Par Jean-Pierre Mbelu
Il y a, dans la relecture de l’histoire du Congo, une coïncidence des dates, des mois et des identités des acteurs majeurs (depuis quelques décennies) qui devrait donner à penser. Elle trahirait une certaine conduite d’une ‘’politique profonde’’ à questionner régulièrement pour une orientation en conscience du ‘’vivre-bien congolais’’. A l’approche de la date du 02 août rappelant le début de ‘’la première guerre mondiale africaine’’ (Susan Rice), il serait intéressant de reconsidérer la direction que la RDC a prise depuis ce jour-là jusqu’à la veille de la rencontre USA-AFRIQUE ; et les possibilités qu’elle peut encore exploiter pour devenir un pays réellement indépendant, souverain et protecteur de ses terres.
Au cours de la première semaine du mois d’août, il se pourrait que ‘’le raïs’’ réponde à l’invitation de Barack Obama au sommet USA-AFRIQUE. Le choix de la date de ce sommet intrigue un peu ! Au cours du premier semestre de 1998, Laurent-Désiré Kabila rompt son alliances avec les armées ougando-rwandaises. Il leur demande de rentrer dans leurs pays respectifs. Le 02 août 1998, le Rwanda, par l’entremise d’une milice gagnée à sa cause, le RCD, attaque la RDC au grand mépris de la légalité internationale. La communauté occidentale fait comme si de rien n’était. Les USA, eux, ne rompent pas la coopération militaire avec l’axe ougando-rwandais.
Pour preuve, ils viendront au secours de l’armée ougando-rwandaise encerclée par l’armée angolaise au Bas-Congo en l’exfiltrant. Le RCD poursuivra cette guerre avec le soutien de l’Ouganda et du Rwanda dans une RDC désormais soutenue par l’Angola, le Zimbabwe, la Namibie, etc. Ces deux camps se neutraliseront jusqu’au moment où la communauté occidentale composée de la troïka (USA, France et Belgique) s’alliera avec la Zambie, l’Afrique du Sud et bien d’autres pays non-impliqués dans cette ‘’première guerre mondiale africaine’’ pour que les accords de Lusaka soient conclus en juillet 1999 et que la Monuc soit mise sur pied pour veiller à leur mise en œuvre.
Le 2 août 1998 et la tactique du « Talk and Fight »
Il est important de bien relire cet épisode. La rupture d’alliance entre Laurent-Désiré Kabila et l’armée ougando-rwandaise entraînée et soutenue par les Forces Spéciales américaines[1] a conduit à la naissance du RCD pour neutraliser la résistance africaine créée autour de Mzee, dépeupler et occuper les terres congolaises.
L’accord de Lusaka fut une diversion participant de la tactique du ‘’talk and fight’’. Il est concocté par un homme de l’ombre de l’administration Clinton, Howard Holpe[2]. Sa signature a créé une trêve. Elle n’a cependant pas empêché que Laurent-Désiré Kabila soit assassiné le 17 janvier 2001.
Insistons. N’eût été cette trêve, les armées africaines venues au secours de la RDC auraient anéanti la milice ougando-rwandaise du RCD avec ses soutiens. Les commanditaires de cette guerre de prédation et de basse intensité auraient mordu la poussière ou se seraient manifestés au grand jour. Pour éviter cela, ils ont fait intervenir l’ONU. Un remake ! Les relecteurs conscients de l’histoire collective du Congo peuvent se souvenir que l’ONU a (déjà) trahi Lumumba après les sécessions du Katanga et du Kasaï quelques jours seulement après la proclamation officielle de l’indépendance formelle du Congo. Croyant à l’impartialité de cette institution ‘’internationale’’, Lumumba l’a invitée à mettre fin à cette double sécession avant de s’entendre dire qu’il s’agissait là d’une question interne dans laquelle elle ne pouvait s’ingérer. « Le partisan farouche de l’action pacifique qu’il était appelle maintenant à une contre-offensive militaire. En quarante-huit heures, la sécession du Kasaï est vaincue et les troupes fidèles à Lumumba entrent au Katanga. »[3]
L’ONU a pu, à ce moment là, décréter militairement le cessez-le-feu. Elle a fait ce que la résolution du Conseil de sécurité du 09 août 1960 lui interdisait : intervenir dans un conflit intérieur. « En d’autres termes : les Nations unies ne participent pas au rétablissement du gouvernement légitime de Lumumba mais protègent militairement les sécessionnistes katangais »[4] avant que le sort du Premier ministre Congolais soit finalement scellé à partir de Washington. Le chef de la CIA au pays de l’Oncle Sam, Allen Dulles, passera ce message au responsable de sa station à Léopoldville, Larry Devlin : « Nous avons décidé que son éloignement est notre objectif le plus important et que, dans les circonstances actuelles, il mérite grande priorité dans notre action secrète. »[5] La suite est connue. Lumumba est assassiné et cet assassinat va profiter à ses commanditaires et à leurs ‘’négriers’’ avec l’aval de l’ONU.
La coïncidence des dates et la « politique profonde »
En 2001, l’ONU est au Congo comme en 1961. Lumumba est assassiné le 17 janvier 1961. Laurent-Désiré Kabila l’est le 16 janvier 2001. Quarante ans, jour après jour ! A qui a profité ce crime ? A ses commanditaires et à leurs ‘’négriers des temps modernes’’. La coïncidence des dates et l’identité des acteurs majeurs devraient être des signes révélateurs d’une même ‘’politique profonde’’ et ambitieuse menée depuis plus de quatre décennies !
Avec l’arrivée de l’AFDL sur le sol congolais et après la création de la milice ougando-rwandaise RCD, le phénomène d’infiltration et d’affaiblissement des institutions congolaises s’est poursuivi ainsi que la mise sous tutelle de la RDC par la communauté occidentale. Les autres milices de différentes branches du RCD, du MLC, du CNDP ou du M23 ont continué la même œuvre sous la supervision des mêmes acteurs majeurs, avec la complicité des élites congolaises compradores. Il y a là un phénomène récurrent : la cogestion des institutions congolaises par les agents de l’ombre étrangers et les acteurs apparents congolais ou voulant se faire passer comme tels sous la barbe de l’ONU. Les différents accords signés après celui de Lusaka favorise cet état des choses : la déliquescence de l’Etat congolais favorable au ‘’chaos constructeur’’.
C’est-à-dire à la balkanisation et à l’implosion du Congo pour la création de petits Etats faibles, corvéables à et opposables à souhait pour le triomphe de la politique du ‘’diviser pour régner’’, ennemie des institutions fortes et servante du marché néolibéral. La légitimité et l’efficacité de ces institutions, en effet, en prennent le coup. Comment faire pour exfiltrer ces agents de l’ombre étrangers, neutraliser ‘’leurs nègres de service’’ et refonder l’Etat congolais sur des bases éthiques sûres et saines dans un pays dominé par des acteurs majeurs transformés en ‘’chasseurs de matières premières’’ et ne jurant que par un Congo et/ou une Afrique transformé(e) en simples réservoirs de ressources stratégiques, obéissant à la seule logique du marché non-régulé ? Cette question se complique davantage quand, certains agents de l’ombre étrangers s’identifient religieusement à la descendance juive de Salomon, héritière des mines d’or se situant à l’Est du scandale géologique du cœur de l’Afrique et tient à tout prix à la balkanisation et à l’implosion du Congo. ?
Pour eux, la conviction (ou l’idéologie) religieuse (fabriquée de toute pièce) l’emporte sur les aspirations des Congolais(es) appelant de tous leurs vœux l’avènement d’un Etat social et de droit, porté par un leadership visionnaire et des mouvements et des partis de masse unifiants.
La RD Congo et ses 9 voisins
La naissance ou la renaissance d’une autre ‘’race de Congolais (es)’’ débarrassée de toute haine de soi, fière d’être elle-même, porteuse de valeurs humanistes et progressistes nous semble indispensable au travail d’exfiltration (ou de reconversion?) des agents de l’ombre, à la neutralisation des ‘’nègres de service’’ et à l’animation des institutions et des structures nécessaires à l’avènement d’un Congo (lais) libre et prospère. D’où l’importance de la re-visitation des lieux de la structuration de la personnalité congolaise que sont la famille, l’école, l’église et l’université, de les questionner sur la qualité de l’homme et de la femme qu’ils ont produit jusqu’à ce jour et au besoin les booster pour qu’ils fassent mieux.
Bref, l’interaction entre acteurs congolais progressistes et humanistes et des structures et des institutions respectueuses du droit, de la justice de la liberté et de la dignité humaine est, à nos yeux, l’une des clefs nécessaire à l’émancipation politique de notre pays et à la fin du cauchemar qu’il connaît depuis plusieurs décennies. Les minorités organisées et agissantes y travaillent déjà. Les fruits de l’indépendance économico-politique, de la souveraineté et de la protection (ou du protectionnisme) des terres ancestrales mettent du temps à mûrir.
Il ne sert presque pas à grand-chose de rappeler que certains compatriotes pensent que les choses iraient un peu plus vite s’il y a avait un coup d’Etat perpétré par des patriotes résistants ; d’autres restent attachés à la procédure ‘’démocratique’’ d’élections au suffrage universel ; d’autres encore ne jurent que par le soulèvement des masses populaires, devenues démiurges d’elles-mêmes, pour renverser les rapports de force, etc.
Cela étant, la question du respect du droit international demeure. Comment procéder pour que l’ONU soit un peu plus respectueuse du droit à l’autodétermination de tous ses membres et évite son instrumentalisation par la communauté occidentale et leurs alliés ? Le renforcement de l’axe Brics-Amérique latine-Afrique pourrait-il être un début de solution pour une Afrique déconnectée du Nord comme le conseille François Houtart[6] ?
Telles sont des questions qui méritent un certain approfondissement au sein des partis et mouvements unifiants congolais et africains. Le Congo a neuf voisins. Il lui sera difficile de se tirer d’affaires seul sans une sérieuse intégration politique, économique, culturelle et sécuritaire avec ses voisins ; sans une certaine diversification des partenaires stratégiques. Certains pays latinos, l’Iran, la Syrie, l’Angola, la Guinée Equatoriale, l’Algérie, etc. semble avoir compris cela.
Mbelu Babanya Kabudi