Par Mufoncol Tshiyoyo
Au Congo-Kinshasa, il y a des filles et fils du pays qui sont prêts à verser leur sang pour la défense de la patrie. Et certains le font déjà avec leurs propres moyens bien que limités. Par contre, il y a d’autres congolais qui, malgré le fait d’être assis sur une fortune colossale, ne font que pleurnicher. Ils sont les premiers à appeler pour annoncer la mort de frères et sœurs congolais liquidés. Mais ils ne prennent aucune initiative dans le sens de proposer quelque chose de concret. Par exemple demander qu’est-ce que nous faisons ensemble ?
Au début de la boucherie au Congo-Kinshasa quand les forces d’assujettissement ont commencé de tuer des congolais à Bukavu, les « villes » comme Beni, Ituri, Kananga, Kikwit, Kimpese, Kinshasa, Lubumbashi, Matadi, Mbandaka, et pour ne citer que celles-là, « regardaient » le massacre se dérouler sans oser lever un seul doigt.
Il y a un temps pour tout…
Cette attitude ressemble fort malheureusement à des spectateurs passifs et assis tout bonnement dans une salle de cinéma sans prendre acte du danger qui vient. Ainsi, de Bukavu, les tueurs programmés à décimer des populations congolaises au profit du « peuplement de remplacement » sont passés à Beni. Par la suite, en Ituri. Et la manière congolaise de laisser faire et d’observer les massacres de nos propres parents s’installer durablement dans le fait traduit le non-dit d’un « observateur-spectateur » pour qui le crime ainsi commis sous son regard ne le concerne pas encore directement. En effet, ça ne sera jamais lui. Ça n’arrivera pas à lui, pas à ceux qu’il considère comme être les « siens ». Ceux de sa langue qui, selon lui, ne seraient pas de Congolais.
Le « silence » éhonté du Congolais qui regarde son frère congolais être tué est un mauvais signal renvoyé aux bourreaux du Congolais et à leurs commanditaires. Cette attitude, presque attendue, a non seulement permis aux génocidaires de poursuivre leur carnage mais également de croire que tout leur était désormais autorisé sur le sol congolais. Un large boulevard qui s’ouvrait en vue de la réalisation de leurs forfaits, le génocide congolais et en toute impunité.
On verse du sang congolais juste pour le plaisir de tuer, de voir le congolais tombé comme ces nègres de l’époque en train de fuir leur razzia. Le sang congolais est offert à l’autel de la gloire du conquérant.
Partout au Congo où les forces d’assujettissement sont passés pour y exterminer la jeunesse congolaise, on note la récurrence du même modus operandi. L’utilisation sans retenue des machettes pour sectionner en tranche du bétail congolais encore vivant. Les mêmes caractéristiques de plaies largement ouvertes, de blessures ainsi que d’égorgement. Les tueries des femmes enceintes et le viol. On verse du sang congolais juste pour le plaisir de tuer, de voir le congolais tombé comme ces nègres de l’époque en train de fuir leur razzia. Le sang congolais est offert à l’autel de la gloire du conquérant. Tuer des Congolais pour mériter et justifier la fonction du mercenariat pour laquelle les forces d’assujettissement sont recrutées.
Je ne parle pas du génocide congolais pour le dénoncer. Ni pour en émettre un jugement quelconque contre les génocidaires. Je pense que le faire serait donner l’impression, et c’est ce que je ne souhaite pas, aux tueurs que l’homme congolais a peur, que le Congolais se limite à avoir mal, à pleurnicher. Je pense que nul ne saura échapper à la fortune ni à l’absurdité quand elles décident de frapper à la porte de ceux qui en deviennent ses proies. Mon attitude est aussi dictée par mon refus de passer pour quelqu’un qui implorerait la pitié pour son peuple. Non, je crois qu’il y a un temps pour tout. Pour nous aussi. Levons-nous et battons-nous à armes égales pour arracher notre dignité et le respect des autres. Parce qu’il s’agit de notre terre : Likambo ya mabele. Et il n’y a rien à gagner à vouloir démontrer que le peuple congolais serait plus humain que l’humain lui-même.
Être dur vis-à-vis de nous-mêmes
Ce qui se passe dans notre pays, au Congo, me pousse à être dur vis-à-vis de nous-mêmes. En effet, je nous accuse, nous Congolais, parce que nous n’avons pas su répondre aux massacres à ses débuts. Et à temps. Ne dit-on pas que la résistance doit se manifester dès le début, car plus tard c’est peut-être trop tard. Nous n’avons pas su agir comme l’auraient pu le faire des populations unies par l’histoire et le sort. Et lesquelles, devant l’appel de la nation en détresse « lèvent leurs fronts longtemps courbés ». Est-ce que le fait d’être congolais serait synonyme d’homme ?
Officiellement, et devant le danger, il n’y a aucun appel lancé à l’endroit de la nation pour la mobiliser. Tout se passe comme si on ne tuait pas au Congo. Et pourquoi personne de sérieux n’arrive à rassembler le peuple pour la défense de la patrie. J’entends le leadership local au Kasaï, comme celui de Beni hier, lancer son cri de détresse. Mais en direction de qui ? Qui est celui ou celle qui, au nom par exemple du Kasaï ou de Beni, a osé prendre langue avec d’autres populations voisines ou lointaines du Congo pour leur demander de venir au secours aux populations martyrisées ? Qui a pensé unir les filles et fils du pays pour défendre la patrie ? Qui ? Même pas l’État congolais. Et comme lui, aucun parti politique congolais n’a appelé à la mobilisation générale. De Bukavu en passant par Beni, Kimpese, Katanga et aujourd’hui au Kasaï central, le peuple congolais s’est toujours retrouvé seul. Et seul, il se bat. Seul, Il meurt alors que ces populations abandonnées font partie d’un territoire dont la superficie s’élève à 2 345 000 km². Je souffre devant l’image de notre peuple en train de fuir pour cause de manque d’un leadership national et patriote. Alors je me demande s’il faille que chaque région attaquée puisse se défendre seule et à son tour ? Avec quels moyens quand le peuple a affaire au mercenariat d’États.
Officiellement, et devant le danger, il n’y a aucun appel lancé à l’endroit de la nation pour la mobiliser. Tout se passe comme si on ne tuait pas au Congo. Et pourquoi personne de sérieux n’arrive à rassembler le peuple pour la défense de la patrie. J’entends le leadership local au Kasaï, comme celui de Beni hier, lancer son cri de détresse. Mais en direction de qui ?
Au Congo-Kinshasa, il y a des filles et fils du pays qui sont prêts à verser leur sang pour la défense de la patrie. Et certains le font déjà avec leurs propres moyens bien que limités. Par contre, il y a d’autres congolais qui, malgré le fait d’être assis sur une fortune colossale, ne font que pleurnicher. Ils sont les premiers à appeler pour annoncer la mort de frères et sœurs congolais liquidés. Mais ils ne prennent aucune initiative dans le sens de proposer quelque chose de concret. Par exemple demander qu’est-ce que nous faisons ensemble ? Dans le sens de dire voici des relations ou des portes que nous savons ouvrir pour vous. Non, beaucoup préfèrent parler. Et d’autres, ironie du sort, compter uniquement sur la CPI et l’ONU. C’est curieux surtout quand des congolais vivent sans mémoire.
Au sujet de l’ONU, Franz fanon nous mettait déjà en garde quad il affirmait : » Il n’est pas vrai de dire que l’ONU échoue parce que les causes sont difficiles. En réalité l’ONU est la carte juridique qu’utilisent les intérêts impérialistes quand la carte de la force brute a échoué. Les partages, les commissions mixtes contrôlées, les mises sous tutelle sont des moyens internationaux de torturer, de briser la volonté d’expression des peuples, de cultiver l’anarchie, le banditisme et la misère. Car enfin, avant l’arrivée de l’ONU, il n’y avait pas de massacres au Congo. Après les bruits hallucinants propagés à dessein à l’occasion du départ des Belges, on ne comptait qu’une dizaine de morts. Mais depuis l’arrivée de l’ONU, on a pris l’habitude chaque matin d’apprendre que les Congolais s’entre- massacraient », (Fanon, La mort de Lumumba : pouvions-nous faire autrement ?)
Le temps joue contre le Congo-Kinshasa
Ensemble, nous avons opté pour l’ignorance. Ce qui a fait dire à Martin GRAY dans son livre « Au nom de tous les hommes » que : « Cette volonté d’ignorance, cette lâcheté même qui conduit à refuser de savoir, empêchent la résistance, la révolte, et donc suppriment les chances, les faibles chances d’échapper au sort auquel on [nous] destine […] A chaque moment de ma vie, j’ai vu des hommes préférer ainsi l’ignorance et l’illusion à la lucidité et à la connaissance du monde vrai. [Oui] Il faut du courage pour garder les yeux ouverts. Il faut y avoir été incité depuis l’enfance », (Gray, 2004 : 154-155).
Je ne retourne pas le peuple contre qui que ce soit. Je l’invite à tirer des leçons de l’histoire. Car le temps joue contre le Congo-Kinshasa. Nous sommes prêts.
Aujourd’hui, on retiendra du Congo l’image d’un pays où les femmes et les enfants ont peur et pleurent, et, où les hommes, les véritables mâles, qui seraient prêts au sacrifice pour la défense de leur patrie sont absents. Des hommes qui refusent d’adopter la langue de bois. Des hommes qui parlent sans chercher à caresser qui que ce soit dans le sens du poil. Ce genre ne court pas les rues au Congo.
C’est pourquoi nous ne cesserons de répéter à chaque occasion que « trop, c’est trop », « nok er det nok », « enough is enough ». Boni boye ko ? Nous avons dit à ce peuple que la démocratie, les élections, les droits de l’homme ainsi que l’état de droit incarnaient des valeurs prioritaires. 32 ans de lutte + 20 ans après la mort de Mobutu, une nouvelle génération, recrutée de la même manière par les mêmes maîtres, arrive et ré-entonne le même refrain à l’endroit du même peuple. Dans l’entretemps, elle se montre incapable de protéger le peuple qui est livré à lui-même. Nous continuons de demander à notre peuple de fournir toujours des efforts, et les mêmes efforts, en oubliant que les « Bilulu » furent tués et chassés du Katanga hier sans qu’ils ne soient protégés ? Qui a su et pu parler eux ? Je ne retourne pas le peuple contre qui que ce soit. Je l’invite à tirer des leçons de l’histoire. Car le temps joue contre le Congo-Kinshasa. Nous sommes prêts.
Likambo oyo eza likambo ya mabele, likambo ya mabele eza likambo ya makila.
Mufoncol Tshiyoyo