L’analyste politique Jean-Pierre Mbelu revient sur l’actualité politique en rapport avec le Congo, remet en question le rôle de donneur de leçons que jouent les Etats-Unis d’Amérique, décrypte l’économie de guerre permanente des élites occidentales et explique pourquoi nous devons créer un imaginaire alternatif.
Sur l’accord cadre d’Addis-Abeba
Cet accord est le quantième ? Pourquoi ces pays signataires passent-ils d’un accord à un autre sans que la véritable paix, la véritable justice et la véritable stabilité puissent devenir ce qu’il y a de mieux partagé dans la sous-région des grands lacs?
Quand ils se sont mis autour d’une table pour signer cet accord là, on n’a pas vu une seule représentation des multinationales qui pillent les richesses de la sous-région et instrumentalisent les ethnies pour faire main basses sur les richesses du Congo.
Tant que les véritables acteurs de cette guerre de basse intensité ne seront pas clairement, visiblement impliqués dans la recherche de la solution, il n’y aura que le peuple congolais, mobilisé dans son immense majorité et debout qui pourra renverser le rapport de force.
Il n’est pas étonnant que cet accord ne puisse pas aboutir à des résultats escomptés. Il est signé par des marionnettes et a été confectionné dans les bureaux de Washington, Londres, Paris ou de Bruxelles. Et ceux qui se sont retrouvés autour de la table pour le signer n’en connaissaient ni les tenants ni les aboutissants. Cet accord n’est qu’un jeu de dupes.
Sur la visite de sénateurs américains à Kigali
Quand vous lisez les livres de Peter Dale Scott, « La machine de guerre américaine », mais aussi « La route vers le nouveau désordre mondial » vous comprenez que la plupart des décisions qui sont prises et exécutées dans notre partie du continent, le sont dans les bureaux secrets de la CIA et du Pentagone.
Quand nous ne parvenons pas à discerner ces ambitions secrètes américaines, quand nous n’arrivons pas à discerner le mode opératoire de l’élite dominante anglo-saxonne, nous risquons d’être constamment tournés en bourrique. Les américains ne se gênent pas pour aller voir le bourreau de l’Afrique centrale et dire, « c’est notre meilleur ami ».
Quand vous remontez aux origines de la guerre de basse intensité au Congo, vous vous rendez compte que c’est cette élite anglo-saxonne qui la mène par Kagamé, Museveni et les autres nègres de service interposés.
Sur le rôle de donneur de leçons des USA
Quand en 2000, il y a eu une fausse élection de George Bush Junior, qui est allé donner des leçons aux USA ? De quel droit cet Etat, USA, que Noam Chomsky classifie parmi les Etats manqués, qui tue les gens à travers le monde, qui est tombé dans le déficit démocratique, peut-il venir donner des leçons de démocratie aux Africains ?
Comment voulez-vous que des dirigeants qui ont conduit leurs propres pays à la ruine puissent avoir de leçon de politique à donner aux autres ?
Nous avons un problème en tant qu’africains. C’est nous qui devons nous engager dans le travail de la recréation d’un imaginaire alternatif. Nous devons arrêter d’être traité comme des sous-hommes à qui les véritables humaines doivent donner et tracer une ligne à suivre.
Et puis, le Congo n’est pas une île. Comment est-ce que ces mêmes messieurs qui ont travaillé à la destruction de la Libye, avec ceux qu’ils estiment aujourd’hui être des terroristes, comment ces mêmes messieurs qui ont détruit l’Afghanistan, comment ces mêmes messieurs qui ont détruit une vieille civilisation comme la civilisation américaine, comment ces mêmes messieurs qui sont en train d’envoyer des armes aux terroristes qui détruisent la Syrie, peuvent-ils se dépasser au Congo pour dispenser une éducation politique qui sortirait le Congo de l’économie de guerre où son élite l’a plongée ?
Sur l’économie de guerre permanente des élites occidentales
Quand nous analysons la question africaine et la question congolaise, il faudrait que nous ayons toujours une large vue sur ce qui se passe au niveau mondial et que nous puissions nous poser, entre autres, ces questions : S’ils ont détruit la Libye, l’Irak, l’Afghanistan, pourquoi ne pourraient-ils pas le faire chez nous ? S’ils ont divisé le Soudan en deux, pourquoi ne le feraient-ils pas chez nous ? Leurs économies sont en perte de vitesse. Ils ont besoin de faire main basse sur nos ressources du sol et du sous-sol pour pouvoir relancer leurs économies, parce qu’ils croient en l’économie de la guerre permanente. Et cela d’autant plus que le Japon et la Chine ont décidé eux aussi de pouvoir se battre sur le sol africain.
Sur l’opposition congolaise et les enjeux essentiels pour le Congo
Quelles sont les questions fondamentales auxquelles notre pays doit faire aujourd’hui ? Est-ce que les élections constituent une question fondamentale pour le Congo. Cette fameuse opposition congolaise fait le jeu de ceux qui occupent le Congo.
Une des questions essentielles aujourd’hui est celui du passage du Congo d’un Etat failli et sous-tutelle à un Etat national et souverain. Comment voulez-vous organiser des élections au cœur d’un Etat sous occupation ? Comment pouvons-nous nous mobiliser et nous organiser pour que la tutelle de ce pays sous laquelle le Congo se trouve depuis novembre 1999 puisse prendre fin afin que les dignes filles et fils de ce pays se retrouvent, mettent en place une assemblée constituante et une constitution qui pourrait imaginer des mécanismes de contrôle qui pourraient par exemple conduire à chef de l’Etat à quitter ses fonctions s’il n’arrive pas à répondre aux ses promesses électorales.
Ce qu’il nous faut aujourd’hui, c’est une rupture avec le modèle sociétal actuel. Le Congo actuel est un Etat honteux, il faut en sortir en initiant des grandes ruptures pour refonder un Etat responsable et souverain.
Sur la nécessité d’un imaginaire alternatif
Nous ne devons pas perdre de vue que ceux qui font la guerre à la sous-région des Grands Lacs africains ne font pas la guerre tout simplement au Congo, ils font la guerre à toute l’Afrique. Leur cauchemar serait de voir l’Afrique se tourner vers le panafricanisme des peuples. Ils utilisent donc une arme à laquelle ils ont toujours eu recours, celle de diviser pour régner. Pendant que vous vous haïssez à mort, vous ne pouvez rien construire ensemble. Pendant ce temps là, on parle d’Union Européenne, on parle des Etats-Unis d’Amérique, on parle de la Chine populaire, on parle de l’Inde, on parle du Brésil, chez nous on parle encore de pays qui se battent follement, bêtement, depuis près de 20 ans. Il faut rompre avec tout cela. Mais il faut surtout que cela passe par une justice réparatrice et réconciliatrice.
Pendant que les autres pays essaient de voir comment ils peuvent répartir les richesses qu’ils produisent, comment ils peuvent créer des emplois pour leurs jeunesses, comment ils peuvent assurer les droits économiques, sociaux et culturels de leurs peuples, dans nos pays, nous sommes instrumentalisés et nous ne faisons que nous faire la guerre. On doit rompre avec cela. Voilà pourquoi nous avons besoin d’un imaginaire alternatif qui va nous permettre de dire non à ceux qui voudraient nous entraîner dans une (économie de) guerre permanente.
Sur la rupture entre la diaspora congolaise et les représentants du gouvernement congolais
Mova, l’ambassadeur de la RDC pour le Benelux, est un monsieur intelligent. Mais comme avec tous ces gens intelligents dont le Congo regorge, on se pose la question : A quoi sert leur intelligence ?
Sur le désamour entre lui et la diaspora congolaise, la bonne question est : qu’est-ce qui justifie ce désamour ?
Est-ce que l’ambassadeur représente le Congo ou un conglomérat d’aventuriers opérant à partir de Kinshasa ? Est-ce que les congolais se reconnaissent dans ceux qui prétendent gouverner le Congo aujourd’hui ?
Il y a une rupture totale entre ceux qui gèrent plus que bien le pays aujourd’hui et la diaspora congolaise. La diaspora congolaise ne se reconnaît pas dans ces gouvernants là. Les espoirs qui avaient mobilisé les congolais en 2011 ont été déçus. Comment voulez-vous que cette diaspora dont les espoirs ont été déçus se retrouve dans les gouvernants qui ont déçu ces espoirs? Sans rupture et refondation du Congo sur des bases souveraines, la diaspora congolaise ne va pas se réconcilier avec ceux qui représentent le conglomérat d’aventuriers de Kinshasa.