Par Thierry Nlandu Mayamba, Professeur à la Faculté des Lettres, Université de Kinshasa.
Sur fond d’une manipulation grandeur nature, une tragicomédie n’est-elle pas actuellement en train de se jouer en RDC avec comme acteurs les Présidents Kagame du Rwanda, Museveni de l’Ouganda et Kabila de la RDC ? En effet, les trois Présidents ne s’évertuent-ils pas à flouer les Congolais et la communauté internationale en construisant une rébellion de façade bâtie sur l’histoire d’une rébellion passée afin de créer l’illusion du vrai et du salut auprès de la population congolaise ? Pour y arriver plusieurs stratégies qui rivalisent de créativités s’entrechevêtrent ?
1. Des récits d’un passé récent pour distraire les Congolais
La première stratégie consiste à faire croire aux Congolais que l’histoire se répète. En effet, depuis le début de cette rébellion, la chanson que l’on répète à travers les médias est celle d’une histoire qui se répète ! « Oui, semble-t-il, l’histoire se répète. C’est le chant du signe pour Kabila ! Qui prend le pouvoir par la violence ne doit s’attendre qu’à la violence pour lui arracher le même pouvoir ! Ce fut vrai pour Mobutu, chassé comme un vulgaire chien par Kabila et abandonné par tous ceux qui nationaux comme étrangers, il a servi plus de 30 ans durant ! Ce fut vrai pour Kabila père et tous les siens du célèbre conglomérat AFDL qui furent, le temps d’un rêve cauchemardesque, bercés par un pouvoir qui leur est tombé dans les bras au moment où ils s’y attendaient le moins, au crépuscule de leur vie sur terre. C’est vrai pour Kabila fils dont l’accès et le maintien au pouvoir restent marqués par des actes de violences et de fraudes électorales qui, à chaque fois, ont remis en question sa légitimité. Etrange, comme le passé devient présent avec la prise de Goma par des rebelles qui comme hier étaient et sont soutenus par le Rwanda et l’Ouganda d’après le vuvuzela du vuvuzelateur national. « Goma ne tombera pas » ! Goma est tombé ! « Nos troupes ont fait un repli stratégique sur Sake » ! Sake est tombé ouvrant grandement les portes de Bukavu ! « Les Nations Unies condamnent vivement la rébellion » ! « Les Belges et les Français demandent la révision de la mission de la Monusco » !
Etrange le scénario reste le même que celui qui a conduit Kabila Père jusqu’à Kinshasa. Kabila, comme Mobutu hier ne sait plus à quel Saint se vouer. Il ressemble à cette personne qui se noie et s’accroche à la première feuille qui flotte sur l’eau croyant qu’il s’agit d’un tronc d’arbre qui peut l’aider à se maintenir en surface. Ses choix d’actions sont d’une maladresse à faire pleurer ses proches et tous les Congolais. »
2. Donner l’image d’un Président victime d’un complot venu des voisins
La conférence de presse où le Président Congolais appelle à la mobilisation générale fait partie de cette manœuvre dilatoire. Visiblement, il s’agit d’une pénible et douloureuse tentative de convaincre les Congolais à s’aligner derrière lui pour mener un combat dont ils ne réalisent pas les contours. Sincèrement, je ne sais pas si quelqu’un a pu sentir une quelconque détermination ou engagement ne fut-ce que dans la voix du Président. En effet qui a senti la nécessité de se mobiliser après une si molle prestation qui cachait mal un Président à genoux qui allait se rendre à Kampala pieds et poings liés.
Etrange, le scénario reste le même avec un Président en quête de légitimité et qui tente vainement d’utiliser cet évènement pour embarquer le peuple dans son action. Il est alors dérangé par la tournure que le peuple offre au même évènement, organisant des manifestations contre la rébellion mais aussi contre son régime. Il faut vite mettre fin à ce mouvement. D’où la répression à Kinshasa, à Kisangani et à Bukavu. Il ne faut surtout pas que le mouvement s’étende dans les autres provinces. La tentative de victimisation n’a pas convaincu les Congolais. Ils ont vite compris l’ironie de cette rébellion de façade.
En effet, l’ironie de cette rébellion qui est l’œuvre de Kagame et de Museveni c’est qu’elle est un parfait exemple de la thérapie du choc et du chaos, administrée sur un membre du gang qui a tendance à ne pas obéir afin de le réduire en victime et lui recommander comme médecin son propre bourreau. N’est-ce pas le message que véhicule ce voyage rapide à Kampala ?
La rébellion du M23 n’est rien d’autre qu’un acte de rappel à Kabila qui ne doit pas croire qu’il peut devenir acteur sur le damier congolais. Kagame et Museveni lui tapent tout simplement sur les doigts et lui font savoir qu’il n’est qu’un pion que l’on peut à tout moment retirer de l’échiquier congolais comme hier avec son Père ou encore NKunda Batware et autre Ntaganda. Le message est clair : « ne te laisse pas enivrer par les avoirs auxquels nous te permettons d’avoir accès en RDC et surtout pas par l’opportunisme des acolytes congolais que nous associons au pouvoir que tu gères par délégation. Sinon….. ». Est-ce ce qui explique la visite précipitée de Kabila à Kampala pour y rencontrer les réels détenteurs du pouvoir en RDC et surtout vers les deux promoteurs d’une rébellion chantage qui maquillerait son réel objectif en annonçant l’objectif émotionnel de la prise prochaine de Kisangani avant la descente sur Kinshasa ?
Ainsi, alors que la ville de Goma « est tombée », Kabila trouve que l’action diplomatique d’envergure qu’il doit entreprendre c’est de rencontrer Kagame et Museveni donnant à l’opinion congolaise, l’image d’un président impuissant si pas complice dont les deux autres se font la peau avec délectation ! Etrange diplomatie que celle dont les dirigeants et le pays tout entier se font baiser au propre comme au figuré !
Personnellement, je n’en crois pas mes yeux, car tout ceci ressemble à une manipulation grandeur nature orchestrée par le Rwanda et l’Ouganda avec la complicité du Président Congolais qui est apparu lors de cette rencontre comme un agent en disgrâce qui s’est fait tapé dessus parce que n’ayant pas accompli comme il se devait la mission qui lui avait été confiée.
En effet :
- Comment expliquer le communiqué conjoint des trois conjoints demandant au M23 d’arrêter son action et de se retirer de Goma ?
- Comment comprendre ce communiqué commun qui affirme que le retrait de Goma se ferait selon le plan qui sera soumis par les trois compères ?
- Comment comprendre que les représentants de M23 se rendent à Kampala pour négocier avec le Président Museveni ?
- Comment comprendre que le Président Kabila réserve la primeur de ses révélations sur l’implication du Rwanda et de l’Ouganda aux deux Pays accusés de soutenir le M23 ?
- Comment comprendre que les deux compères Museveni et Kagame ordonnent au Président Kabila de négocier avec le M23 ?
- Comment comprendre que ce dernier donne son accord sans avoir consulter le peuple congolais à travers son Parlement, un Parlement à qui il a visiblement refusé de livrer les tenants et les aboutissants de cette rébellion de façade sur ordre sans doute des deux commanditaires et de peur de mettre à nu l’accord secret de balkanisation du Kivu conclu le 23 mars 2009.
Encore une fois, le Président préfère les huis-clos en lieu et place du parlement congolais et des forces vives de la R.D.Congo. Encore une fois, il préfère étrangement éviter de traiter, dans la transparence, les problèmes qui touchent à la souveraineté de la R.D.Congo. Et en définitive, tout ce balai à Kampala ainsi que les communiqués conjoints n’ont eu pour objectifs que de dédouaner Kigali et Kampala qui peuvent réaffirmer que cette rébellion est une affaire interne et que c’est en « bon samaritains » qu’’ils viennent au secours de Kinshasa! D’ailleurs, les analystes avertis se rendront compte que le vocable désignant les rebelles a changé, le temps de ces communiqués conjoints assassins de la thèse congolaise de l’implication du Rwanda et de l’Ouganda. Les « rebelles du M23 » sont curieusement devenus « les mutins du M23 ». Comprenne qui pourra.
3. Que doit négocier Kabila avec le M23 ?
Au sortir de la rencontre de Kampala, il apparaît clairement que le Président Kabila revient en RDC avec des recommandations claires sur la poursuite de la mission qui lui a été confiée par ceux qui portent son pouvoir à bout de bras. Il s’agit tout simplement de mettre en pratique l’accord du 23 mars 2009 et particulièrement :
v D’octroyer un statut spécial aux provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, qualifiées dans l’accord comme ‘’Zones Sinistrées ».
v De transformer le M23 en parti politique comme ce fut le cas avec le CNDP
v D’intégrer sa milice au sein de l’armée congolaise
v De résoudre les conflits locaux entre Congolais rwandophones et les autres regroupés au sein d’une ethnie sans nom pour faire deux ethnies en conflits comme au Rwanda
v D’organiser le retour des réfugiés présents dans les pays voisins sans citer lesquels ni définir comment en leur octroyant en prime la nationalité congolaise.
v De créer une police de proximité qui n’est autre qu’une police tribale et ethnique sur base des réalités sociologiques pour assurer la sécurité des réfugiés et des personnes déplacées
v De créer une unité de police spéciale, Force spéciale d’intervention pour épauler la police de proximité en cas de besoin.
4. Les acteurs en action dans la finalisation du projet de balkanisation des Kivus
Pour finaliser cette nouvelle étape de la mission, la technique reste la même, celle du génocide rwandais. « Il ne faut pas casser le verre qui est plein pour le vider. Tu risques d’attirer l’attention du monde entier. Il faut vider le verre à la petite cuillère ». La balkanisation des Kivus se fera à petits coups en veillant à ce qu’à chaque étape on ne renonce pas aux acquis d’hier !
Dans cette démarche plusieurs forces tant internes qu’externes entreront ou sont mêmes déjà entrés en jeu en trouvant chacun son compte :
v La communauté internationale qui s’est déjà offerte un marché dans le cadre de a viabilisation des zones de retour poursuivra ses investissements dans les projets d’adduction d’eau, construction des prisons, hôpitaux, écoles, routes dans les zones sinistrées par les milices et abandonnées par les congolais, tous des projets au bénéfice des retournés Tutsi qui viendraient du Rwanda et de par le monde avec la nationalité congolaise en prime.
v La Monusco trouvera son compte dans le nouveau mandat qui lui permettra de se la couler douce pour de longues années dans cette partie de l’Afrique. Dans les jours prochains, et fidèle à son nouveau mandat de stabilisation et de consolidation et de protection des intérêts économiques des lobby nationaux, régionaux et internationaux en activité dans la « zone sinistrée », la Monusco organisera, formera et équipera la nouvelle police de proximité et les forces de sécurité. Elle pourrait même se transformer en Monuski ; la communauté internationale ne le verrait pas d’un mauvais œil !
v Le Rwanda et l’Ouganda pourront créer une colonie de peuplement dans les Kivus et exploiter les richesses du sol et sous sol de cette contrée.
v Le Rwanda et l’Ouganda pourront fournir le gros des effectifs et l’équipement des membres de la nouvelle police spéciale et ceux de la police de proximité afin de protéger les nouveaux occupants.
v Les commerçants et autres acteurs politiques congolais des Kivus, avides de l’argent facile se contenteront des miettes que des réseaux commerciaux déjà en activité leur offrent et continueront à assurer.
v Sur le plan national, les quelques parlementaires et autres politiciens thuriféraires passeront leur temps à accuser les opposants de traitrise et chanteront la victoire de la diplomatie directe du Chef de l’état qui aura réussi à sauver la paix si pas leur régime en cédant carrément les deux Kivus en lieu et place des 300 km jadis conclus avec l’AFDL dans l’accord de Lemera.
5. Quid des Kivus et des populations autochtones vivant dans la « zone sinistrée »
Si l’action du M23 s’arrête à Bukavu et se limite aux deux Kivus, ce scénario signifiera tout simplement que le M23 est effectivement l’émanation du Rwanda et de l’Ouganda et démontrera clairement qu’elle ne fera que la volonté de ses commanditaires. Ceci confirmera aussi ce que nous savons tous déjà que la direction du pays avait depuis belle lurette échappée aux Congolais dont les dirigeants ne sont que des marionnettes d’un pouvoir dont les animateurs sont Kagame et Museveni.
Ce scénario érigera les Kivus en « Palestine » avec un « Hamas » fait de groupuscules de mouvements animés par tous ces autochtones qui ont ralliés le M23, trompés par le message mobilisateur d’une rébellion dont le but ultime serait le renversement du pouvoir de Kinshasa. Très vite tous ceux qui ont cru au mouvement se rendront compte de la méprise, car ils se seront vite aperçus qu’il était bien naïf de croire que la chute du régime de Kinshasa, le respect des droits de l’homme et le respect de la vérité des urnes pouvaient être au cœur de l’action de Kagame et Museveni. Il suffit, à ce sujet, d’analyser les conclusions de la rencontre de façade de Kampala.
Floués, les « rebelles » ou mieux « les mutins » congolais du M23 rejoindront les rangs des autres Congolais dans les différents groupes Mai-Mai renforçant ainsi le « Hamas kivutien » et contribuant ainsi à la construction de l’identité nouvelle dont les leaders rwandais au pouvoir rêvent depuis le génocide Tutsi : « Rwanda, l’Israël du continent noir » !
Dans cette perspective, les Kivus deviendraient des terres de peuplement du peuple Tutsi dont il faudra assurer la sécurité par une présence militaire rwandaise acceptée par la communauté internationale. Les politiques américains, belges, anglais, allemands, français et autres ainsi que les hommes d’affaires attirés par les juteux revenus des exploitations minières veilleront à ce que la sécurité du nouvel « Israël » soit assurée. La Monusco, quant à elle, aura comme beau rôle celui de stabiliser les deux Kivus érigés, désormais, en un état que l’on ne s’empêchera pas de baptiser dès qu’il aura perdu son statut de « zone sinistrée ».
Ce scénario marquera le début de la Balkanisation de la RDC, une balkanisation qui s’inscrit dans un long processus rythmé par les coups d’acteurs nationaux, régionaux et internationaux et surtout par le silence et la peur des parlementaires et des forces vives congolaises toutes tendances et ethnies confondues. Demain, la RDC sera rayée de la carte de l’Afrique parce que c’est la seule contrée que les puissants du monde ont oublié de se partager ! Sans Berlin II, le Congo sera dépecé et ses populations vivront en errance sur des terres qui, jadis, leur appartenaient.
Que Dieu protège le Congo !