Par jean-Pierre Mbelu.
Commenter l’actualité congolaise au quotidien peut conduire à la falsification de l’histoire, à l’entretien de l’ignorance et de l’amnésie. Pourtant, cet exercice est le lot quotidien de plusieurs médias congolais. Surtout les plus lus. Ecrire par exemple comme nous le lisons ces jours-ci que les Américains de l’Africom vont contribuer à la formation de nos militaires pour sécuriser notre pays est une insulte à l’intelligence et à l’histoire. Pour cause.
La guerre au cours de laquelle l’AFDL a servi de « Cheval de Troie » est une guerre des Américains et de leurs alliés Occidentaux et Africains. Cette guerre de basse intensité que nous connaissons depuis 1996 vise l’accès des multinationales occidentales (et majoritairement américaines) aux matières premières stratégiques congolaises. Elle est venue aggravée une autre, celle de la dette, menée bien avant par les IFI internationales quand elles ont imposées à notre pays des programmes d’ajustement structurels, vers les années 1980.
Toutes ces guerres, apparemment différentes les unes des autres tiennent à remettre aux calendes grecques l’accès de notre pays à sa véritable souveraineté économique et politique. Elles attestent, en filigrane, que « comme nombre d’Etats africains modernes, le Congo actuel est une création de l’Occident. Les contours de son territoire ont été déterminés par la conférence de Berlin et les conséquences de ce partage se font sentir jusqu’à ce jour. Qui plus est, les acteurs occidentaux continuent à jouer un rôle important dans l’histoire du pays, soit directement, soit au travers des Nations Unies. » (M.-F. CROS et F. MISSER, Géopolitique du Congo, Bruxelles, Ed. Complexe, 2006, p.109)
Plusieurs d’entre nous vivent dans le déni de cette réalité, encouragés par certains médias aux analyses historiques inexistantes ou approximatives. Relisons un peu une partie de notre histoire.
Le 17 janvier 1961, Patrice-Emery Lumumba ayant cru en l’indépendance formelle, va être assassiné. Ses assassins voulaient aussi assassiner les idées qu’il portait dont celle-ci : « Le Créateur nous a donné cette portion de la terre qu’est le continent africain ; elle nous appartient et nous en sommes les seuls maîtres. C’est notre droit de faire de ce continent un continent de la justice, du droit et de la paix. » (Africains, levons-nous ! Discours de Patrice-Lumumba, prononcé à Ibadan (Nigeria), 22 mars 1959, Ed. Points, 2010, p.13)
Après Lumumba, quand Mobutu osera tenir un discours panafricain à l’Assemblée générale des Nations Unies le 4 octobre 1973, il deviendra un dictateur à abattre.
Ouvrons une parenthèse. Quand les impérialistes et les néocolonialistes décident de mettre hors d’état d’agir « un nègre subversif » ou quand ils veulent remettre dans les rangs leurs marionnettes de dictateurs, ils utilisent plusieurs méthodes : la diabolisation, la dette, les droits de l’homme et la démocratie. Lumumba, nationaliste et panafricaniste, fut disqualifié comme « un sale communiste ». Mobutu ayant essayé un discours dérangeant a succombé au piège de la dette extérieure induisant son incapacité à pouvoir répondre aux impératifs intérieurs du pays liés aux droits socio-économiques, culturels et politiques de nos populations. (Dictateur, il ne l’était pas plus que « les futurs nègres de service » dont se serviront ses « amis d’hier » pour foutre le bordel au Congo-Zaïre. ) Ajoutons aussi à ces méthodes l’instrumentalisation de la différence ethnique et/ou politique. Au lieu qu’elle soit une richesse, elle est utilisée pour atomiser ceux et celles dont l’union pourrait constituer une force dans la balance des rapports de force entretenus par les impérialistes et les néocolonialistes. Fermons la parenthèse.
Bien qu’ayant servi de « Cheval de Troie » à l’occupation du Congo-Zaïre par les petits pays voisins et les multinationales occidentales, Laurent-Désiré Kabila paiera de sa vie (le 16 janvier 2001) son retournement d’alliance pour un développement autocentré du Congo par les Congolais(es).
(Dans une conférence donnée à Bruxelles samedi 31 mars 2012, l’un des ex-conseilleurs de Kagame, Théogène Rudasingwa, a soutenu que « Kagame a assassiné » L.-D. Kabila sans qu’une allusion aux auteurs intellectuels et autres commanditaires de cet ignoble assassinat soit faite. Comble de la bêtise, malgré cette affirmation, plusieurs de nos compatriotes innocents sont incarcérés à Makala depuis plus de dix ans, sans jugement !)
A mois de décembre 2012, après les élections de novembre et décembre 2011, face à la situation explosive que connaissait le Congo eu égard aux incertitudes planant sur la vérité des urnes, dans un article très dur à l’endroit des ambassades occidentales refusant de cautionner l’élection d’Etienne Tshisekedi à la Présidence de la République, Arnaud Zajtman note ce qui suit : « En réalité, les journalistes qui ont travaillé sérieusement sur ces élections et ont fait la tournée des bureaux de vote ont noté des tendances lourdes qui augurent de la victoire de Tshisekedi. ». Et il ajoute : « Face à cette situation explosive, la question de la position de l’Occident, et plus particulièrement de la Belgique, se pose avec acuité.
Il est essentiel pour nos relations futures avec le Congo que la Belgique, elle aussi, réalise que l’époque a changé, et évite l’écueil dans lequel est tombée la France en Tunisie en ne voyant pas la révolution venir et en faisant perdurer un soutien à un régime autoritaire digne d’un autre âge. Rappelez-vous comment l’ambassade française en Tunisie avait ensuite été critiquée par Paris ! On assiste à une situation semblable au Congo, où les ambassadeurs occidentaux soutiennent Kabila face à un Tshisekedi qu’ils jugent imprévisible. Un jugement qui rappelle celui que l’Occident proférait envers le Premier ministre congolais Patrice Lumumba au moment de l’indépendance du Congo. » (A. ZAJTMAN, Il est moins une à Kinshasa, dans La Libre Belgique du 07/12/2011. Nous soulignons.)
De 1960 à 2011, 51 ans après, les impérialistes et les néocolonialistes sont restés égaux à eux-mêmes. Leur comportement semble être dicté par la charte de l’impérialisme quand il stipule à son article 6 : « Tout pouvoir et gouvernement établi par nous est légal, légitime et démocratique. Mais tout autre pouvoir ou gouvernement qui n’émane pas de nous est illégal, illégitime et dictatorial, quelle que soit sa forme et sa légitimité. » Et à l’article 7 : « Tout pouvoir qui oppose la moindre résistance à nos injonctions perd par le fait même sa légalité, sa légitimité et sa crédibilité. Il doit disparaître. »
Fidèles à ces principes, ils recourent à la division et à l’entretien des guerres pour diviser, dominer et exploiter. Quand nos médias commentent les informations quotidiennement, ils donnent la nette impression de ne pas connaître cette histoire ou de l’ignorer pour des raisons de coupagisme. Croire que les impérialistes américains (aux abois), parrains de Kagame, de Museveni et de « Joseph Kabila » vont travailler avec Africom à la sécurisation de nos populations, c’est faire montre ou d’une mauvaise foi ou d’une ignorance crasse. (Ici, il serait intéressant de revoir le documentaire Le conflit au Congo. La vérité dévoilée. Il est permanent sur le site Ingeta.)
Non. Africom est en guerre contre les puissances émergentes du Sud comme la Chine. Cette force armée veut déloger la Chine des espaces africains qu’elle occupe. Elle n’a rien à voir avec la sécurité des populations congolaises. D’ailleurs, l’un des stratèges américains prévoit le dépeuplement de l’Afrique centrale dans cette guerre contre les pays émergents.
Sur combien de temps les puissances impérialistes et néocoloniales travaillent-elles pour réaliser leurs desseins ? Sur le court, le moyen et le long terme. Elles le font en étant fondées sur certains principes qu’elles se transmettent de génération en génération, à travers des cercles de pouvoir où les minorités agissantes tiennent à sauvegarder leur emprise sur le monde. Leur force est d’avoir appris à passer le relais à travers les archives et/ou « les grandes familles ». Ignorer leur modus operandi peut contribuer à la vente des illusions, à l’entretien de l’ignorance et de l’amnésie.
Dans un pays comme le nôtre où les bibliothèques sérieuses sont quasi-inexistantes, où l’achat du livre ou la consultation d’Internet est encore un luxe pour plusieurs compatriotes, où l’école sérieuse a presque disparu, se fier aux journaux coupagistes constitue un danger sérieux pour notre devenir collectif. L’avènement des médias alternatifs y reste une urgence.
Médias alternatifs et promotion de la culture générale, lutte collective et multiforme pour notre souveraineté économique et politique dans un Etat de droit démocratique en restant attentif au nouveau monde en gestation, une bonne maîtrise des lignes essentielles de notre histoire, etc. sont autant d’ atouts indispensables à l’insurrection citoyenne dont notre pays a besoin pour son émancipation politique.
J.-P. Mbelu