L’analyste politique Jean-Pierre Mbelu décrypte le sens et les enjeux de concertations nationales qui ont débuté le 7 septembre 2013 à Kinshasa, montre comment le gouvernement fantôche de Kinshasa s’attache à falsifier l’histoire récente du Congo, explique pourquoi la guerre au Congo n’est pas une guerre classique, mais plutôt une guerre en réseau, et nous apporte une lecture africaine et congolaise de la guerre en Syrie.
Sur l’objet des concertations nationales
Quelle est la légitimité qui permet à Jospeh Kabila de pouvoir convoquer les concertations nationales après les élections chaotiques de novembre et décembre 2011?
Il y a dans la convocation de ces concertations dites nationales une quête de légitimité, qui est au coeur des préoccupations de Kabila depuis qu’il a usurpé le pouvoir après l’assassinat de Laurent Désiré Kabila.
Ces concertations sont nulles et de nulle effet, et cela d’autant plus qu’elles ont été précédées par une rencontre à Kampala qui a falsifié notre histoire et qui remet autour d’une même table, le gouvernement fantôche de Kinshasa et un groupe de mercenaires au service du réseau transnational de prédation.
Sur le discours d’introduction des concertations nationales
Son discours fait partie de tous ces discours que Kabila débite depuis qu’il a usurpé le pouvoir et qu’il ne respecte jamais. Ce sont des propos pour amuser la galerie.
Comme il sait que plusieurs d’entre nous se laissent prendre par les discours, et ne prennent jamais le temps de confronter ses discours à la réalité, il continue avec ses discours surtout pour ceux qui ont fait le choix d’aller chercher un peu de sous, à ces concertations dites nationales.
Comment peut-on prétendre aller aux concertations nationales après avoir enfermé arbitrairement certains acteurs politiques en prison (sans que leur immunité ait été levée)?
Comment peut-on prétendre aller aux concertations nationales de manière apaisée pendant que 99% de notre population se partage 1% de la richesse que le Congo produit tandis que les 99% sont accaparées par le réseau transnational de prédation.
Au Congo, il n’y a pas de justice sociale, il n’y a pas d’effort concerté pour que nos populations puissent subvenir à leurs besoins élémentaires (eau, emploi, santé, éducation, logement, alimentation).
Sur l’opposition politique aux concertations nationales
Il y a sans doute des compatriotes qui, avec les moyens du bord, essaient de se battre pour remettre le pays sur les bons rails. Mais il ne faut pas oublier que cette opposition fait partie du système qui avilit nos populations. Majorité ou opposition, pour beaucoup, sont des oiseaux de même plumage, issus des différentes rébellions créées par Museveni et Kagamé. Ils font partie de ce réseau de prédation dénoncé dès 2002 par le rapport Kassem du groupe des experts de l’ONU.
Par ailleurs, avons-nous réellement des forces acquises au changement capables de planifier des actions qu’ils peuvent poser sur le court, moyen et long terme sans situer dans cette position de toujours réagir à ce que le gouvernement fantôche de Kinshasa peut faire?
On a toujours l’impression que ces « forces du changement » attendent que le gouvernement fantôche agisse pour réagir. Il faut être proactif et non réactif.
Sur la place de ces concertations nationales dans notre histoire commune
Tant que la vérité, la justice ne seront pas dites et faites sur ce qui s’est passé dans notre pays à partir de la guerre de basse intensité qui nous a été imposée depuis les années 1990, de manière officielle et sur la place publique, nous risquons de ne pas beaucoup avancer. Il y a eu et il y a des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité au Congo, il y a des rapports qui ont été produits… L’effort qui est déployé aujourd’hui, avec notamment ces concertations nationales, a pour but de torpiller, falsifier et même effacer toute ces histoires.
Sur le refus de Kamerhe de participer aux concertations nationales
Il y a une cohérence dans le discours de l’UNC, mais Comme Kamerhe a participé à la conclusion de plusieurs accords dans notre pays, il n’aborde pas les questions de fond. Les textes de l’UNC ne questionnent pas les accords sur lesquels Vital Kamerhe et son parti fondent leur argumentaire.
Qui fabrique ces accords que les acteurs congolais ou ceux qui leur sont assimilés signent? Pourquoi certains acteurs de la communauté dite internationale sont-ils exclus de la fabrication de ces accords là?
On confectionne les accords ailleurs et ensuite, on demande aux acteurs politiques congolais (ou ceux qui en font office) de pouvoir les signer et les appliquer.
Nous voyons tous ce qui se passe en Syrie. On nous dit, il y a eu usage d’armes chimiques, on doit punir la Syrie, d’une part, et d’autre part, ceux qui ont tué chez nous, plus de 6 millions de congolais ne sont ni inquiétés ni bombardés…Et certains continuent de croire que c’est avec ces gens-là qu’on va pouvoir tabler sur des accords et trouver des mécanismes de sortie de ce qu’on appelle « crise ».
Il faudrait que Kamerhe se rende compte que ce sont les mêmes qui soutiennent les agresseurs du Congo qui de temps en temps, écrivent ces accords et rapports et les imposent aux congolais.
Sur la guerre en réseau
La guerre au Congo n’est pas une guerre classique, avec le Rwanda et l’Ouganda qui attaquent et le Congo qui riposte. Non. C’est une guerre menée en réseau. Le réseau traverse le Rwanda, l’Ouganda, le Burundi et le Congo (et certains autres pays comme l’Afrique du Sud). Vous avez des acteurs dans tous ces pays là qui participent à cette guerre d’usure et de prédation. Ainsi, à chaque fois qu’une contre-attaque congolaise est organisée, celle-ci est déstructurée de l’intérieur.
Ce qu’il nous faut faire, c’est d’abord démanteler le réseau, identifier les acteurs qui opèrent au sein de ce réseau, identifier les événements profonds. C’est ce réseau tentaculaire qui provoque la violence pour pouvoir créer la violence et justifier la permanence de cette guerre d’usure et de basse intensité.
Sur la stratégie de Paul Kagamé
Kagame partage certaines stratégies avec ses parrains. Comme la stratégie de fabrication des événements profonds. Les événements profonds étaient des prétextes fabriqués de toutes pièces par les membres d’un réseau donné pour justifier 1. la création de la riposte violente, 2. l’entretien d’une guerre permanente, 3. la prédation.
Cette stratégie consiste aussi à créer des événements profonds pendant les temps de paix. C’est ainsi qu’il a procédé avec l’AFDL, le RCD, le CNDP et le M23.
Sur la rencontre Kabila/Kagamé à Kampala
Il est plus important de se concentrer sur le fonctionnement du réseau que de se focaliser sur la personnalité de Kabila. L’efficacité de ce réseau transnational de prédation est liée à ces rencontres, à des échanges entre ces membres. Se focaliser sur la rencontre ou non de Kabila et Kagamé à Kampala, c’est faire comme si les membres de ce réseau ne devaient pas communiquer entre eux. Ils communiquent et pas qu’à Kampala. Ils sont en contact permanent parce qu’ils doivent faire fonctionner le réseau.
Ainsi nos militaires qui meurent au front, ne meurent pas pour le Congo. Ils meurent pour la protection des industries qui exploitent les matières premières du Congo à moindre frais. Ils sont instrumentalisés par le réseau pour faire croire qu’ils meurent pour le Congo, voire le Rwanda ou l’Ouganda.
Sur la lecture africaine et congolaise de la crise en Syrie
1ère leçon: Nous devrions nous habituer à consulter les médias alternatifs. Nous sommes trop prisonniers de médias dominants qui font partie des médias mensonges et qui sont pour la plupart les médias de ceux qui orchestrent les guerres à travers le monde.
2ème leçon: C’est la fin du monde unique. Les ex-grandes puissances ont beau crier chercher à punir mais il y a une réalité qui est en train d’exploser en plein jour, c’est la fin du monde unipolaire. Le fait que les USA ont du mal avec la Chine et la Russie au conseil de sécurité de l’ONU prouve que nous sommes en train de participer à la naissance d’un monde multipolaire. Ni les USA, ni la Grande-Bretagne, ni la France, aucun de ces 3 pays n’est capable aujourd’hui d’intervenir en Syrie, seul.
3ème leçon: Toutes ces guerres de prédation ont comme fondement des mensonges. Ceux qui fabriquent ces guerres sont pour la plupart des capitalistes sans scrupules et ils ont perdu toute base, tout fondement éthique.
4ème leçon: Nous congolais, nous devons apprendre à rompre avec des stratégies qui nous enferment dans le monde d’avant ce monde multipolaire. Nous travaillons trop avec les grandes puissances sur le déclin et nous devrions développer davantage des orientations stratégiques en direction des puissances qui aujourd’hui évoquent le respect du droit international.
5ème leçon: Nous sommes en train de tendre vers un monde où la paix ou risque de l’emporter sur la guerre. Les opinions publiques des pays occidentaux ont prouvé de plus en plus qu’elles sont contre la guerre et que nous devrions emboîter le pas à ces opinions qui s’expriment aujourd’hui sans aucune crainte.
« 5ème leçon: Nous sommes en train de tendre vers un monde où la paix ou risque de l’emporter sur la guerre. Les opinions publiques des pays occidentaux ont prouvé de plus en plus qu’elles sont contre la guerre et que nous devrions emboîter le pas à ces opinions qui s’expriment aujourd’hui sans aucune crainte. »
Pertinente observation, J.P. Mbelu. L’opinion des peuples des grandes puissances se détache de plus en plus de leurs pouvoirs politiques, en pleine dérive oligarchique, pour se rapprocher des opinions des peuples du reste du monde. Dans le cas du Congo, il semble que le terrain se dégage de plus en plus et qu’il y a des opportunités à saisir. A la seule condition que les Congolais cessent de percevoir la guerre du Congo comme une guerre des « pays occidentaux » contre les pays du sud, ou, pour faire simple, une guerre des « Blancs » contre les « Noirs ». La lutte des Congolais, tout en gardant un profond encrage national, devrait s’associer à la lutte des peuples en butte aux dérives des oligarchies du capitalisme de désastre. Un fléau mondial.