L’analyste politique Jean-Pierre Mbelu montre comment le débat sur la révision de la constitution du Congo est à la fois au faux débat et un débat organisé pour le maintien du statu quo, souligne en quoi la révision constitutionnelle n’est pas l’enjeu essentiel malgré les éléments de langage de la majorité présidentielle, décrypte l’instrumentalisation de la religion et explique pourquoi le programme de l’occupation de la RDC par les forces extérieures se poursuit.
«L’opposition congolaise est-elle capable d’aller au delà des questions conjoncturelles pour poser les graves questions de souveraineté, les graves questions de l’occupation et les graves questions de rupture avec les forces néolibérales et néocoloniales qui occupent le Congo aujourd’hui.»
Sur la révision constitutionnelle
Le débat sur la révision constitutionnelle est un faux débat dans un non Etat, et une diversion dans la mesure où il n’aborde pas les questions cruciales auxquelles notre pays est en train d’être placé pendant une dizaine d’années. La misère est toujours galopante. L’école n’est pas ouverte à tous les fils et toutes les filles du Congo. L’emploi n’est pas créé. La santé n’est pas offerte à nos fils et filles. Les infrastructures et les moyens de communications ne sont pas assurés sur toute l’étendue du pays. De plus en plus de vaillants militaires congolais sont en train d’être décimés.
Vous ne pouvez pas, dans un pays où tous les indicateurs sociaux, politiques et économiques sont au rouge, poursuivre un faux débat sans penser à poser les véritables questions qui tourmentent le pays.
Ce débat révèle néanmoins le manque de crédibilité des acteurs politiques qui veulent promouvoir cette fameuse révision de la constitution. Ils ont accepté une constitution fabriquée ailleurs mais qui a des articles verrouillés. Comment voulez-vous qu’après avoir juré qu’ils allaient respecter cette constitution là, ils puissent se réveiller un matin et dire qu’il n’en est plus question, parce qu’il y va de leurs survies ?
Par ailleurs, la même constitution révisée ailleurs, pour les besoins de la cause, et adoptée par les congolais, a un article, l’article 64 qui dit ce que peut-être le comportement des congolais face à quelqu’un qui voudrait prendre le pouvoir par le force, ou le conserver par la force. Les gens du PPRD font leur campagne aisément, mais il n’est pas permis au Congo d’avoir un débat contradictoire.
Et ce n’est pas avec des élections bidon, pièges à con, que l’on va reconstruire le Congo. Il y a plus urgent.
Pourquoi, à toutes ces reprises, où la constitution a été violée, il n’y a pas eu de débat. Il n’y a débat que quand on veut toucher à l’article 220 ? On pourrait donc dire que ce débat est un débat organisé par les deux camps, qui sont les camps du statu quo, avec comme seul objectif : ôte-toi de là que je m’y mette. Ces deux camps n’ont pas pour objectif de présenter aux congolais une véritable alternative au pouvoir actuel.
Sur les contradictions de la majorité présidentielle et l’article 220 de la constitution
Comment cette autorité morale est-elle venue chez nous ? Dans le camp des occupants du Congo, dans le camp des proxys utilisés par les forces extérieures des maîtres du monde pour pouvoir occuper le Congo. Ces messieurs là ne peuvent pas à la fois dire, que la constitution contre laquelle ils s’en prennent est une constitution de belligérants et en même temps, soutenir l’un des belligérants, au cœur du pouvoir os congolais. C’est une des contradictions dont ils ne veulent pas se rendre compte, parce que leurs discours font partie des éléments de langage, pour essayer de convaincre les populations d’aller au référendum et modifier la constitution.
Pourquoi a-t-on dit que l’article 220 est verrouillé ? Parce qu’il y a eu une référence à l’histoire du Congo, faite d’une dictature qui a duré plus de 3 décennies. On ne peut pas fort de cette histoire accepter aujourd’hui, qu’on puisse accorder à x ou y un pouvoir illimité.
Vous ne pouvez pas avoir des textes fondamentaux qui gèrent votre pays et y toucher chaque fois que vous voulez sauver votre autorité morale (l’âge en 2006, le vote en un tour en 2011). Aujourd’hui, ces gens qui sont des belligérants sans scrupules sont en train de prouver qu’il est impossible que des belligérants, des seigneurs de guerre, puissent se transmuer en hommes politiques et hommes d’Etat. Un homme d’Etat a un minimum de valeurs morales et éthiques. Eux ne respectent rien.
La politique est d’abord bâtie sur la confiance que les hommes politiques créent dans la population. La légitimité est une question de confiance que la population place dans ses gouvernants. Si nos populations voudraient être conséquentes avec elles-mêmes, elles n’accepteraient même pas de participer au référendum. Elles accepteraient beaucoup plus, ce pourquoi elles luttent aujourd’hui puissent être respectés : c’est-à-dire ne pas toucher à l’article 220. Mais ce n’est pas le véritable nerf de la guerre.
Sur l’alliance entre les nouveaux prédateurs et les dinosaures mobutistes
Il y a, à la fois, les nouveaux prédateurs qui n’ont pas réussi à se convertir en hommes politiques, et les vieux dinosaures mobutistes avec lesquels les nouveaux prédateurs ont fait alliance. Et ce sont les mobutistes qui poussent à la modification de la constitution. Dans tous ces débats officiels, il y a un groupe qui est venu au Congo, qui n’y participe pas. Quand est-ce que ce groupe donne son avis ? Voilà une des questions que les congolais ne se posent pas. Jusqu’à présent, vous n’avez pas entendu les Ruberwa et les autres dans ce débat.
Il y a donc un groupe de congolais qui est tombé dans une buzoberie tel qu’il s’exprime sans réaliser qu’il y a un autre groupe qui observe et qui peut-être donne des coulisses à celui que ce groupe de congolais considère comme son autorité morale.
Sur les populations congolaises et leur politisation
Les populations congolaises ne sont pas aussi bêtes qu’on voudrait le faire croire. Ce sont les rares populations, les plus politisées en Afrique centrale. Si les consultations se font en bonne et due forme, les congolais sont toujours disposés à dire clairement ce qu’ils pensent dans le sens de leurs intérêts. On a tendance à croire que les congolais ne sont que des buveurs de bière et des danseurs, c’est faux. Quand nos populations sont bien conscientisées, quand elles ont des leaders qui leurs disent où sont leurs intérêts, elles se décident toujours en connaissance de cause. Et c’est cela qui fait peur à ceux qui aujourd’hui, voudraient organiser le référendum pour les corrompre.
Sur l’instrumentalisation de la religion en RDC
Il y a déjà l’instrumentalisation des médias, et celle de la justice. Il y a des chances que les églises soient également instrumentalisés au point qu’elles puissent jouer le rôle que pourrait leur octroyer les princes du jour.
Vous ne pouvez pas attribuer une prédiction d’un anti-colonialiste à une marionnette du néocolonialisme et du néolibéralisme.
La bible ? On l’étudie et on l’interprète. Quand on lit les textes de prophètes, on se rend compte qu’ils font une remise en question des conditions sociales, politiques et religieuses de leurs congénères.
Kabila, depuis qu’il est là, n’a pas veillé à la justice sociale. Il n’a pas non plus veillé au respect de la dignité humaine. Or, quelqu’un qui vient de la part de dieu, c’est quelqu’un qui respecte l’homme comme étant créé à la ressemblance et à l’image de Dieu.
Quelqu’un, qui dans un pays, ne garantit pas la paix, et des cœurs et du ventre. Quelqu’un, qui dans un pays, ne garantit ni la justice sociale, ni la justice distributive, mais qui accumule pour lui-même des sous jusqu’à atteindre 15 milliards : Comment penser un seul instant que ce monsieur là est en train de réaliser la volonté de Dieu ?
Il y a une instrumentalisation de la religion, qui risque de faire, de toutes les religions au Congo, ce que Marx appelle l’opium du peuple.
Sur la prétendue xénophobie des congolais
Nous sommes pris dans un piège d’où nous avons beaucoup trop de mal à nous tirer. Pourquoi une amnistie sélective ? Où sont passés les milliers de membres du M23 qui étaient au Rwanda et en Ouganda ? Il y a de l’électricité dans l’air et plusieurs d’entre nous ne se sont pas encore rendus à cette évidence : Depuis la guerre de l’AFDL, c’est le programme de l’occupation du Congo, par les forces extérieures, avec leurs proxys rwandais et ougandais, qui est en marche jusqu’à ce jour.
Le pays est occupé sérieusement dans ses services de sécurité et dans l’armée. Les congolais sont qualifiés de racistes et xénophobes quand ils commencent à dire « nous voulons vivre en paix avec tous nos voisins, mais nous remarquons que notre pays est occupé et que nos institutions sont infiltrées et agencifiées ». Est-ce de la xénophobie, est-ce du racisme que de dire que nous voulons d’abord être souverains, et chercher à partir d’un état de droit démocratique, à composer avec nos voisins.
Pourquoi quand il s’agit d’autres peuples qui réclament leur souveraineté, on ne dit pas qu’ils sont xénophobes, sauf quand les congolais disent qu’ils sont infiltrés, avec des preuves à l’appui. Voilà le piège dans lequel nous sommes tombés. Et ce piège nous n’arrivons pas à le desserrer, parce que plusieurs de nos compatriotes sont distraits ou se laissent distraire par des questions inutiles, comme le débat actuel autour de la révision de la constitution.
Entre temps, si les informations exactes, il y a déjà 200 kms de notre territoire que nous avons perdu du côté de Goma, au profit du Rwanda.
Sur l’opposition congolaise
Pendant qu’on amnistie et libère des bandits, des seigneurs de guerre, nos compatriotes demeurent en prison. Ce sont des signes qui nous disent combien l’occupation tient à faire taire ou exterminer les dignes filles et fils du Congo. La grande faiblesse de l’opposition congolaise, et même de la RDC, est que nous n’avons pas une bourgeoisie nationale. Si nous avions une bourgeoisie nationale, capable de consentir des sacrifices et de mettre ses moyens au service de la libération nationale, peut-être que les députés de l’opposition n’iraient pas siéger à cette assemblée nationale, qui n’est qu’une caisse de résonance servant à l’occupation de notre pays.
Pourquoi devrions-nous dépendre en tout et pour tout, des institutions qui nous avilissent, parce qu’elles nous permettent de pouvoir toucher des sous ? N’est-il pas temps de penser autrement ? C’est vrai que nous avons besoin d’argent pour tenir. Mais est-ce que nous ne pourrions pas penser autrement pour avoir nos propres accès à l’argent, qui ne passent pas par l’abrutissement et l’avilissement ?