Source: Le Potentiel, le 26 avril 2012. Par Freddy Mulumba Kabuayi.
Le Congo Kinshasa est un pays frappé par un mauvais sort qui ne dit pas son nom. Créé en 1885 comme une colonie internationale dont la gestion est confiée à Léopold II, Roi des belges, ce pays béni de Dieu a connu deux génocides. Le premier holocauste fut commis par Léopold II sous l’Etat Indépendant du Congo. Il a été oublié. Le deuxième a été perpétré sous la barbe de la communauté internationale. Il est ignoré du grand public. Les capitalistes prédateurs, responsables de ces deux génocides, font tout pour effacer les traces de leur double forfait dans la mémoire collective des Congolais.
Après la traite négrière organisée par les capitalistes européens qui ont fait fortune en Afrique de manière générale et dans le Bassin du Congo, en particulier, les populations congolaises furent victimes d’un système d’exploitation barbare mis en place par Léopold II.
Holocauste oublié
Seul Adam Hochschild a trouvé des mots justes pour révéler au monde ces actes de barbarie. La révélation du journaliste américain est contenue dans un ouvrage de haute facture qu’il a publié sous un titre assez évocateur : «Les fantômes du Roi Léopold, un holocauste oublié».
Intellectuel lucide, ce journaliste a démontré comment le système léopoldien a organisé un génocide des Congolais qui, malheureusement, est passé inaperçu. Sa démarche s’inscrit dans la droite ligne du journaliste anglais Edmond Morel qui eut, en son temps, le courage de dénoncer les barbaries des agents de l’Etat indépendant du Congo dont Léopold II fut propriétaire mais en même temps gérant des intérêts capitalistes occidentaux.
En effet, pour mettre en valeur le nouvel Etat, les populations congolaises furent réduites à l’état d’esclaves sur leur propre territoire. Abandonnés à la méchanceté des fonctionnaires sans scrupules, les Congolais furent soumis au travail forcé. Bien plus, ils ont travaillé sans recevoir de salaire. Ceux qui osaient résister subissaient la loi de la torture. Cette situation va s’aggraver avec la découverte de l’hévéa, plante qui fournit du caoutchouc utilisé dans la fabrication des pneus. La forte demande de pneu sur le marché international contraignit les agents de Léopold II à augmenter la production du latex.
Conséquence : les souffrances des populations congolaises redoublèrent davantage. Des villages entiers furent décimés, des femmes violées et des enfants faits prisonniers. Tout cela pour contraindre les hommes à travailler pour l’Etat indépendant du Congo de triste mémoire. Les hommes et les femmes qui ne produisaient pas la quantité de caoutchouc demandée par les capitas, virent leurs mains amputées sur instruction de l’autorité coloniale. Bien plus, on séchait ces mains de manière à constituer une preuve auprès des commanditaires. Bilan : plus de dix millions de victimes. Ce fut un génocide. Et le bourreau est connu : Léopold II, Roi des Belges et de l’Etat Indépendant du Congo.
Cependant, une interrogation mérite d’être soulevée. Pourquoi tant des morts sans que justice soit faite ? Pourquoi n’a-t-on pas ouvert un procès contre Léopold II et ses partenaires internationaux ? En lieu et place, l’Etat Indépendant Congo est annexé à la Belgique et devient Congo-Belge. La stratégie a consisté à effacer les traces et couvrir le crime. Ce travail d’effacement de mémoire fut effectué par des bourreaux étrangers avec la complicité des élites congolaises afin que des générations futures des Congolais ne se souviennent de ce holocauste.
2ème holocauste occulté
Malgré des révélations sur l’holocauste oublié, les populations congolaises continuent à souffrir. C’est comme si elles étaient en train de purger un quelconque châtiment de la Providence. De cette tragédie, il n’est tiré aucune leçon d’histoire, faute de mémoire collective entretenue. Avec la guerre d’agression du Rwanda, de l’Ouganda et du Burundi, pays soutenus par les Anglo-saxons, le Congo a connu un autre génocide. Celui-ci, à la différence de l’holocauste oublié, est carrément occulté. Selon les chiffres bien connus de tout le monde, les deux guerres d’agression ont fait plus 9 millions de morts. Dans les cinq provinces à l’Est de la République démocratique du Congo, il se trouve un cimentière le plus long de l’histoire du monde. Le sang des Congolais réclame justice.
Si le premier génocide des Congolais est le résultat de l’industrialisation de l’Europe, le deuxième – occulté- reste la conséquence de la révolution technologique, des impératifs de la communication et de la mondialisation capitaliste. En effet, la guerre des Banyamulenge qui était justifiée pour la nationalité s’est révélée une guerre économique. Les mobiles identitaires avaient comme soubassement la conquête des mines.
A ce sujet, le livre-enquête du journaliste français Christophe Boltanski sous un titre éloquent «Minerais de sang, des esclaves du monde moderne» est assez explicite. Les guerres à l’Est de la République démocratique du Congo sont des guerres de pillages des mines entretenues par les industries occidentales. Ces guerres de mines ont causé plus de 9 millions de morts.
Dans les médias occidentaux et autres, ce génocide est ignoré. Chose grave, des universitaires canadiens et belges ont même tenté de réduire le nombre de morts en tripotant sur les chiffres. Ils les ont revus à la baisse. Les Canadiens avancent le chiffre de 2.5 millions de morts et laissent entendre qu’il s’agit des décès dus à la misère et d’autres maladies. Quant aux universitaires belges, ils se sont encore pires. Ils parlent de 180 000 décès. Quel cynisme ! Avec du recul, l’on se rend compte que tous ces chiffres sont avancés et soutenus pour occulter le génocide congolais et éviter d’identifier les responsables.
D’ailleurs, tous les rapports des Nations unies ont identifié les sociétés et les gouvernements des pays africains, asiatiques et occidentaux impliqués dans le pillage des ressources naturelles du Congo. Nullement émue, la justice internationale ne s’en est pas saisie. A la place d’un procès, la communauté internationale conseille aux Congolais de négocier avec leurs bourreaux. Ils mettent en place la Conférence internationale pour la paix dans la région des Grands Lacs, et ressuscitent la communauté des pays des Grands Lacs. Initiatives destinées à effacer les traces de ce deuxième génocide. Curieusement, la plupart des pays occidentaux initiateurs de cette conférence sont ceux dont les entreprises sont impliquées dans les pillages des ressources du Congo et le génocide des Congolais. D’où, leur empressement d’effacer le tableau.
Conspiration du silence
Pourquoi ces deux génocides des Congolais n’ont pas bénéficié d’autant de publicité que celui des Juifs ou des Rwandais ? La réponse est simple : le bourreau est encore masqué et puissant.
Pour le génocide juif, le bourreau est connu : Hitler et le nazisme. Pour le génocide rwandais, ce sont les Interahamwe. Quant aux génocides congolais, les bourreaux sont encore masqués ; ils détiennent des médias, contrôlent les publications et font pression sur les élites congolaises afin qu’elles ne parlent pas. Il s’agit du capitalisme prédateur. Peut-être que quand le rapport de force changera de camp, ces bourreaux seront démasqués et traduits devant la Cour internationale de justice. En tout état de cause, la balle est dans le camp du Congolais. Il doit se prendre en charge et défendre sa cause. Les autres ne le feront pas à sa place.
Et si la raison était qu’il n’y a pas eu « génocide », dans aucun des deux cas ?
Pour Léopold II, même l’historien Stengers, qui ne lui était pas favorable, a scientifiquement démonté la thèse d’un génocide. Sans nier la violence et les exactions de l’époque, la thèse des 10 millions de morts victimes des « appétits » du Roi, soutenue par ses ennemis, ne tient pas la route. Elle fait fi des données démographiques de l’époque, par ailleurs elles-mêmes peu fiables (entre 15 et 20 millions?). Les maladies consécutives aux premiers brassages des polulations ont provoqué énormément de morts aussi. L’historien Ndawel est resté prudent sur ce point.
Quant aux conflits de l’Est, une étude scientifique a mis en évidence que les victimes directes du conflit ne dépassait pas 183,000 cas. Ce qui est déjà beaucoup de trop. Même si depuis cette étude – 1998 – il y a encore eu beaucoup trop de victimes, de familles broyées, déplacées, ce n’est pas une raison de se camoufler derrière des chiffres invraisemblables. Je cite dans ce rapport : « L’inanité de l’affirmation selon laquelle il y aurait quatre millions de morts en RDC est tellement visible qu’on pourrait en rester là et renvoyer les protagonistes des « Quatre millions de morts » à leurs fantasmes ou … à leurs mensonges rentables. »
Aldo Ayello a qualifié, en décembre 2010, d’extravagant le chiffre avancé des 6 millions de morts.
Paix aux innocentes et trop nombreuses victimes de ces conflits, mais sombrer dans le délire des chiffres ne fait guère avancer le débat. Cherchez l’intérêt de ceux qui se cachent derrière ces exagérations …