Par Jean-Pierre Mbelu
L’histoire, l’économie politique mondiale et les faits sociaux devraient nous pousser à comprendre qu’il y a une urgence à mettre sur pied en RDC un leadership collectif, unificateur, responsable et visionnaire au Congo si nous voulons que notre peuple, dans son immense diversité devienne l’acteur majeur de sa destinée. « Le peuple d’abord » devrait devenir le leitmotiv de l’engagement citoyen de toute digne fille et de tout digne fils du Congo. Lumumba, en bon sage, avait pris soin de nous avertir qu’il y allait de notre survie en tant que peuple au cœur de l’Afrique. Au Venezuela, pendant quatorze ans, Hugo Chavez, fort de son cercle de pouvoir, a réussi ce pari. Il est donc réalisable.
Avant les élections de novembre et décembre 2011, un mouvement unificateur des Congolais(es) autour de l’Idée du changement est né. Les différentes manifestations organisées à travers les grandes capitales du monde et en RDC ont véhiculé les images d’un peuple uni contre l’occupation de son pays par des forces négatives africaines et occidentales et aspirant à un changement profond ; lequel changement pourrait le propulser comme acteur majeur de sa destinée sur la terre de ses ancêtres. Au pays comme dans la diaspora, une figure politique, Monsieur Etienne Tshisekedi, avait réussi à incarner cet appel- eu égard à la cohérence de sa lutte historique pour un Etat de droit démocratique- et à le traduire en une petite belle expression : « Le peuple d’abord ! ». Malheureusement, ces élections ont été des « pièges à cons[1] » et ont participé de l’affaiblissement de ce mouvement unificateur ; la fraude, les tricheries, les bourrages d’urnes et les résultats inconnus de ces élections ont contribué à replonger notre pays dans l’inquiétude. Et les démons séparatistes reviennent sur le devant de la scène politico-sociale congolaise. Le discours tribaliste et ethniciste que le mouvement unificateur avait combattu et presque abattu revient dans l’espace public congolais mal informé. Et ce discours s’en prend à plusieurs cibles dont une « cible classique » depuis Mobutu : « les balubas et les Kasaïens ». Il les classifie presque tous dans le camp des « opposants éternels » aux différents régimes du pays et estime que le séparatisme-fédéraliste serait une solution aux goûts effrénés des kasaïens de régner sans partage sur plusieurs autres tribus ou ethnies de la RDC.
Ce discours séparatiste-fédéraliste est aveugle et aveuglant. Il met entre parenthèse le fait que tous les régimes clientélistes qui se sont succédé au Congo ont eu les balubas et les kasaïens dans tous les deux camps : le pouvoir et l’opposition. Le pouvoir mobutiste et kabiliste ont eu et ont des balubas et des kasaïens occupant des hautes fonctions étatiques (manquées). Des balubas et des kasaïens ont été parmi les dinosaures de Mobutu et sont parmi « les nouveaux prédateurs » kabilistes.
Le discours séparatiste-fédéraliste nous semble être « un résidu » de l’hégémonie culturelle dominante et de sa capacité de manger les cœurs et les esprits. Il s’enracine là où le manque d’éducation, l’ignorance, l’ego surdimentionné, la cupidité et la vassalité ont éteint toutes les lumières de l’esprit en violant gravement l’imaginaire. Il conduit « ses esclaves volontaires » dans la caverne platonicienne où ils s’habituent à lire la réalité à l’envers. Il conduit à applaudir les fascistes se présentant sous l’habit des humanitaires et à la haine de soi.
Les conséquences de l’adoption de ce discours séparatiste-fédéraliste risquent de participer de notre commune disparition comme peuple ayant une terre, une conscience nationale historique et un a-venir. D’où l’urgence d’un leadership collectif unificateur, responsable et visionnaire. Cela pour plusieurs raisons.
Historiquement, Lumumba nous avait avertis. « Plus nous serons unis, mieux nous résisterons à l’oppression, à la corruption et aux manœuvres de division auxquelles se livrent les spécialistes de la politique du « diviser pour régner ». [2]» Notre Héros National tenait à la promotion prioritaire des mouvements nationalistes-patriotes au Congo et en Afrique. Lui, avant nous, avait réussi à mieux identifier nos ennemis extérieurs : l’impérialisme et le néocolonialisme. Il pensait que ces deux ennemis ne pouvaient pas être combattus en ordre dispersé et dans l’entretien des divisions. Il disait : « Ces divisions, sur lesquelles se sont toujours appuyées les puissances coloniales pour mieux asseoir leur domination, ont largement contribué- et elles contribuent encore- au suicide de l’Afrique. [3]» Lumumba portait un noble souci : déjouer la politique du « diviser pour régner » en dépassant les rivalités politiques internes. En bon sage, il savait par expérience « que dans nos territoires africains, l’opposition que certains de nous créent au nom de la démocratie n’est pas souvent inspirée par le souci du bien général ; la recherche de la gloriole et des intérêts personnels en est le principale, si pas l’unique mobile.[4] » Malgré toutes les critiques que nous pouvons formulées à l’endroit de Mobutu, il serait injuste de passer sous silence ses appels à l’unité quand il disait : « Papa bo moko, mama bo moko , ekolo bo moko !», en pleine « guerre froide ». (L’unité chère hier à la mobilisation contre « le communisme » constitue un danger aujourd’hui contre le capitalisme sauvage. L’unification des forces populaires est seule capable de le vaincre !) Même s’il a contribué à la discrimination des kasaïens en estimant qu’ils étaient pires que « le serpent » tout en travaillant avec eux. Mzee Laurent-Désiré Kabila, malgré ses compromissions, serait allé plus loin que Mobutu en nous disant : « Nous devons être maîtres, chez nous, là. » Son lâche et odieux assassinat fut un témoignage que, malgré tout, il avait vu juste. Malheureusement, sa diabolisation par les médias dominants et les manipulations intérieures a terni, dans le chef de plusieurs compatriotes, son image du « soldat du peuple ».
Economico-politiquement, l’occident qui a constitué notre référence dans la séparation de la société en plusieurs sphères fonctionne aujourd’hui à partir d’une seule et unique matrice organisationnelle qu’est « le marché financier », face visible du capitalisme sauvage. En Occident, la séparation politique entre la droite et la gauche, entre partis politiques et société civile ne signifie plus rien. Toutes ces séparations rhétoriques opèrent sur fond de l’unique matrice organisationnelle : le capitalisme sauvage orchestrant le chaos au travers de la guerre (économique) de tous contre tous[5] et de la guerre de basse intensité chez nous. En Occident, donc, les règles de la maison (eco-nomie) ne sont plus l’apanage des citoyens. Elles sont le fait de la démocratie du marché financier dont « les maîtres » sont, entre autres, la Commission Européenne , le FMI et la Banque Centrale Européenne[6] (que le FMI esclavagise en la reliant à la Réservé Fédérale Américaine). Le marché financier a converti l’Europe (comme pendant et après la guerre froide) en une colonie US. (Le Blog de François Asselineau est très explicité sur cette question.) Plusieurs pays européens ont perdu leur souveraineté au profit du marché financier. Ils ont versé dans le vide idéologique. (Dire aujourd’hui par exemple que l’on appartient à l’Internationale Socialiste en travaillant avec le parti socialiste français, c’est affirmer que l’on est engagé sur la voie de la renonciation à la souveraineté de son pays au profit du marché financier comme Hollande le fait pour la France. )
Socialement, les nouveaux leaders politiques congolais doivent s’habituer à travailler en équipe. Il sera difficile, à tort ou à raison, pour les leaders balubas et kasaïens, de convaincre leurs autres compères qu’ils ne vont pas, demain, s’ils arrivent à la direction des affaires congolaises, de diriger seuls (et à leur guise) et le Congo et les villages des autres compatriotes. Réalisme oblige ! Ils ne vont pas, à moindre frais, convaincre les autres de les voir différemment que comme ils apparaissent ; c’est-à-dire « bapita dimanya » ; ce qui signifie qu’ils apparaissent comme étant tous, sans exception, « suffisants », pleins d’eux-mêmes en prétendant tout savoir. S’ils veulent contribuer au salut du Congo, ils devront accepter de composer, comme sous Mobutu et sous Kabila, avec les autres, tout en évaluant, sans complaisance, ce que leurs compatriotes pensent être « leur complexe de dimanya ». Ils ne devraient pas oublier que l’instrumentalisation des divisions est une spécialité de « petites mains du capital ». Elles s’insèrent dans toutes les brèches que les divisions permettent là où leurs intérêts géopolitiques et géostratégiques sont en jeu. D’où la nécessité d’un leadership collectif assumant en son sein et nos diversités et une vision responsable pour un Congo souverain. D’où aussi la nécessité d’avoir des associations et des individus fédérateurs non concernés par la répartition des charges politiques. En dehors du Cardinal Monsengwo, il y a, dans notre pays, un prêtre qui a déjà fait ses preuves et qui travaille, en dépit et malgré tout, à l’avènement d’un autre Congo : José Mpundu.
Il est possible qu’il y ait beaucoup d’autres compatriotes animés de la même volonté. Ils doivent se manifester pour une œuvre d’unification de toutes les forces congolaises acquises au changement dans un mouvement capable de mettre le peuple congolais sur le devant de la scène en clamant à haute et audible voix : « Le Peuple d’abord ». Que José Mpundu et des autres compatriotes se mettent ensemble et travaillent à l’unification d’un leadership collectif congolais à partir de la signature d’un manifeste résumant les objectifs communs et un pacte dont la trahison serait passible d’exclusion. Mais aussi en s’engageant, ici et maintenant, dans des actions à impact visible prouvant à ce peuple qu’il constitue la préoccupation première de ses dignes fils et filles. Cela, avant et pendant l’institutionnalisation d’un leadership collectif responsable et visionnaire. En plus de nos aînés, nous avons le devoir de « fabriquer » les jeunes membres de ce leadership comme Hugo Chavez l’a fait pour le Venezuela. Un mouvement unificateur des dignes filles et fils du Congo devient de plus en plus une urgence. Il doit impérativement être mis sur pied si nous ne voulons pas disparaître à tout jamais comme peuple historique.
Mbelu Babanya Kabudi
[1] Lire deux livres très bien écrits d’Alain Badiou De quoi Sarkozy est-il le nom ?, Paris, Lignes, 2007 et Sarkozy Pier que prévu. Les autres,: prévoir le pire, Lignes, 2012.
[2] « Africains, levons-nous ! » Discours de Patrice Lumumba, prononcé à Ibadan (Nigeria), 22 mars 1959, Paris, Son asEditions Points, 2010, p. 11.