Par Jean-Pierre Mbelu
Le 19, le 20 et le 21 janvier 2015, les masses populaires congolaises ont occupé la rue. Elles ont dit : « Kabila akende » ! Que ‘’Kabila dégage’ ! En principe, cette question du départ de Kabila est réglée par la constitution. Après ses deux mandats, une alternance au pouvoir devrait avoir lieu. Que cette question réglée par une constitution critiquée sérieusement par des patriotes et autres résistants congolais créé une levée de bouclier au sein de la classe politique et des masses populaires congolaises, cela révèle jusqu’où le pays de Lumumba est malade de plusieurs de ses filles et fils.
Après les morts et les blessés enregistrés au cours de ces trois jours, ne serait-il pas venu le temps de penser (si cela n’a pas encore été fait) et l’après Kabila et les dix ou vingt ans à venir pour le Congo-Kinshasa? Qui le fait ? Avec quels moyens ? Les ‘’agences de sédition made in USA’’ le font déjà en connivence avec certains acteurs sociopolitiques congolais. Pour quelle fin ? Qu’est-ce que ces acteurs sociopolitiques savent de l’identité de ces agences, de leur histoire, des objectifs qui leur sont assignés par l’Etat profond anglo-saxons ? Ces acteurs sociopolitiques sont en train de jouer avec le feu…
Il est rare que des questions sur le financement des conférences, des formations et des remises à niveau soient réellement posées et débattues au sein des partis politiques et des ONGs congolais. Il est quand même curieux qu’au moment où les Congolais(es) sont en train de chercher à identifier les noms de leurs morts et blessés au cours des manifestations du 19, 20 et 21 janvier 2015, une conférence sur ‘’les droits de l’homme, gouvernance et élection à l’horizon 2016’’ soit organisée à Kinshasa (ce 27 janvier 2015) et financée par le NED.
Il est important de mieux connaître les institutions et agences américaines opérant en RD Congo
Quand il nous arrive de rencontrer des compatriotes travaillant avec l’une ou l’autre ‘’agence de sédition made in USA’’ comme le NED, l’USAID ou le NDI, nous sommes souvent surpris par leur approche élogieuse de ces organisations. Il est rare qu’ils évoquent leur rôle dans le changement des régimes à travers certains pays du monde. Souvent, ils balayent d’un revers de la main toute remise en question de ces ‘’bailleurs de fond’’. Pourtant, au vu du poids que ces instituts sont en train de prendre au Congo-Kinshasa, il nous semble important de mieux les identifier, de mieux connaître leur histoire et leur rôle dans la politique étrangère made in USA. Pourquoi ? Pour éviter que des acteurs sociopolitiques congolais faisant leur jeu ne prennent les masses populaires congolaises en otage au nom des ‘’valeurs’’ dans lesquelles ils ne croient pas.
Qui a pris la parole à cette conférence ? Vital Kamerhe, président de l’UNC ; Bruno Mavungu, Secrétaire général de l’UDPS, Hamuli Kabaruza (Coordonnateur national de la GIRGL), le professeur Kasonga Ibanda, Conseiller au Ministère de la justice et des droits humains, Nick Elebe d’Osisa, les professeurs Biyoya et Mabiala ; et Jérôme Bonso, Prédisent de l’AETA. Le Ministre de l’intérieur, Evariste Boshab y était aussi invité et n’a pas pu y participé parce qu’empêché.
A lire le compte-rendu de cette conférence, il y a lieu de dire que les thèmes qui ont été abordés ont été traités avec beaucoup de pertinence. Selon le journal Le Phare qui en rend compte, « le professeur Philippe Biyoya et Hamuli Kabaruza, Coordonnateur national de la CIRGL (Conférence Internationale pour la Région des Grands Lacs) ont parlé des enjeux de la pacification et de la sécurisation de la RDC et de la sous-région africaine dans la perspective des élections prochaines. »
Au vu du poids que ces instituts sont en train de prendre au Congo-Kinshasa, il nous semble important de mieux les identifier, de mieux connaître leur histoire et leur rôle dans la politique étrangère made in USA. Pourquoi ? Pour éviter que des acteurs sociopolitiques congolais faisant leur jeu ne prennent les masses populaires congolaises en otage au nom des ‘’valeurs’’ dans lesquelles ils ne croient pas.
Ils ont insisté sur le fait que le Congo fait encore face aux troubles internes et au lieu d’avancer, il recule. ‘’La démocratie électoraliste’’ a du mal à imposer ses marques. Le pays est colonisé de l’intérieur par ‘’les plus forts’’. Il s’enfonce dans un cercle vicieux. « Vital Kamerhe a abordé la question relative aux élections, en épinglant les derniers événements malheureux où 42 Congolais ont trouvé la mort. Un peuple considéré comme naïf, s’est exprimé dans la rue, a-t-il soutenu, en direction des pays voisins qui traitent les Congolais de coureurs de jupons, des amoureux de la musique et d’ivrognes invétérés. »
Et « quant aux thèmes en rapport le processus électoral en RDC, le monitoring de l’exercice des libertés pendant les processus électoraux de 2006 et 2011, bilan et perspective, la problématique de l’alternance démocratique pacifique au pouvoir citoyen post 2016 en RDC, l’Education électorale proactive et la surveillance des élections, Ils ont été développés par Nick Elebe d’OSISA, le Prof Mabiala, Jérôme Bonso et autres. »
La campagne de séduction américaine et les partis politiques congolais
Etudions de plus près l’organisation de cette conférence. Elle semble avoir une prétention : mettre autour d’une même table les partis politiques de l’opposition, ceux de la majorité, le gouvernement et les organisations de la société civile. Cela, quelques jours après que plusieurs partis de l’opposition politique et organisations de la société civile aient donné un mot d’ordre demandant à la population de descendre dans la rue pour protester contre le vote de la loi électorale.
Cette conférence intervient après les morts et les blessés causés par cette descente dans la rue. Une question bête : « Pourquoi les représentants de ces partis politiques et de ces organisations de la société civile qui savent se retrouver autour d’une même table pour débattre des questions qui les préoccupent par-delà leur clivage partisan, ont-ils appelé la population congolaise à envahir la rue ? » Aussi, n’en sont-ils pas à leur première expérience.
Du 04 août 2014, plusieurs représentants des partis politiques et de la société civile congolais étaient à Washington. Ils avaient dû avoir une rencontre organisée encore une fois par le NED. Depuis lors, ils sont impliqués dans la course au changement de régimes orchestrés par Washington au profit d’une guerre économique qu’elle mène contre la Chine, l’UE et la Russie[2].
Pour Washington, l’Afrique serait un partenaire prometteur. Son Etat profond doit s’y installer en chassant, par ses nègres de service interposés, ses concurrents réels ou potentiels ; en détricotant la souveraineté des pays qu’il veut transformer en ‘’Etats ratés’’ et les convertir en marché autorégulé, sans plus.
Une question bête : Pourquoi les représentants des partis politiques congolais et des organisations de la société civile qui savent se retrouver autour d’une même table pour débattre des questions qui les préoccupent par-delà leur clivage partisan, ont-ils appelé la population congolaise à envahir la rue ?
Mais aussi en y installant ses bases militaires pour Africom : c’est-à-dire ses soutiens militaires pour le pillage économique et culturel de l’Afrique. (La guerre perpétuelle que ces soutiens entretiennent participe de l’abâtardissement et de l’abrutissement de ceux qui la mènent et de ceux qui la subissent.)
La campagne de séduction américaine menée par lesdites agences de sédition auprès des partis politiques et des organisations de la société civile du Congo-Kinshasa est à situer dans ce contexte précis.
Entendons-nous bien. Des partis politiques et des organisations de la société civile peuvent décider, en conscience, d’être au service de l’Etat profond anglo-saxon. C’est-à-dire d’être ses marionnettes. Là où le bât blesse, c’est quand, cachant cette option pour le marionnettisme, ils cherchent à convaincre d’importantes masses de populations congolaises qu’ils luttent pour ‘’la démocratie’’ et la souveraineté du Congo-Kinshasa. Et qu’ils en arrivent à des instrumentalisations entraînant de graves pertes en vies humaines. Il y a là une politique de l’autruche criminelle par bien des côtés.
L’Etat profond anglo-saxon et le combat contre la démocratie
Revenons à la conférence. Organiser et financer une conférence, c’est en principe, promouvoir la bataille des idées. Celles-ci peuvent être néolibérales et promotrices de la guerre de tous contre tous au nom du profit et fabricatrices d’ennemis à tout bout de champ ; ou humanistes, c’est-à-dire promotrices de la reconnaissance de la commune humanité à tous les humains, du respect de la vie et de la dignité humaine, de la coopération, de la fraternité et de la solidarité ; etc.
Or, l’organisation américaine (NED) qui a financé cette conférence est héritière d’une droite laïque et religieuse qui, depuis plusieurs années, travaille à enchaîner la pensée[3] en imposant les idées néolibérales. Susan George documente très bien cette question et en est arrivée à une conclusion selon laquelle les entreprises transnationales sont aujourd’hui aux USA et dans l’UE les usurpateurs du pouvoir légitime[4]. Elles s’imposent de plus en plus comme de ‘’nouveaux cercles de pouvoir’’.
Depuis les années 60 et même un peu plus tôt, l’Etat profond anglo-saxon se bat contre la démocratie, il fabrique le consentement à partir de l’école, de l’université, des églises et de plusieurs think tanks pour rendre les citoyens apathiques et confier tout le pouvoir politique et économique aux entreprises transnationales. C’est cela son ‘’ordre mondial’’. Ses différents instituts tels que l’USAID, le NED et le NDI poursuivent le même objectif.
Elle n’est pas la seule américaine à voir les choses sous cet angle. Etudiant la crise économique de 2007, Joseph Stiglitz a compris que dans la gestion de subprimes, son pays avait perdu ‘’la boussole éthique’’, a sombré dans ‘’la dépravation morale’’, ‘’dans l’exploitation des Américains pauvres et même de la classe moyenne par le secteur financier’’[5].
Il est aussi intéressant de rappeler qu’un intellectuel néoconservateur américain, Samuel Huntington, relayeur de la théorie du ‘’choc des civilisations’’ avait, par le passé, lutter au cœur de la Trilatérale, contre la démocratie. Lui et ses compères combattaient la démocratie au nom de leur Etat profond. Ils estimaient que ‘’la démocratie était en crise’’ « parce que dans les années 60, les citoyens des pays représentés dans la Trilatérale avaient tenté d’entrer dans l’arène politique. Les couches de la population censées demeurer apathiques -les femmes, les jeunes, les minorités, la population tout entière- avaient voulu intervenir dans le débat politique sur la base de leur propre programme. »[6]
Depuis les années 60 et même un peu plus tôt, l’Etat profond anglo-saxon se bat contre la démocratie, il fabrique le consentement à partir de l’école, de l’université, des églises et de plusieurs think tanks pour rendre les citoyens apathiques et confier tout le pouvoir politique et économique aux entreprises transnationales. C’est cela son ‘’ordre mondial’’. Ses différents instituts tels que l’USAID, le NED et le NDI poursuivent le même objectif.
Cet Etat profond connaît le sens et la valeur de la bataille des idées. Il y consacre des sommes énormes d’argent. Il s’en sert pour acheter et corrompre les élites sociopolitiques des pays qu’il veut transformer en réservoir de matières premières.
An Congo-Kinshasa, ces instituts participent au programme TOMIKOTISA. Ils y travaillent avec six partis politiques : trois de la majorité et trois de l’opposition. Ce programme est donc l’instrument dont ils se servent pour orienter la pensée politique congolaise, acheter les consciences congolaises et corrompre les élites sociopolitiques.
Pourquoi les dés sont pipés au Congo pour le moment
Il faut avouer qu’une pensée critique sur ces instituts n’est pas encore très développée au Congo-Kinshasa. Et la culture du culte rendu aux ‘’bailleurs de fonds’’ rend difficile cette remise en question. Un fait est là que la documentation pouvant faciliter cette critique existe.
Plusieurs Congolais(es) aiment lire Charles Onana. L’un de ses livres présente un très bon résumé du travail abattu par ces instituts. Le NED par exemple est souvent présenté comme une organisation d’éducation et de formation à la démocratie. Mais en questionnant son passé, il y a lieu de se rendre compte qu’il n’en est rien. Elle est « une véritable machine de guerre contre tous les régimes qui déplaisent à Washington ou à Tel-Aviv. C’est ainsi que les actions visant à renverser Hugo Chavez ont été orchestrées et financées par le NED à hauteur de 20 millions de dollars. »[7] Un ex-président du NED, Allen Weinstein, révélait ceci à l’avocate vénézuélienne Eva Golinger : « Une grande partie des choses que nous faisons aujourd’hui ont été faites clandestinement par la CIA il y a 25 ans. »[8]
Pour le moment, les dés semblent pipés. Les six partis politiques pouvant se présenter en ordre utile aux prochaines élections-pièges-à-con sont déjà coptés par ‘’les machines de guerre anglo-saxonnes’’. Il pourrait y avoir alternance mais pas alternative au pouvoir. C’est-à-dire que les réponses aux inégalités, à l’accès aux soins, à l’éducation, à l’habitat, à l’emploi digne de ce nom risquent d’être sacrifiées, pendant deux mandats de quatre ans chacun, sur l’autel de la croissance à deux chiffres. Contrairement aux fausses promesses électoralistes. L’exploitation éhontée des terres congolaises risque de se poursuivre. Bref, le Congo-Kinshasa court le risque de ne pas rompre avec le statu quo.
Le non-accès à cette documentation, l’appauvrissement des cœurs et des esprits, le goût du lucre, la cupidité et la pauvreté matérielle font de plusieurs acteurs sociaux politiques congolais des clients faciles des ‘’machines de guerre ‘’ de l’Etat profond anglo-saxon. Ils se laissent corrompre moralement et éthiquement. Ce faisant, ils deviennent, à quelques exceptions près, les chantres irréfléchis de ‘’l’amélioration du climat des affaires’’, de la privatisation, de la libéralisation et de la déréglementation du marché congolais.
En venir à bout de cette corruption morale et éthique pourrait impulser une autre dynamique au Congo-Kinshasa. D’où le désir d’une thérapeutique collective et/ou d’un leadership collectif charismatique et responsable ; capable de rester en permanence branchée sur les masses populaires. Un leadership respectueux des textes qu’ils se donnent.
Pour le moment, les dés semblent pipés. Les six partis politiques pouvant se présenter en ordre utile aux prochaines élections-pièges-à-con sont déjà coptés par ‘’les machines de guerre anglo-saxonnes’’. Il pourrait y avoir alternance mais pas alternative au pouvoir. C’est-à-dire que les réponses aux inégalités, à l’accès aux soins, à l’éducation, à l’habitat, à l’emploi digne de ce nom risquent d’être sacrifiées, pendant deux mandats de quatre ans chacun, sur l’autel de la croissance à deux chiffres. Contrairement aux fausses promesses électoralistes. L’exploitation éhontée des terres congolaises risque de se poursuivre. Bref, le Congo-Kinshasa court le risque de ne pas rompre avec le statu quo.
Il faudra, demain, penser à étudier en profondeur la question du financement des partis politiques et des ONG de la société civile. Il faudra légiférer là-dessus et penser à la possibilité de punir ceux qui se laisseraient financer et corrompre par les agents des ‘’usurpateurs’’.
Analyse objective!