Par Jean-Pierre Mbelu.
Les rapports se succèdent et certains se rassemblent. Les fanatiques du temps « chronos » posent des questions du genre : « Pourquoi maintenant ? » Ceux habitués au temps de la méditation et de la réflexion répondent : « Mieux vaut tard que jamais. Pourvu que le courage de la vérité triomphe. »
Pour plusieurs compatriotes, le rapport final de la Mission d’observation des élections de l’Union Européenne (que nous lisons à partir de ce jeudi 29 mars 2012) est publié tardivement. Pourquoi maintenant, demandent-ils ? Pourquoi pas, pourrait rétorquer la MOE-UE ? Pour notre part, lire ce rapport (après plusieurs autres) est important. Surtout à cause des questions qu’il repose, des doutes qu’il suscite et du manque de crédibilité du processus électoral qu’il révèle, avec des preuves à l’appui. Les compatriotes ayant parcouru certains articles de fond publiés sur le processus électoral congolais de novembre et décembre 2011 liront aisément ce rapport. L’une des associations congolaises opérant à partir de la Belgique (APRODEC) a scientifiquement prouvé, à plusieurs reprises, avec des chiffres à l’appui, le côté mensonger du processus dans lequel nos compatriotes restés au pays étaient engagés.
Le premier, le Cardinal Monsengwo Pasinya, avait soutenu, à la publication des premiers résultats partiels, que ces derniers n’étaient conformes ni à la justice, ni à la vérité. Confiant en la têtutesse de la vérité, le Cardinal Monsengwo a été accusé, par les médias kinois d’avoir jeté de l’huile sur le feu.
Bizarrement, après la publication du rapport final de la MOE-UE et de celui de l’informateur désigné par le président sortant de la RDC , les mêmes médias informent que le président de la CENI , après avoir mal fait son travail, ne jouit plus du soutien ni de ses « amis » de la majorité, ni de ses « ennemis » de l’opposition. Comble d’hypocrisie ! La majorité et l’opposition rejettent le travail abattu par la CENI en coulisse. Mais, publiquement, la majorité présidentielle et une partie de l’opposition acceptent la cooptation et la nomination de certains députés par la même CENI. Elles acceptent que le président sortant réélu frauduleusement et irrégulièrement nomme un informateur et bientôt un formateur du gouvernement ; qu’il se crée une majorité artificielle pour régner sur le Congo jusqu’en 2016. Où est le sérieux ? Où est la cohérence dans cette façon de procéder et de penser ?
Comme pour la mort de nos millions de morts, de nos journalistes et autres défenseurs des droits de l’homme, il arrive que les journalistes coupagistes de Kinshasa, la majorité dite présidentielle et une certaine opposition (plus quelques hommes et femmes d’église toutes tendances confondues) trouvent des circonstances atténuantes à « Joseph Kabila » pour qu’il se maintienne au pouvoir. Tungulu est tué ; ce n’est pas lui. C’est « la garde présidentielle ». Chebeya est tué et son beau-frère disparaît, ce n’est pas « le raïs », c’est Mukalayi, Numbi et les autres. « Joseph Kabila » est réélu frauduleusement ; c’est vrai, ce n’est pas lui qui a tout arrangé, c’est Ngoyi Mulunda et sa CENI. En 2006, c’était Malu Malu et sa CEI. Tel est le cirque auquel nous assistons chez nous depuis bientôt plus de deux décennies. Mais, contrairement aux thuriféraires de ce marionnettisme honni, la vérité dans notre pays prend « les escaliers », et elle finira par s’imposer. (Lokuta eyaka na ascenseur. Vérité, na escaliers, comme on dit à Kinshasa.)
A ce point nommé, les minorités organisées et agissantes ont compris qu’il ne sert à rien de s’insérer dans les processus et le temps créés par autrui sans nous. Elles ont compris qu’elles doivent créer leurs processus et leur temps à elles. Cette nouvelle façon de percevoir la marche de notre pays accorde une importance capitale à toute vérité dite sur lui quel que soit le moment où elle advient. Cela d’autant plus qu’elles sont convaincues que les changements profonds sont moléculaires ; ils prennent du temps, beaucoup de temps à pouvoir s’imposer. (Prendre par exemple conscience de l’incohérence des médias coupagistes exige du temps.)
Aussi, le courage de la vérité n’est-il pas l’apanage de ceux qui prétendent en être les témoins privilégiés : le fait qu’un Abbé et un Pasteur aient joué des rôles néfastes au niveau de la CEI et de la CENI pour notre pays est signal d’alarme important : l’habit ne fait pas le moine (même s’il n’y a pas de moine sans habit !).
Dans un monde où triomphe la cupidité, le courage de la vérité sera assumé par ceux et celles d’entre nous qui auront compris que rien de consistant ne peut se construire sur les cadavres de nos frères et sœurs, sur la violence, sur les mensonges, sur les tricheries et les fraudes.
Un pays ne se construit pas en détruisant son fond éthique. Vouloir construire des institutions crédibles à partir d’un processus dont la crédibilité laisse à désirer, c’est trahir la vérité même si cela rapporte de l’argent. C’est vrai. Dans ce contexte, lutter mains nues devient dangereux. Oui. Dans ce contexte, lutter mains nues relève de l’idéal que le réalisme de compromission trahit.
Des compatriotes trahissant cet idéal patriotique de la lutte pour la vérité vous disent qu’ils ont engagé beaucoup d’argent au cours du processus électoral et qu’ils doivent le récupérer. Ils ont peut-être raison à condition qu’ils se rendent à l’évidence que récupérer son argent et servir sa patrie, c’est différent. Qu’est-ce que les familles qui ont perdu leurs êtres chers au nom du patriotisme vont avoir comme compensation en retour ? Et ceux et celles qui ont dépensé leur argent et qui ont été écartés d’un processus frauduleux – comme l’une des filles de Dekese- que vont-ils avoir en retour ?
Trahir une lutte aux idéaux nobles pour des raisons d’ordre individuel ne devrait pas servir de référence pour la suite des évènements chez nous.
C’est vrai. L’impression pour le moment est que les fraudeurs et les tricheurs sont les plus forts. Mais le courage de la vérité n’est pas à négliger. Il risque de vaincre dans ces milliers des Congolais(es) estimant qu’ils n’ont plus rien à perdre. Quand ? Ils vont inventer leur temps. En marge de la cupidité et de la sottise…
J.-P. Mbelu