Par Jean-Pierre Mbelu
Identifier les acteurs d’une lutte ou d’une guerre en les nommant, en étudier les causes exogènes et endogènes, les causes historiques et matérielles, les conséquences anthropologiques liées à la régression qu’ elle engendre, cela ne signifie pas s’exonérer de ses propres responsabilités. Encore faudrait-il que ces responsabilités puissent être établies à différents niveau. Il y a, entre autres, le niveau individuel et le niveau structurel. Et les études conduites dans ce sens devraient être sérieusement documentées, »sourcées ».
Il arrive que des intellectuels congolais ignorent toutes ces démarches préliminaires dans l’unique souci de »moraliser » leurs compatriotes et/ou de les culpabiliser. Consciemment ou inconsciemment, ils banalisent la traite négrière, la colonisation, la néocolonisation ainsi que le larbinisme, le syndrome de Stockholm, l’ensauvagement et le viol de l’imaginaire qu’elles ont produits. Ils ignorent tous les martyrs de la liberté congolais et continuent à crier sur les toits : »Nous sommes les seuls et uniques responsables de nos misères et de nos malheurs. Arrêtons de chercher les boucs émissaires. »
Quand le maître a parlé…
Quand, dans un échange avec eux, une allusion est faite à l’histoire, ils répondent : »Tout cela on sait, mais c’est nous ». Et pourquoi mettent-ils »ce savoir » entre parenthèse dans l’étude de »notre responsabilité » dans la descente du Congo-Kinshasa aux enfers ? Eux-seuls savent pourquoi. Il arrive aussi qu’un recours à l’argument d’autorité soit fait. Quand ils ont parlé comme »intellectuels » et »experts », ils veulent que »le commun de mortel » dise : »Le maître a parlé. Amen ! »
Chez nous, les victimes de la guerre raciste de basse intensité et de prédation anglo-saxonne s’entendent dire : »Nous savons tout ça. Mais c’est vous les responsables. » D’un coup, toute la documentation sur cette guerre perpétuelle est laissée de côté.
Au même moment qu’ils remettent en question le manque d’espace public au Congo-Kinshasa, ils estiment que leurs spécialités et leur expertise leur donnent droit au recours au »magister dixit ». Ailleurs, dans les pays anglo-saxons, un procès permanent est mené contre l’impérialisme, ses alliés et leurs guerres racistes. La Grande-Bretagne y est impliquée. L’exemple est là.
Des intellectuels américains tels que Noam Chomsky et Edward Herman mènent ce procès depuis de longues années. Chez nous, les victimes de la guerre raciste de basse intensité et de prédation anglo-saxonne s’entendent dire : »Nous savons tout ça. Mais c’est vous les responsables. » D’un coup, toute la documentation sur cette guerre perpétuelle est laissée de côté. Et la recherche des »partenaires » pour chasser »le Cheval de Troie » de » la Communauté Occidentale » du pouvoir-os devient l’autel sur lequel l’histoire du Congo-Kinshasa de ces deux dernières décennies est sacrifiée. Au nom d’une certaine approche intellectuelle vue comme étant »l’unique possible ».Non. Il y a un problème. Et un problème sérieux.
Les luttes d’aujourd’hui ne peuvent pas être faites sans des études croisées sur celles d’hier
Quand ces intellectuels auront envie de tout sacrifier, qu’ils prennent le temps de lire ou de relire Césaire ( »Le discours sur le colonialisme »). Ils peuvent répondre : »Tout ça on sait » et vouloir enfermer toute la pensée congolaise dans »une lutte immédiatiste » contre »un mercenaire ».
Il me semble que les luttes d’aujourd’hui ne peuvent pas être faites sans des études croisées sur celles d’hier. Et plusieurs Congolais(es) ont fait et continuent à s’y adonner. Des études collectives existent. J’en cite trois : »Guerre et droits de l’homme en République Démocratique du Congo. Regard du Groupe Justice et Libération » (2009) ; »La République Démocratique du Congo face au complot de balkanisation et d’implosion » (2013) ; »Les Congolais rejettent le régime de Kabila » (2015).
le caractère transnational de la guerre raciste de prédation menée contre le Congo-Kinshasa dit qu’elle a des causes à la fois exogènes et endogènes ; que des acteurs extérieurs, des acteurs intérieurs et des mercenaires de tout bord sont impliqués. Il y a la responsabilité des uns et des autres. Ceci est un secret de Polichinelle.
De plus en plus, »la responsabilisation des intellectuels » se moque des »créateurs de Mobutu ». Ludo De Witte vient à notre secours en écrivant un livre suffisamment documenté : »L’ascension de Mobutu. Comment la Belgique et les USA ont installé une dictature » (2017). Que »le magister dixit » et la nécessité de »faire les choses autrement » au Congo-Kinshasa ne dispensent pas les intellectuels congolais du travail de recherche scientifique afin que leur lutte actuelle devienne davantage une lutte de l’intelligence. Et que cherchant à »faire les choses autrement », ils restent ouverts au débat contradictoire et à la vérité des faits.
Tout cela étant, le caractère transnational de la guerre raciste de prédation menée contre le Congo-Kinshasa dit qu’elle a des causes à la fois exogènes et endogènes ; que des acteurs extérieurs, des acteurs intérieurs et des mercenaires de tout bord sont impliqués. Il y a la responsabilité des uns et des autres. Ceci est un secret de Polichinelle.
La guerre de 4ème génération
Ailleurs, au Venezuela, par exemple, »la guerre de la quatrième génération » est menée dans le même sens. Un petit film en témoigne:
En étudiant cette guerre de plus près, une chose saute aux yeux : les acteurs extérieurs et les causes exogènes sont à peu près les mêmes qu’au Congo-Kinshasa. La chance du Venezuela, jusqu’à ce jour, est de bénéficier de la révolution bolivarienne initiée par Hugo Chavez. Elle est un peu affaiblie par la corruption interne et »la guerre de la quatrième génération ».
Chez nous, il y a encore des compatriotes estimant que »les assassins des réformateurs progressistes » sont des »partenaires fiables » pouvant aider le Congo-Kinshasa à sortir du bourbier. Et qu’ils vont lui trouver »un homme providentiel ». Non.
Le péché de Chavez et du chavisme, quel est-il ? Avoir sorti des milliers des vénézuéliens de la pauvreté et de l’ignorance ; d’avoir politisé »les masses populaires ». Chavez en a payé le prix ; comme plusieurs réformateurs progressistes.
Chez nous, il y a encore des compatriotes estimant que »les assassins des réformateurs progressistes » sont des »partenaires fiables » pouvant aider le Congo-Kinshasa à sortir du bourbier. Et qu’ils vont lui trouver »un homme providentiel ». Non. Totala sima, tozonga bato ! Non. Moi, j’en doute sérieusement.
Babanya Kabudi
Génération Lumumba 1961