Par Jean-Pierre Mbelu
Les Congolais(es) ne sont pas sorti(e)s indemnes de 130 ans de vol, de violence et d’impunité institutionnalisés. Plusieurs cœurs et esprits congolais ont fini par s’y conformer en optant pour la haine de soi, le sadomasochisme, le larbinisme, etc. Plusieurs autres ont accepté de lutter au prix de leur vie pour une émancipation politique congolaise et panafricaine. Plusieurs autres encore, après avoir pris part à cette lutte, se sont fatigués et ont choisi de jouer le rôle de »sous-traitants ». Balayer 130 ans de vol, de violence et d’impunité institutionnalisés et »sous-traités » en un clin d’oeil est une illusion. Cela prend du temps. Beaucoup de temps. Il s’agit de guérir les cœurs et les esprits et d’humaniser les institutions pouvant porter leurs efforts d’émancipation politique. Aussi, l’ennemi est là. Il veille. Il ne comprend pas. Il ne se convertit jamais, comme dirait Frantz Fanon.
Dans la première partie de cet article, nous avons cherché à rappeler que l’étude de l’ONG Enough Project s’inscrit dans la droite ligne de plusieurs rapports des experts de l’ONU, de certaines commissions mises sur pied au Congo-Kinshasa après le début de la guerre de l’AFDL et de l’une ou l’autre ONG occidentale. Tous ces rapports indiquent le lien transnational entre les acteurs pléniers du système capitaliste, néolibéral et mondialiste et les acteurs apparents mis sur le devant de la scène. Nous en déduisons que le vol, la violence et l’impunité institutionnalisés font partie de la marque de fabrique de ce système partout où il a réussi à ensauvager et ses ténors et ses victimes.
Le vol, la violence et l’impunité sont »sous-traités » en Afrique et au Congo-Kinshasa
Contrairement aux théories de la séparation de trois pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire), ce système se les assujettit au nom du 1% des dominants qui le gère. Il tend, depuis plus de 130 ans, à détricoter les Etats-nations, les parlements citoyens, à vider la légitimité électorale de toute sa substance en vue de transformer le monde en un vaste marché contrôlé par ce 1% aux dépens de 99% de dominés.
Combien de fois n’entendons pas, dans les milieux africains et/ou occidentaux, les propos du genre : « Kagame a tué ; il tue. C’est vrai qu’il vole au Congo-Kinshasa. Mais il construit son pays » ?
Depuis plus de 130 ans, le vol, la violence et l’impunité sont »sous-traités » en Afrique et au Congo-Kinshasa. Depuis lors, les noms de »sous-traitants » varient. Cette »sous-traitance » facilite la confiscation des terres, des énergies, des ressources minérales stratégiques ; – ces intérêts dont les puissances du marché parlent de temps en temps ouvertement. Néanmoins, elle crée, dans les pays occidentaux, fanatiques du marché, à quelques exceptions près, »une tolérance culturelle à la violence et au meurtre ». Celle-ci menace »la civilisation occidentale » de l’intérieur. Elle en transforme une bonne partie en »un vaste conspiration de déni organisé ». C’est-à-dire « la création d’un espace mental collectif partiellement illusoire dans lequel les faits déplaisants, comme l’établissement de tous les empires occidentaux par des atrocités majeures, sont occultés de manière arrangeante. » (P.D. SCOTT, La machine de guerre américaine. La politique profonde, la CIA, la drogue, l’Afghanistan,…., Paris, Demi-Lune, p.25)
La domination du système fanatique du marché (et du consumérisme) s’impose partout où ce système, par le biais de »ses sous-traitant », dicte ses valeurs marchandes. La construction du marché transnational des biens et des services l’emporte sur l’humanisation de l’homme. Là où les principes marchands de privatisation, de libéralisation et de déréglementation sont imposés par les »sous-traitants », »’une tolérance culturelle à la violence et au meurtre » et l’occultation des atrocités majeures gagnent, lentement mais sûrement, les cœurs et les esprits. Au point de passer de la tolérance à la normalisation de la violence et du meurtre. Combien de fois n’entendons pas, dans les milieux africains et/ou occidentaux, les propos du genre : « Kagame a tué ; il tue. C’est vrai qu’il vole au Congo-Kinshasa. Mais il construit son pays » ?
L’idée de l’indépendance…
L’Est du Congo-Kinshasa paie un prix très fort de cette normalisation de la violence et du meurtre. Et de plus en plus, »les faits déplaisants » tendent à plaire à plusieurs sous-fifres sous-traités dans cette entreprise de la mort. Ensauvagés, ils ne jurent plus que par la mort à donner aux compatriotes africains pour quelques billets de banque.
Depuis plus de 130 ans, »la sous-traitance » du vol, de la violence et de l’impunité au Congo-Kinshasa a corrompu plusieurs cœurs et plusieurs esprits au point d’ y engendrer la haine de soi. Et curieusement, »un certain attachement affectif au bourreau ». Curieusement, le larbinisme fait des émules au pays de Lumumba. La haine de soi et » l’amour du bourreau » conduisent plusieurs compatriotes à »désirer » ce dernier au point de souhaiter que ce qu’il produit, la mort et la destruction, ait une certaine longévité. La haine de soi et »un certain attachement affectif au bourreau » avaient conduit certains d’entre nous, hier, à souhaiter que »le sous-traitant Mobutu » assure son rôle de marionnette pendant »100 ans ». Certains autres, aujourd’hui, disent au »Cheval de Troie du Rwanda : »Wumela » ! On dirait qu’il y a un »sadomasochisme » qui a fini par gagner plusieurs cœurs et plusieurs esprits.
Oui. Toutes les idées font leur chemin. Certaines en font de tortueux et de compliqué avant qu’elles ne s’incarnent dans la réalité des faits. L’essentiel est qu’elles soient portées par des cœurs et des esprits avertis et »conscients » de la marche historique suivie. Ces cœurs et ces esprits peuvent être minoritaires. Mais organisés et »conscients » de leur responsabilité citoyenne, ils peuvent impulser des nouvelles dynamiques d’émancipation politique.
A force d’être des proies du vol, de la violence et de l’impunité, ils ont fini par s’y conformer. Avec tout ce que cela entraîne comme conséquence du point de vue de l’éthique sociétale : l’inversion des valeurs s’impose, petit à petit, comme valeur. Celle-ci s’installe là où »la conscience de l’inconscience » du »sadomasochisme » a disparu. Néanmoins, depuis plus de 130 ans, le »sadomasochisme » et la résignation, bien qu’étant des options dominantes, n’ont pas, toujours et partout triomphé. Le Congo-Kinshasa a connu des dignes fils et filles résistants, patriotes et/ou convertis à la résistance et au patriotisme.
Les frustrations et les injustices subies tout au long de notre histoire collective ont conduit certains d’entre eux à développer l’idée de l’indépendance. Rappelons, pour ceux qui l’auraient oublié, que « l’idée indépendantiste va (…) faire son chemin dans l’esprit d’une poignée d’étudiants catholiques dont Joseph Iléo, Joseph Malula et Joseph Ngalula. Ensemble, ils fondent en 1956 le groupe « Conscience africaine » qui publie la même année un manifeste en faveur de l’indépendance. » (A. LIBERT, Les sombres histoires de l’histoire de la Belgique, Bruxelles-Paris, La boîte à Pandore, 2014, p. 412) Cette citation donne à penser. Elle note que »l’idée indépendantiste » a fait »son chemin ». Oui. Toutes les idées font leur chemin. Certaines en font de tortueux et de compliqué avant qu’elles ne s’incarnent dans la réalité des faits. L’essentiel est qu’elles soient portées par des cœurs et des esprits avertis et »conscients » de la marche historique suivie. Ces cœurs et ces esprits peuvent être minoritaires. Mais organisés et »conscients » de leur responsabilité citoyenne, ils peuvent impulser des nouvelles dynamiques d’émancipation politique.
Une Conscience Nationale Congolaise et Panafricaine doit (re)naître
Rappelons qu’au seuil de l’indépendance formelle congolaise, il y a »une poignée d’étudiants », quelques partis politiques (l’ ABAKO (1950), le MNC (1958), etc.), deux manifestes (celui de ces étudiants et de l’ABAKO) et quelques amis rencontrés par les Congolais à l’Exposition universelle de Bruxelles de 1958. Il y a un mouvement panafricain auquel participe Lumumba. Il y a aussi »un déclic » provoqué par le changement du »regard porté sur l’autre » que facilite l’Exposition universelle de Bruxelles. »La sortie de chez soi » fut un »petit atout » pour »les indépendantistes » congolais. Pourquoi évoquons-nous, en passant, cette histoire ?
Le Congo-Kinshasa de demain sera d’abord et avant tout ce que les Congolais(es) et les Africain(es) voudront en faire. Ou plutôt ce que les minorités organisées et agissantes congolaises et africaines voudront en faire …
Nous voulons simplement soutenir qu’une recherche de solution à la crise de légitimité au Congo-Kinshasa ou à l’installation d’un »Etat-manqué-criminel » au cœur de l’Afrique ne devrait pas faire l’économie des pas décisifs effectués par les dignes filles et fils de ce pays. Il y en a eu hier. Il y en a encore aujourd’hui. Ceux et celles qui ont rompu avec la haine de soi, le sadomasochisme et le larbinisme. Croire, comme semble le faire l’étude d’Enough Project (et plusieurs sous-traitants congolais et africains), que les solutions aux questions congolaises ne viendront que des »décideurs internationaux », c’est faire fi du génie congolais et s’engager sur une voie ne menant nulle part.
Le Congo-Kinshasa de demain sera d’abord et avant tout ce que les Congolais(es) et les Africain(es) voudront en faire. Ou plutôt ce que les minorités organisées et agissantes congolaises et africaines voudront en faire ; tout en étant partie prenante d’un contre-pouvoir mondial créé pour neutraliser les effets décivilisateurs du système mondialiste actuel. Une Conscience Nationale Congolaise et Panafricaine doit (re)naître et/ou être consciente de ses errances (et de son inconscience).
Mbelu Babanya Kabudi