Par Jean-Pierre Mbelu
« La selfisation de la pensée » au Congo-Kinshasa, sa fixation dans l’immédiat, cause des dégâts terribles au débat citoyen congolais. Elle entraîne « une défaite de la raison » préjudiciable pour notre devenir collectif. Elle crée de la cacophonie et ne favorise pas tout simplement un espace propice à un débat citoyen plus ou moins sain sans insulte, sans vulgarité, sans mépris du travail de l’intelligence.
C’est vrai. Plusieurs d’entre nous vivent des croyances transformées en convictions indéboulonnables. Pour eux, il suffit que « l’un de nous » soit « aux affaires » pour que la magie s’opère au cœur de l’Afrique. Dès qu’il est là, l’histoire perd de son importance informative.
Ce qui se passe au Congo aurait pu être évité
Un exemple. L’application des Programmes d’ajustement structurel (PAS) imposés au Congo-Kinshasa par le FMI en 1986 par Kengo interposé avait plongé le pays dans une misère indescriptible. Pourquoi ? Qui dit PAS, dit contrôle de l’économie d’un pays tiers par « les tueurs à gages » du fondamentalisme du marché. Un pays dont l’économie est contrôlé par autrui perd de sa souveraineté et ne réussit pas à bien gérer ses dépenses publiques indispensables à son devoir de protéger les droits sociaux, économiques, politiques, culturels et environnementaux de son peuple. L’application des PAS produit de la précarité pour le grand nombre et l’enrichissement du 1% de « nouveaux cercles transnationaux du pouvoir » et de « nègres » au service des IFI (les Institutions Financières Internationales).
A force de croire que les questions dites d’actualité sont coupées de l’histoire, elles sont enfermées dans l’immédiatisme préjudiciable à leur approfondissement. Pourtant, ce qui se passe et va encore se passer dans notre pays aurait pu être évité si « nos gouvernants » avaient pris le temps de s’informer.
Quand les miens et moi-même écrivons là-dessus, nous sommes traités comme des bougres. Et voilà que « Fatshi béton » s’étant risqué sur cette voie précarise déjà le pays. Il est même sommé, semble-t-il, de revoir son budget à la baisse. Et au sujet de l’austérité entraînant la précarité prévisible, c’est RFI qui en parle; même si elle semble relativiser. Comment pourra-t-il répondre au « peuple d’abord » sans argent ? A force de croire que les questions dites d’actualité sont coupées de l’histoire, elles sont enfermées dans l’immédiatisme préjudiciable à leur approfondissement. Pourtant, ce qui se passe et va encore se passer dans notre pays aurait pu être évité si « nos gouvernants » avaient pris le temps de s’informer auprès du CADTM (Comité pour l’annulation de la dette du Tiers-Monde), de Joseph Stiglitz ou d’un « assassin financier » qu’est John Perkins.
Cet américain ayant travaillé avec le FMI en connaît la nocivité et a écrit un livre là-dessus comme « un lanceur d’alerte ». Il a produit une vidéo sur la manipulation des économies des pays tiers par les Institutions Financières Internationales (IFI). Et il témoigne de l’intérieur de ces institutions. Ce que le Congo-Kinshasa vit aujourd’hui peut être lu à travers les commentaires des lecteurs de son livre intitulé « Confessions d’un assassin financier ». « La selfisation de la pensée » ne semble plus rien à voir avec « les livres » et l’histoire des IFI dans plusieurs pays du monde. Les selfies des poignées de main entre les responsables de ces IFI (critiquées par le CADTM, Joseph Stiglitz, John Perkins, Susan George, Eric Toussaint, etc.) convainquent des compatriotes fanatiques, tambourinaires et applaudisseurs de leurs effets « magiques » positifs sur l’économie du pays et des domaines de souveraineté qui en dépendent. Eza pasi ! Eza mawa !
Des passés qui ne passent pas
Un deuxième exemple. Il s’agit de l’enrichissement illicite pendant le règne de « la kabilie ». Deux rapports très bien détaillés nous ont, dans un passé récent, mis au courant de cela. (https://www.ingeta.com/deux-rapports-suffisamment-detailles-sur-le-congo-kinshasa/). Enough Project était même allé très loin en comparant le système de « la kabilie » au régime léopoldien (Notre livre intitulé « Demain, après Kabila » est très explicite là-dessus).
Il est impossible d’aider le Congo-Kinshasa à sortir du gouffre sans fond où il se retrouve en se contentant de « la selfisation de la pensée ».
Et voilà ! De son exil, Jean-Jacques Lumumba y revient en s’attaquant à la Gécamines . Or, la Gécamines n’est qu’un arbre qui cache la forêt du réseau transnational de prédation ayant pour mission de faire du pays de Lumumba un espace soumis à ses diktats.
Les exemples peuvent être multipliés. Ces deux ont été choisis pour aider à comprendre qu’il est impossible d’aider le Congo-Kinshasa à sortir du gouffre sans fond où il se retrouve en se contentant de « la selfisation de la pensée ». Les questions d’actualité se comprennent mieux quand l’histoire au cœur de laquelle elles plongent leurs racines est tant soit peu étudiée , connue et partagée par un plus grand nombre. Le réseau de prédation opérant au Congo-Kinshasa est bien décrit dans le rapport Kassem de 2002. Certains de ses membres font encore partie des institutions influentes dans les Grands Lacs Africains. Non, nous ne pouvons pas ne pas « fouiner dans le passé ». Cela d’autant plus qu’il y a des passés qui ne passent pas.
Babanya Kabudi
Génération Lumumba 1961