Par Jean-Pierre Mbelu
« Les partis politiques sont des organismes publiquement, officiellement constitués de manière à tuer dans les âmes le sens de la vérité et de la justice. » – S. WEIL
0. Mise en route
Il y a quelques jours, un ex-candidat aux élections de 2018 s’est confié à une chaîne de télévision en parlant des « partis politiques » kongolais dits de l’opposition. A son avis, il n’y a pas d’opposition au Kongo-Kinshasa ; il n’y a que « la coop » pour avoir accès à l’argent. Il a aidé le journaliste qui l’interviewait à comprendre que l’usage de certains mots pour dire la versatilité des membres de ces « partis-coop » est abusif. Les mots tels que « transhumance » ou « dynamique » ne peuvent pas être utilisés pour désigner la quête d’argent orchestrée par les « partis politiques » kongolais. Cela d’autant plus que presque tous n’ont pas d’idéologie.
Avant lui, un ex-membre du parti « au pouvoir-os » pendant plus ou moins deux décennies avait dit au même journaliste que « les caciques » de ce parti l’avait instrumentalisé en y pratiquant le népotisme et le clientélisme à outrance.
1. Des témoins de l’intérieur et les « partis-coop »
A mon avis, ces deux compatriotes, « témoins de l’intérieur », venaient confirmer ce que plusieurs d’entre nous ne cessent de dire depuis plusieurs années. Ils sont venus enfoncer des portes ouvertes. En 2021, criant dans le désert en publiant « La fabrique d’un Etat raté[1] », je rendais compte de l’échec de la particratie et en appelais au changement de paradigme en politique au pays de Lumummba.
La politique est très peu pensée au pays de Lumumba. Les lieux communs sont régulièrement reconduits dans un Kongo-Kinshasa esseulé pour le besoin de la cause. « Les gourous » gérant ces « ligablos » semblent être influencés par une approche « unipolaire » du monde dominé par « les plus forts », « les plus violents », « les plus rusés », « les plus menteurs », etc.
Mais pourquoi, malgré ces remises en question, le nombre de partis politiques ne cesse d’augmenter au Kongo-Kinshasa ?
D’abord, parce que la politique telle qu’elle se mène dans ce pays est un phénomène mimétique. Ce mimétisme engendre la déraison dans un pays où l’unique métier qui paie bien est »le tshididi » (la politique-mensonge). Des compatriotes se copient les uns les autres en espérant avoir leur part de gâteau dans un pays où plus de 60% de l’argent produit est dépensé au profit des « institutions manquées ».
Ensuite, ces partis abusent de la crédulité des populations éloignées des lieux de la production de l’intelligence individuelle et collective et prises en otage par les églises prônant « l’évangile de la prospérité individuelle ».
Ces populations, fanatiques des « votes sociologiques », incapables d’une sérieuse remise en question du mode opératoire de ces « partis-mallettes-coop » ont les coeurs et les esprits mangés par le larbinisme et « le sado-masochisme ». Ils passent le clair de leur temps à applaudir « leurs bourreaux » et à encenser ceux et celles qui les affament et les appauvrissent. Victimes consentantes du manque de civisme et d’éducation à la citoyenneté, elles sont zombifiées.
Enfin, la politique est très peu pensée au pays de Lumumba. Les lieux communs sont régulièrement reconduits dans un Kongo-Kinshasa esseulé pour le besoin de la cause. « Les gourous » gérant ces « ligablos » semblent être influencés par une approche « unipolaire » du monde dominé par « les plus forts », « les plus violents », « les plus rusés », « les plus menteurs », etc.
Ils n’entrevoient pas, à quelques exceptions près, la possibilité de faire la politique comme un sacerdoce, un service fraternel, axé sur la coopération, la mutualisation des forces, la solidarité en vue des objectifs communs : un être et un vivre-ensemble pour le bonheur collectif partagé.
Ils n’entrevoient la politique qu’en termes antagonistiques. C’est-à-dire qu’ils en excluent les possibilités dialogiques et s’inscrivent dans une perspective bannissant la pluralité de la pensée et/ou la complémentarité des pensées différentes et/ou contradictoires. Malgré cela, ils soutiennent qu’ils sont « des démocrates » tout en excluant l’altérité dans sa ressemblance et dans sa différence.
Forts de cette approche, ils peuvent promettre tout et n’importe quoi aux masses populaires abêties, s’empoigner et provoquer des conflits sanglants au cours de leurs campagnes électorales avant de se retrouver en fin de compte pour « le partage du gâteau ». Ce partage crée des mécontents qui, tout de suite après un cycle électoral en appellent déjà à un autre.
Donc, l’accès au « gâteau » kongolais semble être l’objectif majeur poursuivi par des »gourous » gérant « les partis-malettes-ligablos-coop ».
La poursuite de cet objectif est l’un des « péchés originaires » des politicards kongolais aidés par « les joueurs des coulisses ». Lumumba le savait et qualifiait ces derniers de »spécialistes de la politique du « diviser pour régner ».
Le refus d’apprendre de l’histoire, la volonté d’ignorer les luttes politiques menées par les Mères et les Pères de l’indépendance formelle du pays est aussi l’une des raisons de la multiplication mortifère des « partis-coop ».
Ce refus d’apprendre de l’histoire conduit « les gourous » de ces partis à participer consciemment et/ou inconsciemment au suicide du Kongo et de l’Afrique centrale.
2. La multiplication mortifère des « partis-coop » et la confiance brisée
La multiplication mortifère des « partis-coop » brise la possibilité d’instaurer la confiance entre « les gourous » de ces « ligablos », de militer pour le triomphe d’un minimum de vérité en politique en vue d’une véritable émancipation politique du pays.
Sans un minimum de confiance mutuelle, il sera difficile aux « gourous » des « partis-coop » kongolais de rompre avec la logique antagonistique et les anti-valeurs sur lesquelles ils s’appuient pour pratiquer « la politique » comme « l’art du mensonge et de la ruse » au profit d’une caste prenant en otage tout le pays.
Que signifie, dans un contexte dialogique, la confiance ? « La confiance, cela signifie qu’aucun doute raisonnable ne m’empêche de croire que l’autre n’utilisera pas pour me pendre la corde que je lui confie lorsque je lui dévoile ma subjectivité, lorsque je lui ouvre la porte de mon intimité, lorsque je me fragilise devant lui en prenant le risque de la réfutation. La confiance, c’est croire à bon droit que l’autre, s’il me réfute, ne le rejettera pas (…) La confiance, c’est de croire qu’aux yeux de l’autre, je vaux la peine qu’il me dise la vérité.[2]»
Sans un minimum de confiance mutuelle, il sera difficile aux « gourous » des « partis-coop » kongolais de rompre avec la logique antagonistique et les anti-valeurs sur lesquelles ils s’appuient pour pratiquer « la politique » comme « l’art du mensonge et de la ruse » au profit d’une caste prenant en otage tout le pays. Pour que cette confiance renaisse, l’ouverture du pays aux tables palabriques promouvant l’unicité dans la diversité a besoin d’être encadrée par certains principes intangibles, par une certaine éthique transformant ces tables en des réels espaces de « créativité intersubjective », de production d’une véritable intelligence individuelle et collective.
Citons en trois, à titre illustratif : l’interdit d’homicide , l’interdit de la manipulation de l’autre et l’interdit du mensonge.
Pour conclure : Tables palabriques et « Etats-civilisations »
Encadrées par ces principes, les tables palabriques peuvent constituer, au coeur d’un grand mouvement populaire souverainiste, des lieux de l’unicification de la multitude de »partis-coop » convertis en collectifs citoyens responsables (interconnectés) et défendant des intérêts bien compris et au service de l’intérêt général.
Sortir le Kongo-Kinshasa de son esseulement géopolitique, géoéconomique, géostratégique et numérique ainsi que de son insularisation du point de vue de la pensée politique est une tâche ardue. Il appartient à ses filles et ses fils résistants et dissidents de l’assumer dans une grande ouverture (d’esprit critique) sur « les témoins de l’intérieur », l’Eurasie, l’Occident collectif, l’Afrique de l’Ouest, les pays arabes, etc.
Dans un monde accouchant douloureusement de la multipolarité, des »Etats-civilisations » sont en train de nous apprendre qu’en prenant appui sur les valeurs culturelles humanisantes, il est possible de coordonner la diversité à l’interne pour faire face, légalement, à l’adversaire et à la diversité. Cette intelligence coordination peut conduire au renversement des rapports de force. Ces « Etats-civilisations » organisant la justice sociale sont résilients et portés par de grands mouvements souverainistes au sein desquels la confiance joue un rôle majeur dans la mutualisation des efforts et dans la coopération face à l’adversité . Ils peuvent inspirer la renaissance de « la civilisation kongolaise » avec ses codes spécifiques et la récupération de l’initiative historique par les Kongolais(es).
Sortir le Kongo-Kinshasa de son esseulement géopolitique, géoéconomique, géostratégique et numérique ainsi que de son insularisation du point de vue de la pensée politique est une tâche ardue. Il appartient à ses filles et ses fils résistants et dissidents de l’assumer dans une grande ouverture (d’esprit critique) sur « les témoins de l’intérieur », l’Eurasie, l’Occident collectif, l’Afrique de l’Ouest, les pays arabes, etc.
Mbelu Babanya Kabudi
Génération Lumumba 1961
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[1] J.-P. MBELU, La fabrique d’un Etat raté, Paris, Congo Lobi Lelo, 2021. Lire surtout le chapitre 21.
[2] J.-F. MALHERBE, La rupture du dialogue et son dépassement, Otawa, Novalis, 2005, p. 12