes tanzaniennes de la brigade d’intervention de l’ONU ayant réussi à repousser l’agression. C’est aussi le moment que choisit l’Ouganda, à la grande surprise des Congolais, pour franchir la frontière et occuper le territoire de Mahagi au Nord-Est du Congo. La violence des attaques et leur coordination interpellent. Hasard de calendrier ? Sûrement pas.
De troublantes coïncidences
Il y a près d’un an, en novembre 2012, les armées rwandaise et ougandaise avaient lancé une opération éclair dans l’Est du Congo sous couvert du M23 qui se termina par la prise de Goma. Personne n’avait relevé que les médias internationaux étaient absorbés par la campagne présidentielle américaine. On avait tenu l’opinion internationale en haleine sur une possible défaite de Barack Obama face à Mitt Romney, juste ce qu’il faut pour passer sous silence la fulgurante opération que les deux alliés militaires des Etats-Unis, Museveni et Kagamé, menaient dans l’Est du Congo. Un hasard de calendrier là aussi ?… Certainement pas.
En tout cas, les coïncidences se multiplient et ne laissent guère de place à l’hypothèse de simples hasards de calendrier.
Il y a cinq ans, en octobre-novembre 2008, le CNDP, l’ancêtre du M23, moribond quelques semaines seulement auparavant, s’était révélé d’une puissance de feu étrangement déroutante. L’armée congolaise fut balayée au bout de quelques jours de combats. Des milliers de soldats et de civils congolais furent jetés dans la nature, terrifiés par des massacres comme celui de Kiwanja. Les autorités congolaises signèrent un véritable acte de capitulation que sont les fameux accords du 23 mars 2009 et acceptèrent, sur instruction de l’administration Obama[1], l’entrée des bataillons rwandais sur le territoire congolais. Officiellement pour traquer les rebelles hutus rwandais des FDLR. L’accord fut en réalité un piège qui permit au Rwanda de disposer d’une véritable armée parallèle dans l’Est du Congo comme cela a fini par être révélé. Une armée de chevaux de Troie en mission pour drainer les minerais de l’Est du Congo vers le Rwanda[2] où s’activent des multinationales impliquées dans le trafic des minerais de sang[3], anglo-saxonnes pour la plupart.
Ce qu’on a oublié de relever, c’est que cette humiliante déroute de l’armée congolaise se produisit au moment où le « monde entier » accompagnait le premier président noir à la Maison Blanche. Personne n’aurait imaginé que pendant ce grand moment de frénésie planétaire aux cris de « yes we can », des mains occultes orchestraient un énième carnage dans l’Est du Congo, à l’insu de l’opinion internationale. Une fois la fièvre électorale retombée aux Etats-Unis, plus un seul coup de feu ne fut tiré par les combattants rwando-ougandais. Du moins, jusqu’à la « prochaine occasion ».
Les mystères de la Première Guerre du Congo
Ça commence à faire beaucoup. Il semble que dès la Première Guerre du Congo, il fallait relever le lien entre les grands moments de l’actualité internationale « orchestrée » par les Etats-Unis et le lancement des opérations militaires contre le Congo.
En effet, on s’est longtemps demandé comment un pays de la taille du Rwanda, qui sortait d’une guerre qui l’avait saigné sur le plan démographique et ruiné sur le plan économique, a pu acquérir la capacité de terrasser un mastodonte de la taille du Zaïre (90 fois plus grand que le Rwanda) et mené ses troupes jusqu’à Kinshasa, en moins de six mois. Les recherches entreprises plus tard ont révélé que plusieurs pays avaient été mêlés à l’atroce « aventure ». Mais la vitesse avec laquelle cette coalition s’était formée laissait perplexe. Des mains secrètes avaient tout entrepris pour que des Rwandais, des Ougandais, des Burundais, des Angolais, des Zimbabwéens, et surtout des Américains, des Britanniques et même des Israéliens se retrouvent tout d’un coup ensemble, à ce moment précis, pour mener l’assaut contre le Zaïre du Maréchal Mobutu.
Là aussi, un hasard de calendrier ? Surtout pas ! Le « monde entier » était alors scotché devant les écrans pour « accompagner » Bill Clinton vers son second mandat face au républicain Bob Dole. Personne, ou presque, ne prêta attention à la boucherie qui se déroulait dans les forêts du Congo et à une intense, mais discrète, activité de l’armée américaine dans la région des Grands Lacs. Personne n’avait prêté attention àl’intérêt croissant des Etats-Unis pour les ressources du Continent africain, exprimé quelques années plus tôt par l’administration Clinton et aux effets dévastateurs que ces intérêts étaient au point de produire sur le Congo, pays particulièrement visé par Washington. Personne ne prêtait attention aux dirigeants avec qui les Etats-Unis faisaient alliance en Afrique (Museveni et Kagamé) et à la calamité qu’ils mijotaient contre le Congo et qu’il a fallu quelques années pour commencer à comprendre[4].
Lorsque la pression médiatique retombe, et que Bill Clinton finit de s’installer confortablement dans son second mandat, le dernier coup de feu a été tiré au Congo. Tout redevient calme. Sauf que le Haut-Commissariat des Nations-Unies pour les Réfugiés (HCR) ne retrouve plus ses réfugiés hutus. Entre 100.000 et 400.000 d’entre eux ont disparu, comme avalé par un trou noir. Les témoignages sont étouffés, discutables, mais lorsqu’on met la main dessus, on imagine aisément l’ampleur de l’horreur qui vient de se dérouler, à une « vitesse éclair », dans les forêts du Congo. On sait seulement que les auteurs de ce massacre « de haute volée » n’ont jamais été inquiétés. Ca, au moins, ça ne peut pas être le fait du hasard, les crimes ayant bel et bien été commis. Il faudra attendre 2010, c’est-à-dire 14 ans, pour que les enquêteurs de l’ONU produisent un premier rapport[5], assez timide, mais suffisant pour ouvrir juste une lorgnette sur cette effroyable « exploit militaire ». Moins de six mois… Il doit y avoir un chef d’orchestre doué d’un génie froid derrière ces menées macabres.
SOS pour les populations du Congo !
On est naturellement dérouté par l’idée que « la plus grande démocratie du monde » puisse être mêlée[6] à ces guerres de massacre. Mais on ne peut pas non plus ne pas soulever des interrogations sur Washington qui dispose de coopérants militaires très entreprenant[7] au Rwanda et en Ouganda. Museveni et Kagamé peuvent-ils vraiment envoyer des troupes à répétition dans l’Est du Congo à l’insu du Pentagone et des coopérants militaires américains ? Des questions embarrassantes, mais qui devraient susciter l’extrême vigilance sur le sort des Congolais. En tout cas, il va falloir désormais surveiller l’actualité internationale dominée par les Etats-Unis. Que les dirigeants américains soient de bonne foi ou pas, par rapport aux tragédies à répétition qui déciment femmes et enfants dans l’Est du Congo, les coïncidences deviennent suffisamment inquiétantes pour que l’histoire à venir du Congo, face aux Etats-Unis, puisse faire l’objet d’une rigoureuse surveillance. Ne serait-ce que par compassion pour les populations innocentesde l’Est du Congo qui ne demandent qu’à vivre et qui méritent meilleur traitement de la part des« grands pays civilisés ».
Paranoïaque ou échaudé à raison ?
On peut déjà commencer à s’inquiéter pour 2016, une année annoncée pour être à risque. Le Président Kabila finit son second mandat et on ne sait toujours pas s’il envisage de se maintenir au pouvoir. Mais surtout, de l’autre côté de l’Atlantique, le Président Obama va céder son fauteuil, limitation à deux mandats oblige. Coïncidence explosive… Pour une fois, les « amis » du peuple congolais seraient bien inspirés de ne point se passionner pour la campagne présidentielle américaine. C’est le contexte idéal dont profitent les « bouchers » de tous poils pour massacrer des populations sans défense dans l’Est du Congo. Mais en attendant 2016, il va falloir suivre avec attention une possible intervention américaine en Syrie. On sait que le Rwanda, allié de Washington, masse des troupes dans la ville frontalière de Gisenyi[8]. Au premier bombardement en Syrie, ces troupes pourraient déferler sur Goma.
Et il y a déjà des indices qui devraient inquiéter au plus haut point. L’envoyée spéciale de l’ONU, Mary Robinson, proche de Londres et Washington, répète à qui veut l’entendre qu’il faut une solution négociée à la crise actuelle de l’Est du Congo[9]. Que faut-il négocier avec les individus qui ont largué des bombes sur la population de Goma et de Gisenyi ? Que faut-il négocier avec les individus qui avaient pillé Goma en novembre 2012 et violé des dizaines de femmes[10] ? Faut-il que le Congo réintègre dans son armée de nouveaux Ntaganda qui ont longtemps paralysé le pays sur le plan de la défense ? Les appels à la négociation laissent les Congolais perplexes. On demande l’impensable à un peuple, mais ce n’est pas le sujet qui devrait retenir l’attention. Il faut penser à une prochaine attaque qui se prépare, les discours sur une « solution négociée » ne servant qu’à distraire l’armée et la population pour faciliter la victoire aux armées d’agression.
Décidément, le Congo est la cible de trop de coups fourrés et de complots meurtriers qui commencent seulement à livrer quelques indices. Le péril est que trop de monde s’y trouve mêlé.
On s’est longtemps demandé comment est-il possible qu’au 21ème siècle la mort de six millions de personnes passe quasiment à l’insu de l’opinion internationale. Il n’est pas rare, de se retrouver en Occident avec des gens qui ne savent même pas situer la République Démocratique du Congo sur la carte.Le pays où se déroule le plus grand massacre du monde est un illustre inconnu de l’actualité internationale. On commence à y voir clair.
En faisant coïncider les attaques contre le Congo avec les grands moments de l’actualité internationale, on a chaque fois créé un épais rideau de fumée que l’opinion internationale peine toujours à percer. Quel média serait aujourd’hui audible en parlant du M23 pendant que le monde retient son souffle dans l’angoisse d’une possible attaque américaine contre la Syrie ? Et pourtant des dizaines[11], voire des centaines de soldats rwandais viennent de périr dans les batailles au nord de Goma. Une bérézina qui aurait pu « bénéficier » d’une couverture médiatique planétaire. Incognito… Sauf pour les familles des soldats rwandais.
Mais qui aurait imaginé une telle coordination des opérations armées contre deux pays si différents (RD Congo et Syrie). Des agents au Pentagone ?
On aboutit à l’angoissante conclusion que les massacres des populations dans l’Est du Congo, depuis maintenant 17 ans, ont les allures d’un « chef-d’œuvre » ultra-macabre réalisé de main de maître suivant un timing rigoureusement calibré.
Effrayant…
Boniface Musavuli