Le seul dialogue qui mérite notre attention est celui qui interviendra lorsque toutes les conditions seront réunies et lorsque le tyran, aux abois, cherchera un couloir de sécurité pour négocier réellement sa sortie. À l’heure actuelle, un compromis est impossible avec une dictature.
Confrontés à deux reprises à des régimes tyranniques, les Congolais se sont installés dans une attitude de soumission passive voire de servilité. D’autres parmi nous, habitués à jongler avec la dictature depuis le temps du maréchal Mobutu, ont vite conclu qu’il était, pour eux, plus utile de composer avec la nouvelle dictature, en espérant qu’en redevenant des caciques de l’autre dictature qu’ils n’ont pas eux-mêmes créée, il leur sera possible de cacher leur passé et de bénéficier des avantages du nouveau régime. Faute d’alternatives réalistes, cette option a particulièrement séduit les anciens Mobutistes et beaucoup d’autres jeunes intellectuels qui ont vite adhéré au PPRD (parti au pouvoir) et dans d’autres partis qui gravitent autour de la mouvance présidentielle. D’autres ont préféré restés fidèles à leur idéal de lutter pour une réelle libération démocratique de notre pays. Puis, les années ont passé, quelques partis qui se disaient de l’opposition ont finalement rejoint le régime tyrannique dans lequel ils ont occupé des postes importants, créant ainsi un doute dans le rang de ceux qui sont restés fermes dans leur choix de société.
La crise et le dialogue
Mais voilà, la mouvance présidentielle qui a triché aux élections de 2006 et à celles de 2011 n’arrive pas à gouverner la République à cause de son impopularité grandissante ; elle n’arrive pas à mettre fin au viol des femmes ni aux massacres à Beni, Lubero, Butembo et ailleurs. Pour gagner un peu en crédibilité et élargir le peu de légitimité qui lui reste, le régime tyrannique a organisé des concertations nationales à coût de millions. Mais, au lieu de respecter les recommandations faites par les concertateurs, le pouvoir a préféré les ignorer.
Se rendant compte qu’il arrive à la fin de son deuxième et dernier mandat, le chef de l’Etat a convoqué un dialogue national inclusif pour, dit-il, résoudre la crise. Mais de quelle crise s’agit et, s’il en existe une, qui en est à l’origine ? Suffira-t-il de participer au dialogue pour que la crise disparaisse comme par miracle ?
D’autres Congolais s’interrogent sérieusement en se disant : ne pourrions-nous pas être raisonnables et accepter d’aller au dialogue pour trouver des moyens de discuter, de négocier des solutions pour contraindre le pouvoir à abdiquer ? Il y a beaucoup de compatriotes qui croient naïvement qu’une dictature peut accepter de se retirer après des accusations proliférées contre elle pendant le dialogue, parce que, pensent-ils, elle aura reconnu publiquement la situation difficile à laquelle le pays est confronté. Ceux qui pensent ainsi connaissent mal la façon de raisonner des tyrans. Ils oublient qu’on n’a jamais vu dans l’histoire un régime tyrannique qui quitte le pouvoir parce que des dialogueurs lui ont demandé de démissionner. Un tel raisonnement frise la naïveté. Un tyran n’est jamais un homme de bonne foi. Il n’abdique que sous une très forte pression qui le mettra en danger s’il s’entête de garder le pouvoir. Donc, le dialogue n’aura de sens que si M. Joseph Kabila annonce officiellement qu’il respectera la Constitution en ne briguant pas un troisième mandat. Le reste n’est que perte de temps.
La mouvance présidentielle qui a triché aux élections de 2006 et à celles de 2011 n’arrive pas à gouverner la République à cause de son impopularité grandissante ; elle n’arrive pas à mettre fin au viol des femmes ni aux massacres à Beni, Lubero, Butembo et ailleurs. Pour gagner un peu en crédibilité et élargir le peu de légitimité qui lui reste, le régime tyrannique a organisé des concertations nationales à coût de millions.
La négociation est utile et elle est vivement recommandée dans certaines situations qui ne portent pas sur des questions fondamentales et sur lesquelles un compromis est acceptable, comme régler une grève, une mutinerie, etc. Pour ce genre de conflit, il est possible de trouver un point d’accord situé entre les propositions présentées par les parties prenantes en présence. Mais pour des questions de partage de pouvoir avec un régime tyrannique – questions étroitement liées à la vie et à la survie politique du régime tyrannique –, le dialogue et/ou la négociation est loin de régler ce genre de conflit parce que l’enjeu de la négociation concerne l’existence même des cruautés commises par la dictature et, en filigrane, la revendication des familles de victimes. Ce genre de dialogue tourne vite au procès lorsque le régime qui le convoque perd le contrôle.
En tout cas, la fin du mandat présidentiel prévu dans la Constitution est un sujet qui n’est pas négociable. Puisqu’il en est ainsi et puisque le détenteur du pouvoir a refusé jusqu’à présent de déclarer publiquement qu’il ne briguera pas un troisième mandat à la fin de son dernier mandat constitutionnel, le dialogue qui s’annonce est en réalité inutile. Il servira à amuser la galerie, certainement à justifier la nécessité d’accorder un troisième mandat au titulaire sortant et à brûler inutilement l’argent public. Donc, devant l’enjeu fondamental, d’une très grande importance, qui affecte le développement futur de la nation congolaise, aucune solution acceptable ne peut être trouvée par le dialogue, car cette question-là relève exclusivement du respect de la Constitution. Et, pour cette question, aucun compromis n’est possible car la Constitution y a déjà répondu.
Ce sont les rapports de force entre les parties prenantes qui déterminent l’issue d’un dialogue
La participation à un vrai dialogue s’obtient par le respect du droit. Or, dans le cas d’espèce, la Constitution n’est pas respectée – du moins jusqu’à présent. D’où l’inutilité du dialogue qui ne traitera pas la question la plus préoccupante, à savoir la fin du mandat présidentiel et l’organisation de futures élections, sans la candidature du président sortant. C’est cela l’enjeu, qu’on ne l’oublie pas.
L’opposition doit se rendre compte que la négociation ou le dialogue n’a jamais été un moyen réaliste pour renverser une puissante dictature lorsque celle-ci a pris l’habitude de ne pas respecter ses engagements et de réviser régulièrement la Constitution en sa faveur.
À quoi servira donc le dialogue ? À imposer la volonté gouvernementale aux dialogueurs ? N’oublions pas que ce sont les rapports de force entre les parties prenantes qui déterminent l’issue d’un dialogue ou d’une table ronde et jamais les bonnes intentions des acteurs en concertation.
Si le régime était sincère dans sa démarche, il aurait d’abord libéré les prisonniers politiques, organiser des procès contre ceux qui ont massacré la population, arrêter les opérations policières, reconnaître des erreurs comme les fraudes électorales antérieurs. C’est après cette démarche que le dialogue allait être convoqué et acceptée par tous. Or, rien de tout cela n’a été fait. Le pouvoir est resté dans son arrogance et dans son indifférence d’antan. À quoi servira donc le dialogue ? À imposer la volonté gouvernementale aux dialogueurs ?
N’oublions pas que ce sont les rapports de force entre les parties prenantes qui déterminent l’issue d’un dialogue ou d’une table ronde et jamais les bonnes intentions des acteurs en concertation.
Ne perdons jamais de vue que le candidat Joseph Kabila n’a pas respecté les résultats des élections de 2006 face au candidat Jean-Pierre Bemba et qu’en 2011, le même, Joseph Kabila, n’a pas respecté les résultats face au candidat Etienne Tshisekedi. À chaque étape, il a utilisé ses forces sur le terrain pour agir unilatéralement de manière non conforme aux résultats. Quels sont les moyens dont disposent les opposants pour faire respecter leurs revendications essentielles à l’issue du dialogue ? Que va-t-il se passer si M. Joseph Kabila refuse encore le résultat du dialogue ? Ces exemples pris dans un passé récent montrent, si besoin est, l’inutilité d’aller au dialogue.
Le médiateur international que l’on réclame tant pourra venir avec une seule intention : rouler les opposants dans la farine et repartir aussitôt, tout en étant heureux d’avoir réussi sa mission. Le médiateur international n’est donc pas une garantie sûre. Déjà la MONUSCO, qui est présente au Congo depuis plusieurs années, n’a jamais résolu la crise congolaise.
Le seul dialogue qui mérite notre attention…
Tout montre que la dictature, qui se croit encore très forte et capable de contrôler tous les rouages du pouvoir, voudrait se servir du dialogue pour obtenir la soumission de l’opposition sous le fallacieux prétexte de résoudre la crise. Pour certains, le dialogue est indispensable parce que notre société est bloquée. Pour eux, il faut aller au dialogue pour préparer la transition. Ceux qui pensent ainsi se trompent car ils oublient que ce dialogue cache de graves dangers : le « glissement » et le maintien au pouvoir des acteurs qui convoquent le dialogue.
La négociation est utile lorsque les partis qui voudraient y participer se trouvent dans une position de force et que la dictature est aux abois et cherche une porte de sortie. Dans ce cas, le tyran et son régime négocient pour éviter la prison et pour sauver le maximum de leurs biens. Nous ne sommes pas encore dans ce cas d’espèce.
Ce manque de clarté m’a obligé de m’opposer, dès son annonce, à l’idée de dialogue, de la même façon que je m’étais opposé à l’idée de concertations nationales avant leur organisation. Et l’histoire m’a donné raison car les concertations nationales ont été une véritable arnaque, un vol organisé, un simple moyen de faire sortir de l’argent du Trésor public.
La négociation est utile lorsque les partis qui voudraient y participer se trouvent dans une position de force et que la dictature est aux abois et cherche une porte de sortie. Dans ce cas, le tyran et son régime négocient pour éviter la prison et pour sauver le maximum de leurs biens. Nous ne sommes pas encore dans ce cas d’espèce. C’est pourquoi les Congolais qui sont meurtris et soumis ne doivent pas aider le dictateur et ses acolytes à atteindre leurs buts de se maintenir au pouvoir. C’est pourquoi aussi, j’invite mes compatriotes à se méfier du piège qui nous est tendu par le régime tyrannique actuel par le biais du dialogue inclusif qu’il convoque.
C’est tout simplement une ruse du dictateur qui vise à obtenir un sursis en obtenant l’accord de l’opposition, alors que la violation des droits humains se perpétue. Le seul dialogue qui mérite notre attention est celui qui interviendra lorsque toutes les conditions seront réunies et lorsque le tyran, aux abois, cherchera un couloir de sécurité pour négocier réellement sa sortie. À l’heure actuelle, un compromis est impossible avec une dictature.
Fweley Diangitukwa
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