S’il est difficile de réussir un mariage de raison entre le tribalisme et l’ouverture à l’altérité, à la citoyenneté et au patriotisme, il est possible de le réussir là où »la tribalité » en tant qu’enracinement, orientation et début de socialisation est aussi ouverture à l’interculturalité.
Une confusion entretenue entre le tribalisme et la tribalité a conduit plusieurs compatriotes congolais, non seulement à quitter, mais aussi à haïr leurs terres natales et ceux qui y habitent. L’être humain est un animal tribal. Il naît en un endroit bien donné. Il s’y enracine avant de pouvoir s’orienter autrement. Là où il est né, il noue des liens à la fois biologiques, tribaux et humains.
La tribalité exprime le côté social de l’être humain
Son appartenance à sa »tribu biologique » n’est pas toujours un frein à son ouverture à autrui par les voyages, par l’école, par l’université, par l’église, etc. La tribalité exprime le côté social de l’être humain. Il ne s’épanouit qu’en nouant des relations avec ses alliés sociaux. L’amour de sa patrie né de l’amour de son »bled », de son petit coin natal. »Peleleee ne mu ntelelu, mu mbelu kudiatshi ! », dit un adage luba qui soutient plus ou moins ceci : »Il n’est pas possible d’atteindre le coin de la cuisine (où l’on dépose les casseroles) sans passer par la porte ».
L’enracinement dans son »bled » est une des conditions sine qua non d’une orientation vitale assumée en conscience. Il fait partie de l’identité de l’individu et du début de sa socialisation. Il est même possible qu’ayant vu jour dans un même village, l’individu porte les marques du petit coin où il est né. Les marques positives ou négatives ainsi que les préjugés qui leur sont liés. (Les chrétiens savent que l’identité de leur »nazaréen » a poussé à cette question : »De Nazareth peut-il sortir quelque chose de bon ? »). Des chauvins Bretons disent : »Breton d’abord. Français, s’il en reste ». En Belgique, les Wallons, les Flamands et les Germanophones ont des organisations politiques, économiques, culturelles et sociales enracinées dans »leur bled ». Et ils gèrent, jusqu’à ce jour, leurs conflits comme des concitoyens.
La tribalité dit la particularité de tout être humain et ses limites. Elle peut être vécue comme un appel à l’ouverture à l’autre et/ou comme repli sur soi. Vécue comme ouverture à l’autre, elle peut devenir le lieu de l’interculturalité. Renfermée sur elle-même, la tribalité vire au tribalisme, à l’exclusion, au tribalisme, à la discrimination, à l’alterophobie, etc.
Forts de l’orientation liée à cet enracinement, des baluba disent de leurs enfants nés »ailleurs », même dans les grandes villes, que »mbalela mu luanyi », qu’ils sont nés »en brousse ». Une expression langagière voulant simplement traduire le fait qu’ils sont déracinés, que leurs nombrils n’ont pas été enterrés aux pieds des bananiers de »leur bled ». Souvent, ils en arrivent là après avoir observer les orientations de leurs filles et fils en question.
Disons que la tribalité dit la particularité de tout être humain et ses limites. Elle peut être vécue comme un appel à l’ouverture à l’autre et/ou comme repli sur soi. Vécue comme ouverture à l’autre, elle peut devenir le lieu de l’interculturalité. Renfermée sur elle-même, la tribalité vire au tribalisme, à l’exclusion, au tribalisme, à la discrimination, à l’alterophobie, etc. Il peut arriver que l’être humain soit pris dans les filets des coïncidences, des polarisations paradoxales ; qu’il ait, en même temps, des moments de grande ouverture à l’altérité et de repli sur soi. Quand elle n’est pas fondée sur » le respect de »l’homme d’autrui » (le Muntu wa mbende) ou sur le diyi dimpe » (la bonne parole échangée), elle peut se pervertir et se transformer en une »familiarité forte de mépris ».
La tribalité comme support du patriotisme
L’histoire est faite de longs moments où certains ethnocentrismes, forts de leur hégémonie culturels, ont prétendu au statut des universalismes. Elle est aussi faite des moments où, pour détruire dans leurs cœurs et leurs esprits l’amour de leurs terres, de leur culture et de leur tradition, pour détacher certains êtres humains de leurs terres, de leurs lieux d’enracinement, pour les dépayser, ils ont été accusés de tribalisme et de xénophobie. Ou emportés ailleurs pour aller travailler comme des bêtes de somme.
Rappelons que l’enracinement permet, facilite l’orientation par la culture, par la socialisation. La culture et la socialisation peuvent faire de l’être humain un être avec autrui. Un exemple. Une initiation à la vie, au Bomoto, par les adages apprenait aux jeunes lubas que »le voisin est le fils de sa mère, même s’il est de l’ethnie bindi nkusu ». L’adage stipulait ceci : « Mwasa nende ngwa nyoko, nansha mubindi wa nkusu ». Cette initiation faisait la part belle à l’autre, à celui qui venait d’ailleurs. Quand il était là, les différends entre les membres de la famille qui le recevait pouvait être mis entre parenthèse. Sa présence incitait à l’union. Et l’adage pour le dire était celui-ci : »Mwenyi panshi, ntshikonga, paya mwenyi, tshikongo tshiaya ».
L’enracinement permet, facilite l’orientation par la culture, par la socialisation. La culture et la socialisation peuvent faire de l’être humain un être avec autrui. Un exemple. Une initiation à la vie, au Bomoto, par les adages apprenait aux jeunes lubas que »le voisin est le fils de sa mère… »
Par la culture et la socialisation, l’ouverture à l’autre, au voisin et à celui venant d’ailleurs était rendue possible. Disons que la culture socialisante humanise. Elle est beaucoup plus facilement acquise dans sa langue, à partir de son »bled » qu’à partir d’une langue d’emprunt. Etre éduqué dans sa langue est un élément relevant de la tribalité. La langue est un véhicule toute une vision de l’humain et du monde. La liquidation des langues d’autrui en tant que véhicules de l’initiation à la vie, de l’éducation, de la formation et de l’apprentissage en commun est un phénomène hégémonique de dépaysement.
Parmi les tribus et/ou les ethnies du Congo-Kinshasa ayant réussi à avoir recours, sur le temps longs, une approche de la vie conforme à leur culture et à leur tradition, il y a les Nandes. Ils ont recours à la tribalité comme support du patriotisme. L’entretien de leur culture et de leurs traditions leur permet de rester fermement attachés à leurs terres, d’être efficacement solidaires et riches tout en restant des Congolais convaincus face aux voisins ougandais et rwandais sous-traités et aux ambitions dominatrices démesurées.
Constituer des Conseils Culturels
Ils sont encore attachés aux chefs des terres sans que cela compromette leur patriotisme. Cela transparaît à travers les comptes-rendus de leurs travaux.Voici un exemple : « A l’issue de la première session ordinaire du conseil culturel de la Communauté Yira/Nande, exercice 2016-2017 tenue en Cité de Kirumba, Groupement Musindi, Territoire de Lubero, du 04 au 05 Novembre 2016, nous, membres du Conseil Culturel présentons nos vives gratitudes à l’Administrateur de Territoire de Lubero, au Chef de Chefferie des Batangi, au Chef du Groupement Musindi et autres autorités locales environnantes ainsi qu’à toute la population pour avoir facilité chacun à ce qui le concerne, la réussite de ces assises dans l’agglomération de Kirumba. »
Il serait souhaitable que nous soyons plusieurs compatriotes de plusieurs coins du Congo-Kinshasa à constituer des Conseils Culturels pouvant nous permettre de garder des liens forts avec nos terres, nous cultures et nos traditions sans que cela corrompe notre fibre patriotique.
Et connaissant bien le terrain, ils font, à travers leur »Conseil Culturel », souvent, des analyses sans complaisance de la situation de »leur bled » et du pays, comme en témoigne cette déclaration. Il serait souhaitable que nous soyons plusieurs compatriotes de plusieurs coins du Congo-Kinshasa à constituer des Conseils Culturels pouvant nous permettre de garder des liens forts avec nos terres, nous cultures et nos traditions sans que cela corrompe notre fibre patriotique.
Bien sûr qu’il y a un prix à payer. Les Nandes le payent depuis plusieurs années. Plusieurs de leurs filles et de leurs fils sont »génocidés ». Leurs intellectuels organiques et structurants sont massacrés.Mais, ils ne renoncent pas. Ils ont, pour plusieurs d’entre eux, jurés qu’ils demeureront Congolais et protégeront les terres de leurs ancêtres. Les trahisons et »la guerre par morceau » n’ont pas encore eu raison de leur résistance et de leur persévérance. Supposons que nous soyons une bonne masse congolaise à avoir de telles organisations culturelles interconnectées, que pouvons-nous pas réaliser au cœur de l’Afrique ?
Le recours à l’exemple Nande n’est pas limitatif. Des articles et monographies peuvent être multipliés sur les exemples réussis des organisations culturelles consistantes et conséquentes ; des organisations efficaces, critiques, solides, ayant les moyens de leur politique et capables de résister à l’usure du temps, d’identifier leur ennemi et de le tenir en échec ; sans langue de bois. Des organisations respectueuses des chefs des terres, ouvertes à l’altérité et au patriotisme.
Babanya Kabudi
Génération Lulumba