Par Philippe Kabongo-Mbaya*
La sortie de la crise, de l’impasse politique ou du conflit militaire, dépend largement, non du désir dépassement, mais du courage historique des protagonistes en présence. Le cas le plus éloquent reste celui de Nelson Mandela et de Frédéric De Klerk vers la fin des années 1980 en Afrique du Sud.
Depuis les soubresauts des années 1990, liés aux transitions politiques, partout en Afrique subsaharienne, le désir de changement politique animait les aspirations des populations, le repositionnement des acteurs politiques. Outre les crises militaires, cette période a connu des incertitudes vertigineuses, des blocages des institutions, débouchant sur des violences un peu partout en Afrique francophone, notamment.
Le mode opératoire onusien, celui de l’Union africaine et des organisations régionales, a été globalement le même. Ces institutions intergouvernementales disposent dans leur escarcelle de noms de personnalités supposées reconnues pour leur sagesse ou leur capacité dans le domaine de médiation politique, de facilitation dans la recherche d’accords entre les parties en conflit.
Des pompiers pyromanes…
Durant les années 1970 et 1980, Houphouet Boigny, Hassan II, Mobutu, Bongo, ont joué ce rôle dans leurs sous-régions respectives. Souvent d’ailleurs plus comme des pyromanes que comme des pompiers désintéressés et efficaces.
On se souviendra de l’enlisement de la transition démocratique dans l’ex-Zaïre, entre 1992 et 1993, qui avait pris une tournure dramatique avec des pillages dans plusieurs villes du pays. Abdoulaye Wade, opposant historique sénégalais à cette époque, fit commis « médiateur » entre le dictateur aux abois et les forces de changement. Les différents accords intervenus ne servirent pas à grand-chose.
Durant les années 1970 et 1980, Houphouet Boigny, Hassan II, Mobutu, Bongo, ont joué ce rôle dans leurs sous-régions respectives. Souvent d’ailleurs plus comme des pyromanes que comme des pompiers désintéressés et efficaces.
L’aboutissement de cette impuissance de vision historique facilita la chute de Mobutu, chassé du pouvoir en 1997 par une coalition des armées des Etats voisins (Uganda, Rwanda, Burundi, Angola, etc.) chevauchant un conglomérat des rebelles réunis autour de Laurent D. Kabila. Un an après, le retournement des alliances entre ce dernier et les pays voisins « protecteurs » plongea le Congo dans une nouvelle guerre, dont le « cessez-le-feu » et le processus d’accords sont connus, de Lusaka (Zambie)à Sun-City (Afrique du Sud).
Thabo Mbeki (président sud-africain) et Ketumile Massire (ancien président du Botswana) s’impliquèrent dans la « facilitation » du « Débat national » organisant une transition démocratique en RDC. Dans cette même période, Mustapha Niasse, ancien premier ministre sénégalais, également médiateur francophone sur cette crise, figurera parmi les architectes de la solution d’un pouvoir partagé, sous le nom de « I+4 », un président (Joseph Kabila) gérant le gouvernement de transition avec quatre vice-présidents. Un dispositif cornaqué par les puissances occidentales, via l’ONU, avec le consentement ou la collaboration des chefs d’Etats africains de la région.
Le résultat de cette solution n’a pas été bien probant. Car, Joseph Kabila (à l’époque, le protégé des Occidentaux) et Jean-Pierre Bemba s’affrontèrent militairement à Kinshasa, au terme d’une élection contestée, mais dont le gagnant déclaré fut Kabila. Les congolais qui ont une mémoire politique informée se souviennent du rôle joué par Mustapha Niasse dans les tractations de cette période.
Un facilitateur folklorique, des médiateurs interventionnistes
Entre 2008 et 2009, l’ancien président nigérian, Olusegun Obasanjo , nommé par l’UA, intervint comme « facilitateur » dans la crise militaire opposant le gouvernement de Kinshasa et la rébellion dirigée par Kundabatwaré, homme de main du pouvoir rwandais dans l’est du Congo. Une « facilitation » à la fois folklorique et rocambolesque. Puisque le « médiateur » nigérian ne s’est pas gêné de préconiser que Paul Kagame aurait pu être le président du Congo et Joseph Kabila celui du Rwanda…
Un regard rétrospectif de cette séquence politico-diplomatique sur vingt ans montre que les données de fond restent les mêmes, les enjeux aussi. Les méthodes et les solutions, souvent en kit, ne connaissent guère d’ajustements. Les interactions des intérêts des pays africains les plus dynamiques et ceux des puissances occidentales derrières ou devant l’ONU ont le dessus sur les processus
Ces plans de « médiation » ou de « facilitation » ont presque toujours été doublés, voire triplés, d’autres initiatives parallèles, plus ou moins officieuses, mais bien agissantes. C’est le cas des actions de l’Union européenne, par Louis Michel, Aldo Aiello, etc. Mais c’est le cas également d’une diplomatie active de la France à l’ONU sur ce même dossier à New-York.
Un regard rétrospectif de cette séquence politico-diplomatique sur vingt ans montre que les données de fond restent les mêmes, les enjeux aussi. Les méthodes et les solutions, souvent en kit, ne connaissent guère d’ajustements. Les interactions des intérêts des pays africains les plus dynamiques et ceux des puissances occidentales derrières ou devant l’ONU ont le dessus sur les processus. Les plus grands perdants : la population et les forces indépendantes de la société civile, qui ne comptent pas ou qui sont considérées comme gênantes face à ce qui ressemble à une maltraitance maintenue du Congo.
Mais cette situation est-elle très différente de la manière dont a été géré d’autres crises ailleurs en Afrique ? A peine. En Afrique de l’Ouest, Blaise Compaoré, vrai Janus en diplomatie, a gardé une attitude ambiguë sur la crise du Mali, du Togo, sans parler de l’ingérence militaire avérée, dont il est encore question aujourd’hui, en Côte d’Ivoire. Ali Bongo et surtout Denis Sassou Nguesso ont fait de même en République Centrafricaine.
Koffi Annan : un exemple probant ?
On pourrait dire que seul le conflit post-électoral au Kenya, entre 2008 et 2009, a pu trouver une solution durable, grâce à l’arbitrage de Koffi Annan, ancien Secrétaire général de l’ONU. Cette crise avait été pourtant extrêmement violente ! Koffi Annan a été sollicité pour cette médiation pendant que son pays, le Ghana, présidait la commission de l’UA.
La stabilisation politique du Congo, l’enjeu de la démocratie, ne sont pas le premier souci des puissances africaines interventionnistes en RDC. Le choix d’Edem Kodjo par Nkosazana Zuma pourrait être entaché de lourds soupçons.
Le projet de « Dialogue » en RDC, chaudement réclamé par Joseph Kabila et ce qui lui reste de majorité gouvernementale, n’est pas clair. Dans une situation de lisibilité aussi problématique, toute facilitation ou médiation extérieure ne pourrait être que source de difficultés. Si Etienne Tshisekedi et son parti politique, de même que la hiérarchie catholique, semblent disposés à un « dialogue », la nature et les objectifs du « dialogue » ne sont pas du tout les mêmes dans l’entendement de tous. Sur ce dossier, la feuille de route de cette opposition, tout comme les conditionnalités exprimées par les évêques romains, montrent un certain antagonisme de pré-positionnement qui n’augure rien de positif.
L’UDPS de Tshisekedi n’a pas cessé de préconiser une « facilitation » assurée par l’ONU. Or, Mme Nkosazana Zuma, secrétaire général de l’UA, citoyenne sud-africaine, proche du pouvoir sud-africain et de l’influence anglo-saxonne en Afrique, a nommé Edem Kodjo. Dans le domaine, le charisme de ce dernier ne semble pas bien connu ni particulièrement convainquant. En Afrique australe, le soutien du Zimbabwe à Joseph Kibila n’a jamais été un mystère. Le mandat du Zimbabwé à la tête de l’UA est en cours.
Le régime zimbabwéen est par ailleurs fortement lié aux dirigeants de l’ANC actuellement aux affaires en Afrique du Sud. L’affairisme de ce pays au Congo est de notoriété publique. Face à ces considérations et intérêts, il est fort à craindre que la stabilisation politique du Congo, l’enjeu de la démocratie, ne soient pas le premier souci des puissances africaines interventionnistes en RDC. Le choix d’Edem Kodjo par Nkosazana Zuma pourrait être entaché de lourds soupçons.
Dans un contexte national où la confiance élémentaire sur l’essentiel fait grandement défaut, voilà une « facilitation » paradoxale que d’aucuns qualifieraient de cynique. Nous pensons que c’est, sans doute, Koffi Annan qui aurait été l’homme de la situation.
*Pasteur Philippe Kabongo-Mbaya
Eglise Protestante Unie de France
REAJI/Réseau International des Amis du Prophète Jonas