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Affaire Luc-Gérard Nyafe: énième scandale financier sous Félix Tshisekedi ?

Affaire Luc-Gérard Nyafe: énième scandale financier sous Félix Tshisekedi ?

Affaire Luc-Gérard Nyafe: énième scandale financier sous Félix Tshisekedi ? 1024 512 Ingeta

Par Blaise Pascal Zirim

Ce billet analyse l’attribution en janvier 2020 d’un marché de 126 millions de dollars US par la RD Congo au holding colombien Strategos Group du millionnaire congolais Luc-Gérard Nyafe, Ambassadeur itinérant du Président Félix Tshisekedi. Ce contrat qui porte sur l’aménagement de la première zone économique spéciale congolaise à Kinshasa est partiellement financée par la Banque mondiale.

Depuis l’accession de F. Tshisekedi au pouvoir dans des conditions pour les moins transparentes en janvier 2019 dans ce que d’aucuns qualifient de « hold up électoral », puisque c’en est le cas d’ailleurs, l’actualité politique congolaise des douze derniers mois fait état de plusieurs scandales politiques et financières dans lesquels se trouvent cités des proches de F. Tshisekedi. De l’embarrassante affaire du détournement de 15 millions de dollars US (considéré comme licite par le Président Tshisekedi dans une interview de TV5Monde le 22 septembre 2019) à la gestion opaque du programme dit des 100 jours en passant par l’attribution des contrats des millions de dollars à des proches de F. Tshisekedi, la présidence de la RD Congo semble être devenue un système d’enrichissement personnel et de patrimonialisation de l’Etat dans l’un des pays les plus pauvres de la planète.

Luc-Gérard Nyafe, Tshisekedi et le conflit d’intérêts

L’attribution d’un marché de 126 millions de dollars en janvier 2020 pour l’aménagement d’une zone économique spéciale ZES) à Maluku (Kinshasa) à Stategos Group, une société enregistrée en Colombie ! et appartement à l’homme d’affaires congolais Luc-Gérard Nyafe, a suscité quelques critiques vite étouffées par d’autres scandales dans lesquels le régime de F. Tshisekedi semble exceller depuis son accession au pouvoir. Pour comprendre l’importance de cette affaire, précisons qu’au regard de la loi n°14/022 du 07 juillet 2014 fixant le régime des zones économiques spéciales en RDC (article 1er), une ZES est une région géographique dans laquelle l’Etat offre notamment une combinaison d’incitations fiscales, de droit de douanes favorables, des procédures douanières simplifiées aux investisseurs étrangers et locaux que dans le reste du pays afin d’attirer le flux de capitaux.

Mais qui est Luc-Gérard Nyafe patron de Strategos Group ? C’est nul autre que l’Ambassadeur itinérant de Felix Tshisekedi depuis le 7 mars 2019, très introduit dans les milieux des affaires en Amérique latine, en Europe et en Afrique. L’homme d’affaires pèserait plusieurs centaines de millions de dollars US. En sa qualité d’ambassadeur itinérant, Luc-Gérard Nyafe a rang de Ministre au regard de l’ordonnance présidentielle du 23 novembre 2019. Réagissant aux nombreuses critiques qui circulaient sur les réseaux sociaux soupçonnant un conflit d’intérêts dans l’attribution de ce marché au groupe Strategos vu son appartenance au cabinet présidentiel, Luc-Gérard Nyafe soutient que son Strategos Group a obtenu ce marché dans le respect des lois et procédures en vigueur (article de Magazine Enjeux africains publié le 7 février 2020). Si la signature de ce marché avec le gouvernement congolais est intervenue en janvier 2020, Luc-Gérard Yafe ne manque pas d’insister sur le fait que sa société avait été sélectionnée en 2017 – sous entendue avant l’accession de F. Tshisekedi au pouvoir – à l’issue d’une mise en concurrence.

L’allocution du Coordonnateur national de la CPEF (Cellule d’exécution des financements en faveur des Etats fragiles), lors de la cérémonie de signature du contrat d’attribution d’un marché de 126 millions de dollars en janvier 2020 pour l’aménagement d’une zone économique spéciale, indique que Strategos Group a été sélectionné le 14 juin 2019 ! Au 14 juin 2019, Luc-Gérard Nyafe était déjà nommé ambassadeur itinérant de F. Tshisekedi !

Cependant, le journal Desk Eco.com (29 janvier 2020) renseigne que l’avis à manifestation d’intérêt avait été publié en décembre 2018. Si l’on s’en tient à cette information, la sélection est logiquement intervenue après décembre 2018 et, fort probablement, après l’entrée en fonction de F. Tshisekedi en janvier 2019 et la nomination de Luc-Gerard Nyafe au poste d’ambassadeur itinérant en mars 2019. Cela est fort probable, certain même, lorsqu’on considère que ledit contrat a été conclu le 28 janvier 2020 ! C’est ce que confirme Zoomeco (19 juin 2019) en référence à un communiqué datant du 17 juin 2019 de la Cellule d’exécution des financements en faveur des Etats fragiles (CPEF) du Ministère des finances annonçant la sélection de Strategos Group comme aménageur de la zone économique spéciale de Maluku. Plus précisément, l’allocution du Coordonnateur national de la CPEF lors de la cérémonie de signature dudit contrat (repris par Lepotentielonline) indique que Strategos Group a été sélectionné le 14 juin 2019 ! Au 14 juin 2019, Luc-Gérard Nyafe était déjà nommé ambassadeur itinérant de F. Tshisekedi !

Fait important. Luc-Gérard Nyafe indique au Magazine Enjeux africains (précité) qu’il s’est déjà retiré de la gestion de Strategos Group pour éviter tout conflit d’intérêts. Est-ce vrai ? Un article paru dans le Magazine Zoomeco le 29 janvier 2020 renseigne que ledit contrat avait été signé par Auguy Bolanda (chargé des missions de l’Agence des zones économiques spéciales (sic) et…Luc-Gérard Nyafe, Manager de Strategos Group ! On l’aperçoit d’ailleurs sur des images publiées par le Magazine Zoomeco pour illustrer cette signature. Le Ministre de l’Industrie (Julien Paluku) n’a pas manqué l’occasion de twitter une photo de Luc-Gérard Nyafe et lui le 27 janvier 2020 et le présente comme ayant gagné le marché de l’aménagement de la ZES de Maluku ! Par ailleurs, en vue de couper court à tout soupçon d’un conflit d’intérêts, le Coordonnateur national de la CPEF, représentant l’Etat congolais lors de la signature de ce contrat indique : « (…) toutes les diligences ont été mises en œuvre pour garantir la transparence et la régularité du processus de recrutement en veillant à enrayer tout conflit d’intérêts susceptible d’être relevé à l’encontre du CEO de Strategos Group qui a été nommé, il faut le souligner, postérieurement à la sélection de sa firme, Ambassadeur itinérant de son Excellence Monsieur le Président de la République » (allocution reprise par Lepotentielonline, numéro précité). Qui s’excuse s’accuse ? En voulant couper court à tout soupçon de conflit d’intérêts, le Coordonnateur de la CPEF se contredit en annonçant que Luc-Gérard Nyafe a été nommé ambassadeur itinérant « postérieurement » à la sélection de son groupe Strategos pour le projet Maluku. Or, sa nomination comme ambassadeur itinérant de Félix Tshisekedi est du 7 mars 2019 et la sélection de Statégos Group (selon le coordonnateur de la CPEF himself) pour le projet Maluku est intervenue le 14 juin 2019 (trois mois après sa nomination !).

Jusqu’où ira la patience du peuple congolais ?

Que cache ces doubles contre-vérités du Coordonnateur de la CPEF et de Luc-Gérard Nyafe sur la date de la séléction de Stategos Group pour le projet Maluku ? Pourquoi Luc-Gérard Nyafe annonce-t-il au Magazine Enjeux africains qu’il s’est déjà retiré de la gestion de ce groupe alors que c’est lui (conseiller itinérant de F. Tshisekedi) qui a signé ce contrat pour le compte de Strategos Group avec…le Gouvernement congolais ? On est ici en face d’un proche collaborateur du Président de la République, son ambassadeur itinérant, qui signe – pour le compte de sa société – un contrat de 126 millions de dollars US avec le gouvernement. N’est-ce pas scandaleux ? L’homme d’affaires devenu conseiller itinérant de F. Tshisekedi n’a-t-il pas usé de son influence pour que sa société décroche ce marché ? Et même à supposer que tel n’a pas été le cas, Luc-Gérard Nyafe n’usera-t-il pas de sa qualité et de l’influence qu’il a dans l’entourage de F. Tshisekedi dans la réalisation des obligations prévues par la loi de 2014 sur les zones économiques spéciales (article 15 à 20) et le contrat d’aménagement ?

Autre élément important : la zone économique spéciale de Maluku servira comme projet pilote pour l’aménagement d’autres zones économiques spéciales à travers le pays. il s’agit notamment de l’axe Ouest (Kinshasa-Inga-Matadi-Banana pour l’hydroélectricité, le pétrole, manufacture etc.), de l’axe Centre (Ilebo-Tshikapa-Kananga-Mbuji Mayi pour la logistique de transport et les industries agro-alimentaires), de l’axe Sud (Kolwezi-Likasi-Lubumbashi-Sakania pour les industries lourdes et manufacturières), de l’axe Est (Uvira-Bukavu-Goma-Beni-Bunia pour l’industrie manufacturière et agro-alimentaire) et de l’axe Nord-Ouest (Kisangani-Bumba-Mbandaka pour l’industrie du bois et l’agro-industrie). Ces projets se chiffrent en plusieurs milliards de dollars et l’on s’attend au recours à des prestataires privés pour aménager ces zones. Maluku sera-t-il réellement un projet pilote de conflits d’intérêts et malversation pour le reste de projets attendus ?

Le parti UDPS de F. Tshisekedi a longtemps critiqué la gouvernance de Joseph Kabila (allié de F. Tshisekedi dans la formation du gouvernement actuel dans un accord sui generis) notamment le système d’enrichissement personnel mis en place sous Joseph Kabila. Avant Joseph Kabila = Après Joseph Kabila ? Pendant ce moment, la population congolaise qui a placé beaucoup d’espoirs en F. Tshisekedi attend le changement promis. Le pouvoir d’achat du congolais s’amenuise chaque jour davantage tandis que les promesses électorales de F. Tshisekedi tardent à se concrétiser.

Depuis son accession au pouvoir, F. Tshisekedi n’a pas cessé de prêcher urbi et orbi son intention d’instaurer un Etat de droit et de moraliser la vie publique en RD Congo. Un an après, des signaux se font attendre. Que dis-je ? Des signaux sont perceptibles. Mais…des signaux d’un système de prédation et d’enrichissement personnel au sommet de l’Etat. Ce qu’on peut appeler aujourd’hui « affaire Maluku » (à ne pas confondre avec les fosses communes de Maluku découvertes sous le régime de Kabila) s’inscrit-t-elle dans cette perspective ? Retourner le sol de Maluku ne risque-t-il pas de mettre à la surface les fausses communes du régime de Kabila (fils) ou, au pire, d’étouffer tout espoir d’exhumation et de justice ?

Dans tous les cas, ça ne sera pas la première fois que des intérêts financiers internationaux vont primer sur les intérêts des congolais. F. Tshisekedi n’a-t-il d’ailleurs pas annoncé que sa mission n’était pas de fouiner dans le passé ? Notons que le parti UDPS de F. Tshisekedi a longtemps critiqué la gouvernance de Joseph Kabila (allié de F. Tshisekedi dans la formation du gouvernement actuel dans un accord sui generis) notamment le système d’enrichissement personnel mis en place sous Joseph Kabila. Avant Joseph Kabila = Après Joseph Kabila ? Pendant ce moment, la population congolaise qui a placé beaucoup d’espoirs en F. Tshisekedi attend le changement promis. Le pouvoir d’achat du congolais s’amenuise chaque jour davantage tandis que les promesses électorales de F. Tshisekedi tardent à se concrétiser. Jusqu’où ira la patience du peuple congolais ? On ne sera pas surpris de voir les congolais dans les rues exigeant des meilleures conditions de vie…ou même la démission de F. Tshisekedi ! Les quatre prochaines années s’annoncent décisives. Wait and see.

Blaise Pascal Zirimwabagabo Migabo est spécialiste en droit des affaires internationales (Paris 2), doctorant en droit (Genève) et enseignant-chercheur à l’Université Officielle de Bukavu (RD Congo).

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