Par Jean-Pierre Mbelu
Les médias ont un pouvoir certain. Plusieurs ont cessé de jouer leur rôle de contre-pouvoir pour servir les intérêts des multi et transnationales qui les asservissent tout en leur offrant des moyens colossaux afin qu’ils dominent et fourvoient les masses en les décervelant. Rester en marge des appels de pied de ces ‘’maîtres du monde’’, de ces ‘’cosmocrates’’, n’est pas toujours facile. Avoir une ligne éditoriale allant à l’encontre de leurs intérêts peut coûter très chers aux médias qui se veulent alternatifs. En RDC, jouer un véritable rôle de contre-pouvoir est un casse-tête pour plusieurs médias. Les meurtres et les assassinats de plusieurs journalistes en témoignent. Au su des menaces proférées ces derniers temps à l’endroit de certains médias kinois, il y a lieu de dire que ces meurtres et assassinats participent de la lente mais sûre exécution du projet de la balkanisation et de l’implosion de la RDC sur fond d’une amnésie collective partagée.
Des sources sûres, nous apprenons que certains médias congolais dont le journal kinois Le Potentiel, sont dans le collimateur des ‘’balkanisateurs’’ de la RDC. Qu’est-ce qu’ils reprochent à journal ? Qu’a-t-il commis comme péché capital ? Il a sur son site et dans ses publications ces petits mantras : « Non à la balkanisation » ; « 6000.000 de morts » ; « un génocide oublié » en RDC. Les mots et les idées ont un pouvoir insoupçonnable ! Les ‘’balkanisateurs’’ de la RDC le savent. Ce n’est pas pour rien qu’ils gèrent tous les médias dominants. Ils s’en servent pour fabriquer les informations qu’ils vendent au plus naïfs d’entre nous. ‘’Les maîtres du monde’’ menant la guerre de prédation et de basse intensité contre la RDC veulent casser toute conscience historique congolaise pour éviter que les Congolais(es) ne puissent rompre avec l’amnésie. L’un d’eux faisant sa tournée dans la région de l’Afrique des Grands Lacs avaient justement dit ceci : « Nous sommes prêts à travailler avec des gens qui sont tournés vers l’avenir et non vers le passé. » Ils sont contre le devoir de mémoire.
Naviguant souvent à vue ou choisissant expressément d’être ‘’irrationnels’’ pour créer la peur et s’adonner à cœur joie à la prédation, ils ont eux aussi peur de se regarder dans le miroir de l’histoire ou de savoir tout simplement que ‘’les dominés’’ ne sont pas amnésiques. Ce n’est pas pour rien qu’ils ont de plus en plus tendance à travailler avec des ‘’ignorants’’. Esclaves de l’argent, ils tuent ou font tuer les populations civiles sans aucun état d’âme. D’ailleurs, dans plusieurs ‘’coups d’Etat doux’’ qu’ils orchestrent, tuer, donner la mort pour attirer l’attention des médias dominants est l’une des leurs stratégies favorites. Ils sont tellement cyniques qu’ils peuvent financer ceux qu’ils livrent à la mort[1].Opérer ces coups d’Etat leur permet de mettre les droites pures et dures aux commandes des Etats qu’ils détruisent pour mieux les exploiter et rendre esclaves leurs populations en leur imposant les programmes d’ajustement structurels du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale.
Les faiblesses des ‘’maîtres du monde’’
Revenons au journal Le Potentiel. Les compatriotes l’accusent à tort ou à raison d’être proche du pouvoir fantoche de Kinshasa. Néanmoins, il arrive, à plusieurs reprises, que ses articles puissent être d’une certaine profondeur scientifique et fondés sur des sources dignes de foi. Au sujet de la question de la balkanisation du Congo, deux membres du Groupe Le Potentiel ont participé à la rédaction d’un ouvrage collectif en y apportant des analyses très fouillées[2].
Il ne serait pas exclu que les menaces de mort que subissent certains membres de ce Groupe soient liées à la redécouverte et à la relecture de cet ouvrage très peu connu dans les milieux politiques et scientifiques congolais.
Ces menaces sont révélatrices de certaines faiblesses des ‘’maîtres du monde’’. Ils ont peur d’une opinion publique bien éduquée, bien formée et bien informée à partir des médias à tendance alternative. C’est-à-dire des médias se démarquant du colportage, de ‘’la fabrication du consentement’’ et de la propagande tels que voulus par des oligarchies d’argent et véhiculés par les médias dominants. Ils ont peur d’un savoir et d’une connaissance critiques fondés sur des faits historiques bien documentés. Ils donnent raison à Simon Bolivar quand il dit : « Ils nous dominent plus par l’ignorance que par la force. »
A cours de notre histoire commune, ils ont même cru que pour cacher certaines choses à certains nègres, il faut les mettre dans les livres (et les journaux). Pour dire les choses autrement, à partir du moment où ‘’les maîtres du monde’’ ne contrôlent pas ce qui se dit et ce qui s’écrit, ils sont désaxés. Ce n’est pas pour rien qu’aux USA, ils ont mis sur pied la NSA.
Les menaces proférées contre le journal Le Potentiel prouvent à suffisance que le projet de la balkanisation et de l’implosion de la RDC est toujours en cours d’exécution. La signature de l’Alliance Public-Privé au mois d’octobre 2011, les appels d’offre pour la construction du barrage de la Ruzizi, la prorogation du mandat de la Monusco jusqu’en 2015, les manœuvres pour la modification de la Constitution de Liège, l’amnistie accordée à la milice ougando-rwandaise du M23, etc. sont des signes qui ne trompent que les plus naïfs d’entre nous.
A la différence de plusieurs d’entre nous, ‘’les maîtres du monde’’ travaillent sur le temps. Ils ne confondent pas vitesse et précipitation. Ils ont la capacité de rester concentrer sur une même question, sur un même projet pendant plusieurs années. Quand ils recourent à une méthode et qu’elle ne porte pas des fruits escomptés, ils l’abandonnent ou l’affinent. Leurs think tanks y veillent. Les USA, par exemple, ont réussi à tracer leur route vers le nouveau désordre mondial en y travaillant pendant plus d’une cinquantaine d’années[3]. Et ils y travaillent encore. Malgré les apparences ! L’une de leurs tactiques : tracer cette route vers le nouveau désordre mondial sur fond des doctrines des bonnes intentions[4] vantant les valeurs de la liberté, de la démocratie et des droits de l’homme que l’un de leurs cerveaux, George Kennan, considérait déjà en 1948, comme étant des questions illusoires, des objectifs vagues et irréels, des slogans idéalistes[5].
Et ceux qui savent que plusieurs ONG américaines telles que le NED et l’USAID dépendent ou sont influencées par le CRE (Conseil des Relations Extérieures) US au sein duquel George Kennan a évolué sont avertis sur les dangers qui menacent les pays (comme la RDC) où ces organisations ont pignon sur rue. Les Etats avertis sur leur nocivité comme la Bolivie s’en sont débarrassés.
La culture permanente de la résistance et du ‘’bomoto’’, du ‘’bumuntu’’, du ‘’ubuntu’’
Les menaces proférées contre les membres du Groupe Le Potentiel devraient pousser les patriotes combattants et résistants congolais à veiller à la création des lieux congolais de mémoire. Des monuments devraient être érigés dans presque toutes les provinces de la RDC en mémoire des victimes de la guerre de prédation, d’agression et de basse intensité menée contre le Congo de Lumumba par des proxys interposés. Des dates devraient être retenues pour commémorer ce ‘’génocide oublié’’ et cela à travers tout le pays pour honorer nos martyrs et entretenir le devoir de mémoire congolais.
Ces menaces devraient aussi conduire les journalistes et les politiciens congolais à se poser des questions sur leurs sources de financement et sur la nature des relations qu’ils mènent avec ‘’les maîtres du monde’’ ainsi qu’avec leurs proxys. La main qui donne, quand elle n’est pas formatée dans la culture de la gratuité humanisante, sera toujours au dessus de celle qui reçoit et lui dictera la ligne politique à tenir. Le goût du lucre et de l’avoir, la cupidité et l’avarice ont mangé plusieurs cœurs et plusieurs esprits congolais. Pris par le vertige de l’avoir au détriment de l’être, plusieurs compatriotes politiciens et journalistes tombent dans le syndrome du larbin et dans le masochisme. Ils s’adonnent à l’éloge des bourreaux de la cause congolaise, se tordent de douleur en subissant leurs humiliations tout en mangeant à leurs râteliers.
Ces menaces peuvent-elles être relativisées ? Oui. A quel prix ? Au prix de la culture permanente de la résistance et du ‘’bomoto’’, du ‘’bumuntu’’, du ‘’ubuntu’’ (de ce qui nous fait que nous soyons des humains dignes de ce nom et non pas des bêtes). Mais aussi au prix d’une politique d’autonomie bien comprise et des partenariats stratégiques sages et intelligents. Au Cuba, pendant plus de cinq décennies, ‘’les maîtres du monde’’ ont échoué ; ils n’ont pas réussi à dicter une quelconque ligne de conduite à tenir ni en politique ni dans les médias. La Bolivie est sur la même lancée. L’Equateur et le Venezuela se tirent d’affaire tant bien que mal.
Du reste, ces menaces nous aident à comprendre que «la meilleure façon d’éviter la (mauvaise) répétition de l’histoire, c’est de l’étudier », comme dirait Peter Dale Scott. Céder à ces menaces et renoncer à la maîtrise et à la réécriture de l’histoire de la RDC, c’est sacrifier la lutte pour la reprise congolaise de l’initiative historique.