Par Jean-Pierre Mbelu
« Penser est un devoir pour tous ceux et toutes celles qui entendent assumer leur responsabilité tout simplement humaine. » – J.F. MALHERBE
Mise en route
Il y a de ces questions pouvant paraître banales mais qu’il est bon de se poser de temps en temps. A partir d’où pensons-nous ? Quels sont les préjugés suscitant nos réflexions et nos critiques ? Culturellement, quel mode de pensée l’école et l’université ont-elles fini par imposer à nos coeurs et à nos esprits au point de les « manger » et de les condamner à formuler des critiques stériles ? Pourquoi l’approche individualiste de l’humain et de la politique a-t-elle plus d’emprise sur nous que l’approche collectiviste, par exemple ? Qu’est-ce qui fait que l’immédiat nous intéresse un peu plus que le travail de fourmis abattu dans le temps long et collectivement ? Penser à toutes ces questions est un exercice auquel chacun de nous, chacune de nous peut se livrer afin qu’il puisse apporter le meilleur de lui-même à l’édification d’un Kongo plus beau qu’avant.
Les critiques de la politique kongolaise et l’humain kongolais
Il est fréquent que les critiques de la politique kongolaise se livrent à une approche individualiste de plusieurs de ses acteurs apparents. Cette identification de l’humain à un individu recroquevillé sur lui-même atteste que plusieurs coeurs et plusieurs esprits kongolais sont victimes, consciemment et/ou inconsciemment, de l’hégémonie néolibérale triomphante -jusqu’à présent-et de la philosophie socio-politique l’ayant marquée.
Il est fréquent que les critiques de la politique kongolaise se livrent à une approche individualiste de plusieurs de ses acteurs apparents.
Cette philosophie atomise la société en présentant les individus comme étant en concurrence et en compétition permanentes sans aucune possibilité d’actions et d’interactions positivement collectives. Elle exclut, d’emblée, la possibilité que les individus soient à la fois autonomes et coopèrent les uns avec les autres ; qu’ils soient solidaires et compatissants. Bref, cette approche individualiste de l’humain nie son identité en tant que relation et interaction.
Elle a tellement de l’emprise sur les coeurs et les esprits de plusieurs critiques de la politique kongolaise qu’ils perdent de vue, par exemple, l’interchangeabilité des acteurs apparents souvent présents sur la scène de la théâtralisation de la politique du pays. Elle en rend difficile la remise en question systémique dans la mesure où elle se contente de croire qu’il suffit de déshabiller Pierre pour habiller Paul pour que les choses changent en profondeur.
Les soutiens de certains candidats
Les soutiens offerts à certains candidats au processus électoraliste de 2023-2024 sont très éloquents à ce sujet. Le fait que ces candidats n’aient pas obtenu les suffrages espérés a tout de suite refroidi, après, l’ardeur politique de plusieurs compatriotes les ayant soutenus.
Opposer l’intelligence collective kongolaise à la leur passe par une discipline collectivement assumée dans des collectifs patriotes et souverainistes acceptant de travailler systémiquement dans le temps long.
Pourtant, il y en avait dont les programmes ou la campagne étaient très bien faits. Ils voulaient gagner au coeur d’un système gangrené par une corruption endémique, par un abrutissement généralisé des masses populaires zombifiées, assujetties ; bref appauvries anthropologiquement.
Ils auraient, donc, osé sans une connaissance en conscience du sous-système kongolais marqué par la médiocratie.
Curieusement, plusieurs porteurs de ces beaux programmes ont rapidement disparu de la scène politique kongolaise au point de susciter des doutes sur la noblesse de leurs intentions et la question de savoir s’ils ne faisaient pas partie des vassaux interchangeables. Pourquoi n’auraient-ils pas réussi à comprendre que les grands changements sont moléculaires, imperceptibles et que c’est le travail sur le temps long qui peut être payant ?
L’approche systémique
S’ils avaient opté pour l’approche systémique, ils auraient peut-être compris qu’elle « signifie que les faits doivent être mis en relation, en chaîne et inscrits dans le temps long. Montrer les mécanismes permet de situer le niveau des enjeux où il s’agit d’agir.[1]»
Le souhait serait que les minorités éveillées deviennent des collectifs citoyens interconnectés, disciplinés, tenaces et travaillant méthodiquement au niveau local, national, régional et panafricain, avec leurs propres organes de presse, leurs réseaux sociaux et promouvant régulièrement les lieux de la production de l’intelligence collective.
« Mettre en relation » et inscrire la démarche dans le temps long pour mieux identifier les jeux et les enjeux afin de mener des actions collectives pragmatiques, voilà ce qui manque à plusieurs critiques de la politique kongolaise et les rend stériles.
Il est interpellant qu’ils n’arrivent pas à questionner la pertinence de leurs propos en revisitant l’histoire. Ils ont dit et répété : «Mobutu doit partir», «Mzee Kabila doit partir», «Joseph Kabila doit partir» . Comment ne se rendent-ils pas compte que le départ de tous ces messieurs n’a pas sorti le pays du sous-système néocolonial ? Du point de vue de la pensée, il doit y avoir quelque chose qui ne tourne pas très rond. Il y aurait un problème : celui de la dé-néocolonisation mentale indispensable à la maturation politique et humaine.
Bon ! Les minorités éveillées ne dorment ni ne sommeillent. Urgences Panafricaines Kongolaises, « Nous peuples congolais », Conscience Nationale Congolaise, Likambo ya Mabele et quelques autres mouvements citoyens du pays sont en train de de se démarquer de cette approche individualiste de l’humain kongolais et atomisante de la politique kongolaise.
Une petite conclusion : un souhait
Le souhait serait qu’ils deviennent des collectifs citoyens interconnectés, disciplinés, tenaces et travaillant méthodiquement au niveau local, national, régional et panafricain, avec leurs propres organes de presse, leurs réseaux sociaux et promouvant régulièrement les lieux de la production de l’intelligence collective. Et qu’ils soient tradicratiques.
Les minorités des globalistes apatrides soutenant la guerre hybride raciste de prédation et de basse intensité s’inscrivent dans cette façon de faire. Il y a moyen d’apprendre d’eux. Les proxys qu’ils mettent sur le devant de la scène politique cachent tout le travail collectif se faisant dans l’ombre. Opposer l’intelligence collective kongolaise à la leur passe par une discipline collectivement assumée dans des collectifs patriotes et souverainistes acceptant de travailler systémiquement dans le temps long.
Babanya Kabudi
Génération Lumumba 1961
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[1] E. DE BEUKELAER et alii, Ceci n’est pas une crise, Waterloo, Renaissance du Livre, 2015, p. 74.