Par Jean-Pierre Mbelu
« Les grands changements sont moléculaires, imperceptibles. » – L. CANFORA
Mise en route
Les jeunes kongolais luttent depuis une dizaine d’années afin que les victimes kongolaises de la guerre raciste de prédation et de basse intensité orchestrée contre le pays de Lumumba ne puissent pas tomber dans l’oubli. Il y a deux jours, le 02 août 2023, cette date a été officiellement retenue pour que, désormais, l’amnésie ne l’emporte sur la mémoire vivante du « génocide silencieux » dont les Kongolais(es) souffrent depuis plus ou moins trois décennies.
Une victoire de la jeunesse kongolaise et sa signification
« Les luttes perdues sont celles que l’on ne mène pas », dit-on. Donc, à forcer de persévérer, les jeunes initiateurs du Genocost et « le mouvement des survivants » ont fini par convaincre les officiels kongolais de rejoindre la lutte qu’ils mènent depuis plusieurs années afin que le pays puisse être refondé sur une « éthique reconstructive ».
Que signifie cette victoire ? Elle symbolise un renversement des rapports de force opposant les gouvernants kongolais depuis plus de trois décennies et les compatriotes susmentionnés au sujet de la dénomination collective de « l’holocauste au Congo ». Le dénommer officiellement « génocide kongolais » et non « dégâts collatéraux » consécutifs au « génocide rwandais » est un pas important.
En effet, victime d’une guerre par procuration injustement imposée par les globalistes apatrides au travers de leurs laquais de service interposés, le Kongo-Kinshasa a besoin d’être refondé sur les valeurs de justice, d’équité, de vérité, de solidarité et de paix.
Cette refondation a besoin d’être portée par les consciences éveillées au sujet du danger que court le pays : son dépeuplement et la réification de la vie de ses filles et de ses fils.
Telle est la bataille que viennent de gagner plusieurs compatriotes appartenant au mouvement dénommé »Conscience Congolaise pour la paix », à la résistance kongolaise, aux associations de la société civile et tous ces jeunes mobilisés comme un seul homme et allumant une bougie depuis une dizaine d’années afin de dire aux victimes du Genocost qu’elles ne seront jamais oubliées.
Que signifie cette victoire ? Elle symbolise un renversement des rapports de force opposant les gouvernants kongolais depuis plus de trois décennies et les compatriotes susmentionnés au sujet de la dénomination collective de « l’holocauste au Congo ». Le dénommer officiellement « génocide kongolais » et non « dégâts collatéraux » consécutifs au « génocide rwandais » est un pas important. Célébrer ce « génocide » sur toute l’étendue du territoire et dans la diaspora, c’est s’engager, collectivement à questionner la mémoire de la tragédie kongolaise afin de la rendre à la fois vivante et critique. Une mémoire critique et vivante est celle qui se fonde sur des récits communs partagés pour éviter de plonger la conscience collective dans l’amnésie et/ou dans le somnambulisme, la tenir éveillée afin de se prémunir contre la répétition de cette tragédie, de demander à ses auteurs de rendre des comptes, de les impliquer dans les mécanismes de réparation des crimes commis, de les sanctionner pour rompre avec l’impunité et accompagner les survivants dans leurs efforts de re-avoir le goût de la vie et du mieux-être-ensemble.
Une mémoire critique et vivante
Une mémoire critique et vivante a besoin d’être fondée sur des livres (et des célébrations commémoratives) pouvant participer de la production d’une culture commune et partagée indispensable à la création de la cohésion nationale.
Une mémoire critique et vivante a besoin d’être fondée sur des livres (et des célébrations commémoratives) pouvant participer de la production d’une culture commune et partagée indispensable à la création de la cohésion nationale.
En fait, les survivants ne sont pas que ceux et celles qui ont été les victimes directes et/ou indirectes du « génocide kongolais ». Non. Tous les Kongolais sont des survivants. Ils sont constamment exposés à la mort et à l’extermination. Pourquoi ?
La réponse économiciste à cette question ne semble pas aller au fond des choses. Elle met l’accent sur le mercantilisme et oublie qu’il se fait toujours accompagné du militarisme et du racisme.
Le mercantilisme-parasitisme est fondé sur les théories racialistes disqualifiant le nègre en général et le Kongolais en particulier de « l’humanité civilisée ». Cette thèse est le soubassement de la rationalité utilitariste, technique et instrumentale présidant à la réification permanente, continue et perpétuelle du Muntu Kongolais ( et de plusieurs autres peuples du monde) et à la production d’un « monde sans esprit » [1].
Pierre Péan [2] l’ayant compris et écrivant sur cette guerre de basse intensité imposée au pays consacre tout un chapitre aux fondements politico-historiques et culturels. Ce chapitre est intitulé « l’ « agenda » africains des grandes puissances » (p.127-149). Donc, la réponse économiciste au Genocost est insuffisante. Elle peut induire en erreur au point de conduire à la négligence du lien entre l’historique, la culturel, l’humanitaire, l’économique, le politique, etc.
Donc, c’est au niveau de ces différentes sphères du monde de la vie que la guerre par procuration se mène contre le Kongo-Kinshasa. Y rester attentif pourrait aidé le pays à renoncer à certaines « aides fatales ».
La journée du 02 août est un signe
Revenons à la victoire engrangée. Gagner la bataille de l’officialisation de la journée du 02 août comme journée commémorative du Genocost est un signe ne devant souffrir d’aucune récupération. Ce signe dit la possibilité qu’il y a à gagner certaines batailles à mains nues. A quelles conditions ?
Gagner la bataille de l’officialisation de la journée du 02 août comme journée commémorative du Genocost est un signe ne devant souffrir d’aucune récupération. Ce signe dit la possibilité qu’il y a à gagner certaines batailles à mains nues.
A condition d’avoir une bonne convergence des vues, de mobiliser une jeunesse volontariste, déterminée, info-formée sur les enjeux réels du pays ; de compter sur « les survivants » conscients de la tragédie kongolaise, de conserver ses archives et de persévérer sur le court, moyen et long terme afin que la cause défendue soit entendue.
Gagner la bataille du Genocost en 2023 donne raison à Luciano Canfora lorsqu’il soutient que « les grands changements sont moléculaires, imperceptibles ». Ils mettent du temps à pouvoir se réaliser. D’où l’importance du rôle indispensable joué par la culture historique et ses transmetteurs. Créer un mémorial est une des conditions nécessaires à l’entretien de la mémoire vivante et critique du Genocost. La fin de la guerre raciste de prédation et de basse intensité en dépend.
Conclusion : la Bible et les livres
Les Kongolais(es) ont une chance énorme. L’officialisation de la date du 02 août 2023 comme journée de la célébration du « génocide silencieux » des Kongolais(es) coïncide avec la publication du livre de Charles Onana intitulé « Holocauste au Congo. L’Omerta de la communauté internationale. La France complice ? » et celui de Michela Wrong ayant pour titre « Rwanda. Assassins sans frontières. Enquête sur le régime Kagame« . (Ils nous apprennent que les laquais de service sont aussi des assassins sans frontières. Tous les fils et toutes les filles du pays sont en danger permanent et partout.)
En plus des autres livres déjà publiés sur la tragédie kongolaise, ces deux pourraient accompagner l’entretien collectif de la mémoire vivante et critique. Une chose est vraie. Presque tous les Kongolais aiment lire la Bible. Ils pourraient les ajouter dans les rayons de leurs bibliothèques afin qu’au quotidien, après leur méditation « spirituelle », ils se recueillent en pensant au danger du dépeuplement et d’extermination auquel ils sont exposés. Et qu’ils sentent l’urgence qu’il y a à créer la cohésion sociale et nationale, à contribuer à la maturation d’une armée patriotique et souveraine, à former des forces d’autodéfense et travailler patriotiquement à la fin de la guerre que mènent les laquais de service contre le pays de Lumumba.
Babanya Kabudi
Génération Lumumba 1961
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[1] Lire R. GORI, Un monde sans esprit. La Fabrique des terrorismes, Paris, Les Liens qui libèrent, 2017.
[2] P. PEAN, Carnages. Les guerres secrètes des grandes puissances en Afrique, Paris, Fayard, 2010.