Par Patrick Mbeko
De passage en Belgique, Martin Fayulu s’est prêté au jeu des questions-réponses avec des membres de la diaspora congolaise du royaume. Sans revenir en détail sur le contenu des échanges, j’ai été frappé de constater que M. Fayulu, comme bon nombre de Congolais d’ailleurs, se trompe de cible lorsqu’il déclare que le problème du Congo, c’est Joseph Kabila, qui se sert de Félix Tshisekedi, tout en tirant les ficelles à l’arrière-scène. Même si dans les faits, le leader de l’ECIDÉ n’a pas totalement tort, il n’en demeure pas moins que son diagnostic pose problème, dans la mesure où il semble sous-estimer le rôle plus que nocif que jouent les «garçons de course» congolais dans la descente aux enfers du Congo.
En effet, le « système Kabila », qui est lui-même l’émanation d’un autre système beaucoup plus puissant et organisé, existe grâce à des Congolais. Il vit, tire sa force et sa substance du soutien que lui apportent les Congolais qui ont accepté, pour des raisons d’enrichissement personnel et de positionnement, de participer à la chosification de leur propre pays et de leur peuple. Sans la complicité de ces compatriotes, le « système Kabila » serait un détail de l’histoire. Ces Congolais à l’esprit corrompu forment ce qu’on appelle la « bourgeoisie compradore ». C’est-à-dire la classe bourgeoise qui, dans les pays dominés, tire sa richesse de sa position d’intermédiaire dans les rapports avec les impérialistes étrangers. Elle a ceci de particulier qu’elle est toujours tournée vers l’étranger, vers les pays impérialistes et le capital financier extérieur mondial qui lui apportent leur soutien politique et économique en échange de sa docilité.
La RDC et la bourgeoisie compradore
Dans son ouvrage « Le néo-colonialisme : dernier stade de l’impérialisme », le Président Kwame Nkrumah fait observer que « l’essence du néo-colonialisme, c’est que l’État qui y est assujetti est théoriquement indépendant, possède tous les insignes de la souveraineté sur le plan international. Mais en réalité, son économie, et par conséquent sa politique, sont manipulées de l’extérieur. » Une manipulation qui ne peut réussir que grâce au soutien que la bourgeoisie compradore apporte au système néocolonial. En outre, les «compradores » sont les sous-traitants officiels de l’ordre cannibale international, pour ne pas dire les fantassins du néo-colonialisme dans leur pays.
En RDC, cette bourgeoisie compradore, opérationnelle depuis des décennies, est aujourd’hui incarnée par le CACH, le FCC… ainsi qu’une certaine opposition. Ces dernières années, elle a pris de l’envergure et sa capacité de nuisance s’est accrue comme jamais auparavant avec l’avènement de la coalition CACH/FCC, au sommet de laquelle siège l’homme fort de Kingakati, Joseph Kabila.
Pour mettre fin à tout système d’oppression et de prédation téléguidé de l’étranger, il faut neutraliser les tenants de la bourgeoisie compradore du pays confronté à ce système. Ceux qui disent qu’il faut être indulgent envers Félix, Kabund, Katumbi, etc. parce que ce sont nos frères sont assez idiots pour ne pas comprendre que c’est justement parce qu’ils sont Congolais qu’ils ont été choisis.
S’en prendre à ce dernier, faire de lui la priorité des priorités dans la lutte pour la libération du Congo des griffes du système néocolonial, c’est chercher à guérir une maladie en s’attaquant aux symptômes en lieu et place de s’attaquer au microbe ou au virus qui en est à l’origine. S’en prendre à Joseph Kabila, c’est ne pas comprendre que son système existe grâce aux Néhémie Mwilanya et Boshab de ce monde, c’est ignorer qu’il a survécu grâce aux Félix Tshisekedi et Vital Kamerhe du Congo. Pour mettre fin à tout système d’oppression et de prédation téléguidé de l’étranger, il faut neutraliser les tenants de la bourgeoisie compradore du pays confronté à ce système. Ceux qui disent qu’il faut être indulgent envers Félix, Kabund, Katumbi, etc. parce que ce sont nos frères sont assez idiots pour ne pas comprendre que c’est justement parce qu’ils sont Congolais qu’ils ont été choisis.
En effet, depuis 1960, le système néocolonial utilise les Congolais pour arriver à ses fins. En 1965, le Maréchal Mobutu a été sélectionné pour contrer les menées soviétiques en Afrique centrale. S’étant affranchi de ceux qui l’ont fait roi, et avec la fin de la guerre, il a été écarté au profit d’un certain Laurent-Désiré Kabila, derrière lequel le système et ses proxys rwando-ougandais se sont dissimulés en 1996 pour déstabiliser le Congo. En 2001, le même système a propulsé Joseph Kabila à l’avant-scène après avoir définitivement neutralisé L-D Kabila qui essayait de lui tenir tête. Depuis, Joseph, qui a fini par rompre avec ses anciens maîtres, opère via ses « Congolais de service » pour asseoir son système qui, lui, nourrit le système rwando-ougandais que Félix Tshisekedi sert avec zèle depuis sa nomination par Joseph en janvier 2019.
L’autodétermination des peuples ne va pas sans lutte contre les bourgeoisies compradores
Les Occidentaux, Paul Kagame ou même Joseph Kabila connaissent la mentalité de l’homme congolais. Ils connaissent son goût immodéré pour le pouvoir, les titres pompeux et le matériel. Ils savent qu’il est médiocre et adore tout ce qui est aussi médiocre que lui. Ils savent que l’homme congolais est prêt à toutes les compromissions pour assouvir ses bas instincts. Voilà pourquoi ils le traitent souvent avec mépris, lui confiant un pouvoir vidé de toute substance.
Souvenons-nous des propos que James Kabarebe avait tenus à l’attention d’Azarias Ruberwa, chargé non seulement de superviser le plan de Kigali au Congo, mais aussi de manipuler et corrompre les autorités politiques et militaires congolaises : « Vous connaissez bien leur situation; si vous leur donnez un montant suffisant, ils seront ravis », avait lâché Kabarebe, avant d’ajouter avec une petite dose de mépris : « Leur sang est toujours infidèle à la parole. » Souvenons-nous également de la manière dont le même Ruberwa avait parlé de Jean-Marc Kabund, le président de l’UDPS, il y a peu : « Voyez-vous ce que donne le pouvoir ? Allez filmez-le; on va balancer ça sur le net ».
Personne ne respecte les « nègres de service », même lorsqu’ils appartiennent à la bourgeoisie compradore.
Personne ne respecte les « nègres de service », même lorsqu’ils appartiennent à la bourgeoisie compradore. Oui, les Occidentaux et leurs multinationales ont déstabilisé et pillé le Congo; oui Paul Kagame, qui veut également un morceau de ce pays, a pillé, violé et tué les Congolais. Mais tous ces crimes n’auraient peut-être pas eu lieu si les «faiseurs du chaos» et leur proxy rwandais n’avaient pas bénéficié des complicités de la part des filles et fils de la RD Congo. C’est grâce à L-D Kabila qu’ils sont entrés au Congo, grâce à Tambwe Mwamba, Katumbi et les autres qu’ils ont assis leur système, et enfin grâce à Félix Tshisekedi et Vital Kamerhe, eux-mêmes soutenus aveuglement par leurs partisans, qu’ils le pérennise.
L’autodétermination des peuples ne va pas sans lutte contre les bourgeoisies compradores, lesquelles maintiennent le joug de l’impérialisme contre les peuples. Pour mettre fin à ce que certains appellent « système Kabila », il faut définitivement neutraliser les « Congolais de service » qui font fonctionner la machine à plein régime.
Je bois mon lait nsambarisé…
Patrick Mbeko