Lors d’une conférence de presse organisée à Goma, dans le Nord-Kivu (RD Congo), le secrétaire général des Nations-Unies, Ban ki-Moon, la Brigade d’intervention de la Monusco devrait être opérationnelle dans un ou deux mois, tout en affirmant que, avec ces troupes, les Nations unies sont en mesure de redresser la situation sécuritaire dans l’Est de la RDC. L’analyste politique Jean-jacques Wondo apporte un éclairage sur cette déclaration mais aussi sur les conséquences politiques et citoyennes à en tirer.
Alors que les experts qui suivent de près la situation sécuritaire du Congo doutaient de la mise en œuvre de cette force avant juin 2013, les propos vagues du SG des Nations-unies viennent de semer davantage des doutes sur l’effectivité de cette force dont l’ ‘opérationnalité‘ est repoussée dans deux mois. Et pourtant, dans une diversion communicationnelle, le gouvernement congolais, qui a démissionné de toutes ses fonctions régaliennes en matière de la défense nationale, jubilait du fait que la brigade d’intervention se mettrait en activité eà la fin de ce mois.
Et pourtant, la nouvelle escalade guerrière est déjà présente au Nord-Kivu avec son lot de désastres humanitaires. Une situation qui demande qu’une action urgente soit prise pour éviter une détérioration de la situation sécuritaire et humanitaire. Attendre deux mois (dans l’hypothèse la plus favorable car Ban Ki Moon parle au conditionnel, ce qui veut dire dans l’hypothèse la plus favorable) pour voir cette brigade se mettre au travail tend à montrer que l’ONU se profile davantage vers un règlement politique de cette crise qu’une action militaire en faveur de laquelle elle n’est pas sûre (cfr notre analyse sur la Résolution 2098 – Analyse d’un pétard mouillé) de remporter une victoire en éradiquant les forces négatives, dont le M23. En deux mois tout peut se passer sur le terrain diplomatico-militaire et le M23 peut encore grappiller du terrain en étendant son rayon géographique d’action, se renforcer militairement et consolider sa position politique de sorte à poursuivre les négociations de Kampala dans une position haute, fort du résultat de son action de séduction qui éloigne peu à peu le spectre de l’action militaire contre lui.
Avec cette nouvelle échéance du déploiement retardé de la brigade d’intervention, cela consacre partiellement une victoire latente de l’activisme diplomatique du M23 qui a sillonné les capitales et les États-majors des pays fourvoyeurs des troupes à cette brigade pour les dissuader d’envoyer leurs soldats dans l’enfer oriental congolais à cause des dangers qui pourraient les guetter. Il n’est pas exclus que cette lenteur du déploiement de la brigade soit davantage en rapport avec l’offensive diplomatique coordonnée menée par le M23 et le Rwanda qui continue à le soutenir militairement sur le terrain et moins pour des raisons d’ordre technique ou opérationnel. Un groupe négatif qui s’est montré plus entreprenant sur le plan international pendant que Kinshasa (les ministres Mende et Tshibanda), affichant un optimisme puéril et irresponsable, criait la victoire avant la guerre et croisait les bras, se contentant de menacer le M23 de cesser d’exister en tant que mouvement militaire, sinon la brigade d’intervention (et non les FARDC déstructurées) s’occupera de lui.
Maintenant que le M23, fidèle à sa stratégie belliciste héritée du Rwanda, lance l’offensive militaire sur le terrain, la question que l’opinion publique se pose: où est cette brigade – le messie militaire attendu par le pouvoir congolais – tant vantée par le régime de Kinshasa pour faire le nettoyage du Kivu afin de le débarrasser des forces négatives, dont le M23? N’est-ce pas ici qu’il faille interpeller sévèrement le Gouvernement. Lui qui, il y a un mois, traitait d’enfantillage et de fausses rumeurs, les menaces de la guerre apparentes du M23 rapportées par l’opinion publique et la société civile locale, dont le porte parole, Kavota, ne cessait d’avertir en vain les autorités responsables. Ces dernières se sont contentées d’appeler les populations au calme et à vaquer à leurs occupations, les rassurant qu’elles ont le contrôle de la situation.
Dès lors, comment donner encore du crédit au gouvernement congolais qui jusqu’il y a une semaine se refusait de reconnaître la dégradation de la situation sécuritaire lorsque son porte-parole, fidèle à sa rhétorique schizophrénique paradoxale déclare dans un communiqué officiel: « Cette attaque manifestement préparée de longue date au regard des moyens humains et matériels projetés par les forces négatives visait sans aucun doute à dissuader, voire empêcher le déploiement de la Brigade Spéciale d’Intervention des Nations-Unies instituée par la Résolution 2098 du Conseil de Sécurité pour soutenir la pacification et la stabilisation de l’Est de la République Démocratique du Congo ». Et la question est de savoir, jusqu’à quand (et combien de morts faut-il encore au Congo) le gouvernement congolais et la communauté internationale continueront dans leur mise en scène théâtrale macabre?
Un autre élément qui me rend dubitatif quant à la mise en opération effective de la fameuse brigade que je peux qualifier déjà de « Monstre du Loch Ness », tellement qu’on en parle et qu’on en a peur sans la voir en réalité, est la période choisie par Ban Ki Moon pour son déploiement: Deux mois, c’est-à-dire en pleine vacances d’été où la plupart de cadres de la Monusco et des Nations Unies ainsi que les principaux acteurs diplomatiques et internationaux prennent leurs vacances annuelles au soleil, loin des montagnes congolaises. L’ONU pourra-t-elle se risquer de mener une action d’envergure à partir de fin juillet – début août 2013 dès lors que ses services et son dispositif tant au Congo qu’à New York travaillent avec un service minimum réduit, qui se limite à gérer les affaires courantes. Le doute est permis.
Par leurs propos ambigus, le SG des Nations-unies, suivi par Madame Robinson qui privilégie à son tour l’option politique tout en reconnaissant d’avance que la brigade n’est pas la panacée à crise congolaise, viennent lâcher du lest. Cela ne fait que renforcer le pessimisme, qui ne faisait l’ombre d’un doute chez les experts les plus avisés, sur l’efficacité à terme de la résolution 2098 qui présente jour après jour des atours d’un pétard mouillé.
Voilà les populations du Nord-Kivu à nouveau abandonnées à leur triste sort et contraintes d’attendre au-moins deux mois? L’espoir fait vivre, dit-on mais ne permet pas de ressusciter des morts ou des réparer des dommages causés à ces oubliés du Kivu dont on parle à peine, contrairement au soldat britannique victime d’un acte barbare d’extrémistes musulmans. Qui (sur)vivra à la troisième guerre du Congo verra peut-être la brigade d’intervention agir! Mais arrêtons d’être dupes face à l’hypocrisie et à la politique de l’autruche menée par la communauté internationale au Congo et le pouvoir congolais dépourvu de tout monopole de la violence légitime et qui attend la « Big mama » sud-africaine venir le langer!
Il est temps pour les congolais de s’assumer et de redevenir maîtres de leur destin. Le salut ne viendra ni de l’Occident, encore moins de l’Orient ni de la brigade internationale mais le salut poindra son nez le jour où le Congolais passera du stade de lamentation (se victimisant du matin au soir : balkanisation) au stade de la maturité et de la responsabilité citoyennes, devenant le gendarme de l’intégrité de son territoire.
Jean-Jacques Wondo
Analyste des questions politiques et sécuritaires de la RD Congo
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