Par Jean-Pierre Mbelu
De plus en plus, des minorités congolaises organisées et agissantes comprennent que le terrain où ils peuvent assumer leur ‘’devoir citoyen’’ en luttant contre les forces de la mort pour un changement en profondeur est leur pays : le Congo-Kinshasa. Des compatriotes issus de ces minorités sont d’avis que ce pays appartient à tous ses fils et à toutes ses filles. Il ne doit pas être pris en otage par ‘’un individu ou un groupe d’individus’’. Par ses enseignements, son engagement citoyen, son expertise, ses faits et gestes, le Prof André Mbata Mangu nous donne l’impression de faire partie de ces minorités. Parti pour ses enseignements en Afrique du Sud, plusieurs d’entre nous avions cru qu’il avait pris le chemin de l’exil. Il vient de démentir la chose.
Le 27 juillet 2014, nous écrivions un article intitulé ‘’Le Prof André Mbata Mangu sur le chemin de l’exil’’. Cet article posait certaines questions liées au débat soulevé par cet éminent Professeur des Universités et de droit constitutionnel autour de la révision constitutionnelle au Congo-Kinshasa et de ‘’la vie après la présidence’’. Pour rappel, il fut invité, muni de ses pièces d’identité par le maire de la commune de Lemba après la présentation de son livre sur Nelson Mandela. « Au lieu de répondre à ce rendez-vous, écrivions-nous, nous apprenons, aux dernières nouvelles que Mbata Mangu a pris son avion pour l’Afrique du Sud. Va-t-il finalement choisir l’exil en sacrifiant ses étudiants de l’Université de Kinshasa ou fait-il un break en attendant que le mauvais vent de ‘’la kabilie ‘’ passe ? Selon certains de ses proches, il n’est pas encore décidé. Il est parti dispenser ses cours en Afrique du Sud et après, il verra s’il est opportun de retourner au Congo ou pas. Certains autres lui conseillent d’attendre ‘’la fin de la kabilie’’ loin de la patrie de Patrice Lumumba. Nous nous disons : ‘’Wait and see ‘’ ! »
André Mbata Mangu refuse de choisir l’exil
En lisant l’interview que le Prof André Mbata Mangu a accordée au journal Le Phare ce mardi 30 septembre 2014, les questions que nous posions le 27 juillet 2014 trouvent leurs réponses. André Mbata Mangu refuse de choisir l’exil. Il s’assume en tant qu’intellectuel congolais engagé, professeur des Universités, constitutionnaliste et chercheur. Quand il répond à la question sur son retour à Kinshasa et son possible exil, il est plus que clair. Il dit : « Bonjour. Je suis effectivement de retour à Kinshasa. Ce pays nous appartient à nous tous, et non pas à un groupe d’individus quels que puissants soient-ils.
Des intimidations et même des menaces, il y en a eu et il pourrait encore y en avoir, mais je n’avais commis aucun crime en m’opposant à toute violation de la Constitution à travers les arguments fallacieux et hérétiques qui nous sont quotidiennement servis par la Majorité au pouvoir et ses tambourinaires qui se recrutent dans tous les milieux, y compris ceux des partis politiques, la société civile, les universitaires, les journalistes et les religieux.
N’oubliez pas non plus que selon l’article 64 alinéa 1er, « faire échec à tout individu ou groupe d’individus qui prend le pouvoir par la force ou l’exerce en violation de la présente constitution » n’est pas une liberté, c’est plutôt un « devoir » ou une obligation qui s’impose à tous les congolais pris individuellement et collectivement. Si on ne le fait pas, on est coupable et on aura failli à son premier devoir de citoyen. S’agissant de l’exil, un politicien de ce pays avait dit « Moto akobangisa moninga te, biso banso bana ya 1900 » (personne ne fera peur à qui que ce soit, nous sommes tous nées en 1900). L’article 30 de la Constitution stipule aussi qu’ « aucun Congolais ne peut être ni expulsé du territoire de la République, ni être contraint à l’exil, ni être forcé à habiter hors de sa résidence habituelle ». Aussi, s’il faut véritablement contribuer au changement dans ce pays, on ne doit pas avoir peur d’y vivre. »
Ne pas faillir à son « devoir citoyen »
Non seulement André Mbata Mangu est retourné dans la capitale de son pays, il y poursuit le débat sur la révision constitutionnelle et avoue que sa lutte relève du ‘’devoir citoyen’’. Ce faisant, il rappelle que les citoyen(nes) n’ont pas que des ‘’droits’’ ; ils ont aussi des ‘’devoirs’’ comme celui de lutter sans peur pour que son pays change en profondeur afin qu’il se transforme en un espace vitale viable où ‘’les textes fondateurs’’ sont respectés.
En bon constitutionnaliste, il fonde son argumentaire sur une bonne maîtrise de la constitution de son pays. (Même si elle est critiquée par plusieurs de ses compatriotes comme étant ‘’une charte d’occupation et de mise sous tutelle’’ du Congo-Kinshasa!) Il en évoque des articles étayant ses prises de position. Il rappelle, en citant l’article 64, le fondement juridique de la mobilisation citoyenne contre ‘’ un individu ou un groupe d’individus’’ s’estimant puissant et capable de prendre ‘’le pouvoir’’ par la force ou de le conserver en violant la loi fondamentale du pays. A son avis, renoncer individuellement ou collectivement à cette mobilisation, c’est faillir à son ‘’devoir citoyen’’.
Cette interview décrie aussi ‘’la politique du ventre’’ qui a mangé les cœurs et les esprits chez ‘’cet individu ou groupe d’individus’’ disposés à commettre ‘’un crime imprescriptible’’ en violant intentionnellement la Constitution et ses articles verrouillés.
En lisant cette interview, on se rend compte que le débat soulevé à Kinshasa par Mbata Mangu, cet éminent constitutionnaliste congolais, a intéressé certains pays africains. Le Nigeria et la République Centre Africaine l’ont invité pour qu’il aille leur parler de l’organisation des élections et de la mise sur pied d’un Etat de droit démocratique. Faisant allusion à ces invitations, André Mbata Mangu dit : « Au Nigeria comme en RCA, nous étions des « experts pour la vie » et non pas pour « l’inanition de la nation ». » En bon ‘’expert’’, le Prof Mbata fonde sa lutte d’intellectuel engagé sur le terrain congolais et africain sur ‘’le triomphe de la vie’’ contre toutes les forces de la mort.
Les Congolais(es) sont debout
Néanmoins, le fondement rationnel et juridique de son argumentaire pose certaines questions dans un pays où ‘’la politique du ventre’’ a majoritairement contraint ses compatriotes à renoncer à la raison et à piétiner le droit. Ces derniers ont fait de la politique une question de survie et un lieu où s’exerce l’instinct de conservation. Même si les grandes révolutions sont souvent moléculaires ; même si ce sont les minorités organisées qui finissent par l’emporter sur les majorités décervelées et abruties, le Prof Mbata nous semble un peu ‘’naïf’’. Pour cause. Plusieurs crimes imprescriptibles sont commis au Congo-Kinshasa depuis le début de la guerre de l’AFDL jusqu’à ce jour. Le rapport Mapping de 2010 en est l’un des témoignages suffisamment documentés. En dehors de quelques sous-fifres, les véritables acteurs majeurs de cette tragédie et leurs réseaux n’ont pas été traduits en justice jusqu’à ce jour. Que changerait la commission d’un crime imprescriptible supplémentaire dans un pays où plusieurs criminels sont ‘’aux affaires’’ ?
Tout en félicitant le courage prophétique du Prof Mbata et son engagement citoyen sur terrain, nous estimons que le Congo-Kinshasa a besoin, en plus du fondement rationnel et juridique des débats entre ses dignes filles et fils, d’une refondation sur des valeurs éthiques. La reconnaissance de la commune dignité humaine, de la commune socialité, du conflit maîtrisé (c’est-à-dire respectueux de la singularité de tout homme dans le débat), de la légitimité politique comme lieu de capacitation citoyenne en vue de promouvoir le meilleur en chaque membre de la cité, etc. fait cruellement défaut au Congo-Kinshasa ; à cet ‘’Etat raté’’ sous occupation des proxies rwandais et ougandais et sous la tutelle de l’ONU. ‘’La révolution matérialiste de la modernité’’ y est vide de tout fondement éthique. Elle fait le lit de ‘’la survie’’ des tambourinaires et autres thuriféraires du ‘’raïs’’.
Dans cet ‘’Etat raté’’ foncièrement ‘’néolibéralisé’’ et néocolonisé, un changement en profondeur naîtra (surtout) du changement systémique de paradigme. Il faut passer du paradigme néolibéral ayant la concurrence et la compétitivité pour matrice organisationnelle sur fond de laquelle se fait ‘’la guerre de tous contre tous’’ au paradigme socio-coopératif fondé sur l’équité, l’égalité, la fraternité et la solidarité. Ce passage adviendra au bout des luttes citoyennes courageuses et persévérantes menés par les minorités organisées et agissantes auxquelles André Mbata Mangu appartient déjà. A moyen terme, c’est faisable. Les Congolais(es) sont debout.
Mbelu Babanya Kabudi