Par Jean-Pierre Mbelu, analyste politique.
Hier, vendredi 05 octobre 2012, Monsieur Vital Kamerhe, Président de l’UNC et ex-président de l’assemblée nationale congolaise, a lu sa déclaration politique devant plusieurs compatriotes dont certaines figures connues représentant certains partis politiques congolais. Cette déclaration a été résumée et publiée par certains médias kinois sans qu’ils en décèlent les pièges.
A l’actif de Vital Kamerhe, nous reconnaissons la reconduction de certaines propositions déjà faites à Sun City et par certains compatriotes : la mise sur pied d’une Commission (Justice), Vérité et réconciliation sur la guerre de basse intensité que notre pays connaît depuis 1996, l’organisation d’un dialogue permanent entre les Congolais autour des questions d’actualité (dont cette guerre de basse intensité), la libération des prisonniers politiques, l’arrêt de la séquestration d’Etienne Tshisekedi, etc.
Cela étant, il est important de lire calmement la déclaration de Vital Kamerhe. Ce Monsieur a été démis de ses fonctions de Président de l’Assemblée nationale pour avoir dénoncé l’accord conclu entre le pouvoir (kabiliste) de Kinshasa et le Rwanda (de Paul Kagame) à l’insu de l’institution au sommet de laquelle il trônait. Au jour d’aujourd’hui, il est difficile de dire si les militaires Rwandais impliqués dans l’opération de traque des FDLR à l’issue de dudit accord secret sont tous rentrés dans leur pays d’origine ou pas. Certains d’entre eux, après l’interview donnée par leur Ministre de la défense à Colette Braeckman à la fin du mois d’août 2012, ont fait semblant de repartir chez eux au cours de la journée en se dépouillant de l’uniforme de l’armée congolaise. Et la nuit, selon certains témoignages des compatriotes des Kivus, ils sont revenus chez nous. Donc, la question pour laquelle Vital Kamerhe a été chassé comme un pestiféré de la présidence de l’Assemblée nationale n’a pas trouvé de réponse jusqu’à ce jour.
L’ex-président de l’Assemblée nationale devenu Président de l’UNC a été candidat de l’opposition contre Joseph Kabila aux élections de 2011. A l’issue de ces élections de novembre et décembre 2011, Vital Kamerhe fut l’un des rares politiciens à avoir récolté des preuves palpables de la fraude et de la tricherie orchestrées par le camp kabiliste et ayant profondément vicié le processus électoral. Le fait que Joseph Kabila soit le produit de cette fraude et de cette tricherie a affecté profondément sa légitimité politique et son autorité morale. Si nous ajoutons à tout ceci les différents rapports des experts de l’ONU sur la guerre de basse intensité contre notre pays, les clans Kagame et Kabila (Joseph) doivent être exclus de tout processus de paix et de justice dans les pays de la sous-région de Grands-Lacs ; ils font partie du problème de cette guerre de basse intensité orchestrée par certaines « grandes puissances » que Vital Kamerhe, dans sa restitution historique des guerres à répétition dans notre sous-région, n’arrive pas à nommer un seul instant. Et c’est triste !
La relecture de la déclaration de Vital Kamerhe pousse à poser des questions du genre : « A partir d’où parle-t-il ? Qui parle à travers lui ? Pourquoi les solutions à cette guerre d’agression proposées par Herman Cohen et Sarkozy se retrouvent-elles sous la plume de Vital Kamerhe ? Pourquoi lui peut-il parler et resté non-inquiété là où Diomi Ndongala ne sait pas faire la même chose ?, etc. »
La relecture de la déclaration de Vital Kamerhe nous pousse à soutenir qu’il veut rester cohérent avec ses anciennes amours. Il sait « pourquoi, en 2006, il a choisi Joseph Kabila ». Ils ont les mêmes parrains. Ces derniers ont demandé à Joseph de laisser Vital s’exprimer et « feindre » de faire partie de l’opposition. Les élections sont passées. L’amnésie aidant, Vital revient sur le devant de la scène pour sauver son ami, « le soldat Kabila ». Il feint d’oublier que ce dernier n’a plus de légitimité politique et d’autorité morale pouvant lui permettre de sauver la cohésion nationale. (Il fait comme s’il n’avait pas vu les photos de Kampala et entendu Ban Kin moon, au mini-sommet de l’ONU sur la RDC, appelé Kagame le Président de la République Démocratique du Congo.)
Quand Vital Kamerhe invite les pays de la sous-région à se mettre ensemble, il fait une proposition louable. Néanmoins, il fonde cette proposition sur une matrice organisationnelle néolibérale en parlant du libre échange.
Oui. Nous avons besoin de nous mettre ensemble pour organiser le panafricanisme des peuples. Mais pas sur n’importe quelles bases. Nous avons besoin de la coopération, de la solidarité, de la justice sociale comme matrice fondatrice de notre panafricanisme des peuples de la sous-région de Grands-Lacs et non du néolibéralisme ayant conduit l’Occident dans l’abîme. (Sur ce point, il est important de lire les livres de l’ex-conseiller en matière économique de Bill Clinton, le Prix Nobel de l’économie, Joseph Stiglitz. Et surtout l’un de ses derniers livres intitulés «Le prix de l’inégalité, Les liens qui libèrent, Paris, 2012, 5009 p. »
A ce point nommé, la déclaration de Vital Kamerhe nous invite à un renouvellement constant de la pensée, de notre mode d’organiser notre pensée politique, économique et culturelle. La chance de l’Occident dont le déclin se fait de plus en plus sentir est, entre autres, dans sa capacité de protéger la liberté d’expression et d’avoir des empêcheurs de penser en rond. Même s’ils ne sont pas toujours écoutés par « les cercles du pouvoir » empêtrés dans le courtermisme.
De toutes les façons, Kamerhe a eu « l’audace » de présenter un plan. Il ne doit pas être l’unique. En déceler les limites devrait pousser à approfondir le débat. Ce dernier ne portera des fruits que si, entre autres, l’opinion publique des pays initiateurs de la guerre de basse intensité s’implique dans la promotion des contre-réseaux du réseau transnational de prédation sévissant dans notre pays. Malheureusement, la déclaration de Vital Kamerhe laisse dans l’ombre tous les acteurs pléniers de la tragédie congolaise depuis les années 60. Or, dans un pays comme la Belgique, parler de ces acteurs n’est plus un tabou. David Van Reybrouck en fait plus ou moins la démonstration dans son ouvrage intitulé « Le Congo. Une histoire, Actes Sud, 2012,711 p. ».
Espérons que d’autres plans beaucoup plus audacieux pourront être mis en œuvre chez nous et qu’ils tiendront compte du fait que Paul Kagame est « un paralytique » et que Joseph Kabila est son « cheval de Troie ». Et que leurs clans respectifs doivent répondre politiquement et juridiquement de leur implication dans la guerre de basse intensité ayant sévi dans notre pays depuis les années 90.
Mbelu Babanya Kabudi