Par Jean-Pierre Mbelu
Les difficultés que rencontrent »les dialoguistes » du Centre Interdiocésain questionnent l’usage que nous faisons de certains mots et expressions en les détachant du contexte historique où ils sont »nés » ou utilisés. Qui sont-ils ? Des politiciens ? De qui dépendent-ils ? Du peuple ou des tireurs des ficelles tapis dans l’ombre ? Que pouvons-nous encore faire ensemble ? Les lignes qui suivent essaient de présenter quelques hypothèses allant dans le sens de comprendre historiquement ce qui se passe au Congo-Kinshasa.
Acteurs politiques, politiciens, pouvoir, notre jeune démocratie, etc. sont des mots et des expressions ayant perdu leur sens au Congo-Kinshasa dans le chef de plusieurs compatriotes.
Questionner l’histoire
En questionnant l’histoire, elle donne de plus en plus raison à Laurent-Désiré Kabila quand, face à l’incompétence de ses compagnons de guerre raciste d’agression et de prédation menée contre le pays de Lumumba à le gérer, il avait fini par comprendre qu’il avait affaire à »un conglomérat d’aventuriers ». Au sein de ce »conglomérat d’aventuriers », il y avait des assassins, des bandits de grands chemins, des criminels de guerre, des criminels contre l’humanité et des criminels économiques ayant pour mission d’exterminer les Congolais(es), de les chasser de leurs terres, de balkaniser le pays en jouant le rôle des sous-fifres, des sous-traitants, des nègres de service des »maîtres du monde ». Les accalmies connues au cours de cette guerre raciste perpétuelle ont permis à ce »conglomérat d’aventuriers » de se renforcer en accueillant dans l’armée des mercenaires des pays voisins engagés dans la même mission.
Les gouvernements successifs et les assemblées nationales formés par ce »conglomérat d’aventuriers » leur ont permis de coaliser avec certains »vieux dinosaures mobutistes », avec des compatriotes, ambitieux et/ ou de bonne fois, soucieux de »changer les choses de l’intérieur », avec des opportunistes, adeptes de »chance eloko pamba », etc.
Le recours au »politiquement correct » a induit nos masses populaires en erreur en entretenant chez elle de faux espoirs fondés sur de faux slogans sans quelle ne deviennent en tout et pour tout naïves.
Ces institutions formelles, vides de contenu démocratique, lieux de blanchiment du »conglomérat d’aventuriers kabilistes » et de leurs clients ont permis la création d’un vocabulaire vide de sens et l’invention »du politiquement correct ». Les services secrets devaient tout faire pour éviter que les récalcitrants ne puissent pas, régulièrement, rappeler l’histoire immédiate de cette guerre raciste de prédation et de basse intensité pour éviter de questionner les pratiques de ses sous-traitant oeuvrant au sein des institutions vidées de leur contenu politique, social, spirituel ou culturel.
Ils devaient sévir contre tous »les hérétiques » ; les opprimer et les réprimer en se laissant aider par »les infiltrés de l’armée ». Plusieurs ont été assassinés, massacrés extra-judiciairement ou simplement emprisonnés pour des motifs farfelus. Le recours au »politiquement correct » a induit nos masses populaires en erreur en entretenant chez elle de faux espoirs fondés sur de faux slogans sans quelle ne deviennent en tout et pour tout naïves.
Décrypter l’échec probable du dialogue du Centre Interdiocésain
Il leur arrive de déroger à la règle du »politiquement correct » et de chanter »Ooooo ya Tshitshi ee …zongisa ye na Rwanda… ». Il arrive même que certains »leaders d’une certaine opinion », rattrapés par la réalité et n’ayant pas réussi à changer les choses de l’intérieur à cause de la loi de pesanteur du sous-système de sous-traitance, crachent sur »le politiquement correct ». L’une de dernières sorties médiatique de Ne Muanda Nsemi en dit long. Certains chefs des terres et chefs coutumiers ayant compris la supercherie ont tout révélé à »leurs sujets » au point de pousser ceux-ci à mettre le feu aux poudres. Tel est le cas de Kamuina Nsapu au Kasaï Occidental.
La réalité rattrape certains artisans et/ou partisans du dialogue du Centre Interdiocésain. Ils se rendent à l’évidence que »les politiciens ne sont pas toujours très sensibles à la souffrance du peuple ». Ils nomment »politiciens », »les sous-traitants » de la néocolonisation du Congo-Kinshasa ; à quelques exceptions près. Le recours au »politiquement correct » crée des malentendus du point de vue du langage. Et ces malentendus rendent le discernement compliqué et fragilisent les luttes d’émancipation politique congolaises.
L’échec probable du dialogue du Centre Interdiocésain pourrait être un signe, un symbole à décrypter : l’échec de »la reconversion du conglomérat d’aventuriers et de sous-traitants » en acteurs politiques. C’est-à-dire en hommes et femmes participant, en conscience, à l’édification de leur »ciota », leur »cité » par le débat, la délibération et les décisions à même de garantir à leurs concitoyens des droits socio-économiques, politiques et culturels.
Le recours au »politiquement correct » crée des malentendus du point de vue du langage. Et ces malentendus rendent le discernement compliqué et fragilisent les luttes d’émancipation politique congolaises. L’échec probable du dialogue du Centre Interdiocésain pourrait être un signe, un symbole à décrypter : l’échec de »la reconversion du conglomérat d’aventuriers et de sous-traitants » en acteurs politiques.
Cet échec peut s’expliquer, dans le chef de plus d’un, par la nature de la mission reçue des »maîtres » : le mercenariat. Et soutenir qu’un mercenaire exerce »le pouvoir » là où il assume sa mission est un non-sens. Il gère »un os » que son »maître » lui a jeté. D’où notre adhésion à l’expression de Mufoncol Tshiyoyo quand il parle du »pouvoir-os ».
Il pourrait aussi s’expliquer historiquement par le traumatisme causé par l’assassinat de Lumumba.
« Bien sûr, l’Afrique n’a pas eu que des corrompus et des dictateurs comme ses détracteurs le laissent entendre. De nombreux hommes qui auraient pu et voulu faire des choses en ont été empêchés. L’assassinat de Patrice Lumumba a été l’acte fondateur du chaos politique congolais. Les assassinats politiques tout le long des années 60-70 ont traumatisé et dissuadé bien des dirigeants qui voulaient faire corps avec leurs peuples, soutient Aminata Traoré .» Un point de vue que nous partageons.
Réécrire notre histoire collective
Verbalement, théoriquement, des efforts sont conjugués pour conjurer ce traumatisme. Ils ne sont pas encore suffisants. Pour que ces efforts théoriques constituent une thérapie collective, toute notre histoire doit être à la fois relue et réécrite avec les masses populaires, à la base. De façon que de ces échanges puissent naître, non pas des sous-traitants de l’ordre extérieur, mais des »bantu ba ciota » ; c’est-à-dire des hommes et des femmes pétris et épris du sens de »la cité » et capables de la défendre avec le soutien des masses populaires ; de façon que de ces échanges et cette réécriture naissent des »bakalenge » ; c’est-à-dire des hommes et des femmes pétris et épris du sens du pouvoir, capables de plaider pour la cause et de la cité et de l’humanité entière. Un adage luba faisant allusion au »mukalenge », du chef dont la touche améliore le vivre ensemble lui dit : « Udi mukalenge kakuidi(amu) ciota ; ne akuile bukua bantu bonso !»
L’écriture et la réécriture de notre histoire collective peut être le lieu de notre thérapie collective, de la mobilisation des masses populaires et l’apprentissage en commun à partir de nos cultures et de nos traditions. Dans ce contexte, le travail des intellectuels organiques et structurants est indispensable.
L’écriture et la réécriture de notre histoire collective peut être le lieu de notre thérapie collective, de la mobilisation des masses populaires et l’apprentissage en commun à partir de nos cultures et de nos traditions. Dans ce contexte, le travail des intellectuels organiques et structurants est indispensable.
Au Congo-Kinshasa, ce travail passerait par un préalable : trouver une solution au problème de la direction du pays. Il peut aussi se faire parallèlement à celui de la recherche de la solution à ce problème. Certains pasteurs l’ont compris. Ils redonnent toute son importance au feu du soir, au »ciota ». L’un d’eux me confie ceci : « La semaine prochaine, je compte aller passer une nuit dans un de mes villages, où je vais mettre à profit la soirée pour qu’autour du feu, nous puissions réfléchir ensemble sur les actions à entreprendre pour un développement endogène et autogéré. » Multiplier les expériences de ce genre est nécessaire pour le Congo-Kinshasa. Il a besoin des intellectuels qui soient »le levain dans la pâte » des masses populaires. Au pays comme à l’extérieur.
Il n’y a pas d’alternative à cette réflexion menée ensemble à la base avec les masses appelées à devenir les démiurges de leur propre destinée. Cette réflexion peut constituer une théorie des actions à mener pour une indépendance mentale de nos masses populaires ; mais aussi pour leur indépendance organisationnelle, spirituelle et économique.
Babanya Kabudi
Génération Lumumba
Les pouvoirs traditionnels sont au plus mal en RDC. S’ils doivent être l’une des sources nous permettant de concevoir et de faire la politique autrement, comment peut-on les revaloriser à la fois sur place et parmi nous dans la diaspora?