L’analyste politique Jean-Pierre Mbelu apporte une perspective historique à la nouvelle prise de position de la CENCO (Conférence Episcopale nationale du Congo) contre la modification de la constitution congolaise et souligne la maturation politique grandissante des congolais. Jean-Pierre Mbelu explique également pourquoi l’enjeu congolais dépasse l’enjeu de la révision constitutionnelle et appelle les congolais non seulement à être vigilants mais surtout à se rapprocher de leurs bases et à travailler, dès maintenant, à l’émergence d’un Congo nouveau.
« Il y a des ruptures profondes à faire au sein de nos imaginaires et l’avenir du Congo en dépend. »
Sur la prise de position de la CENCO contre la modification de l’article 220 de la constitution congolaise
La CENCO (Conférence Episcopale nationale du Congo) se rend compte que les partis politiques ayant milité pour cette révision constitutionnelle y reviennent constamment, ils y tiennent. Et nos évêques ne voudraient pas que le peuple congolais puisse être pris au dépourvu. C’est ainsi que par mesure de prudence, ils ont écrit une lettre pastorale aux chrétiens, catholiques congolais et aux hommes et femmes de bonne volonté pour qu’ils puissent être attentifs sur cette question.
Ce qui est important dans le message de la CENCO est que les évêques se présentent comme les hommes d’espérance. Cela est très important dans un pays où tous les espoirs semblent bouchés.
L’Eglise catholique, en tant qu’institution, a commis des erreurs historiques. Mais si nous revenons à la fondation de cette église, Jésus. Ce dernier n’a jamais eu peur de soutenir les positions qui allaient dans le sens de la protection de faibles et des exclus. Et Jésus meurt dans un bras de fer avec les pouvoirs qui voulaient avilir, abrutir et anéantir la dignité humaine et surtout la dignité des pauvres et des faibles.
Ainsi le bras de fer avec le pouvoir (usurpateur) de Kinshasa ne devrait-il pas faire peur aux évêques, aux chrétiens et à tous les hommes et femmes de bonne volonté. Renoncer au bras de faire signifie laisser tout un peuple, être colonisé par un groupe de compatriotes et de proxies étrangers qui estiment que la politique est une question de survie.
Chaque fois que se lèvent, au cœur d’une église, des hommes et des femmes qui refusent au nom de leurs intérêts personnels de défendre la dignité du petit, du pauvre, du marginalisé, ils sont assimilables à Juda. Nos intérêts personnels peuvent ainsi crucifier l’homme et nous devons être attentifs à cela.
Sur la maturation politique des congolais
Aujourd’hui, malgré leurs limites, les congolais sont très éveillés. Quand vous écoutez les parlementaires debout, quand vous écoutez les différentes organisations de la société civile, vous sentez que, petit à petit, les congolais sont en train de se mettre debout pour pouvoir fermer la parenthèse, qui avait été ouverte avec la guerre de l’AFDL.
Il y a donc quelque chose qui est en train de se jouer, même si cela doit pouvoir se peaufiner de manière assez profonde à partir des suggestions que font les compatriotes.
Il est question qu’une organisation congolaise digne de ce nom se mette en place pour pouvoir capitaliser sur toutes ces réflexions faites autour de l’enjeu congolais qui dépasse de loin l’enjeu de la révision constitutionnelle.
Sur les distractions de Lambert Mende
Mende est en train de se fourvoyer parce qu’il a quelques éléments de langage auxquels il recourt pour nous distraction. Le 25 août 2014 à Kingakati, des décisions ont été prises. La majorité présidentielle parle de sa survie politique, elle parle de son instinct de conservation. Leur problème n’est pas la révision ou non de la constitution, leur problème, c’est leur propre survie. Quand ensuite, Mende s’en prend à X ou Y, c’est un jeu inutile. C’est juste un signe qu’il prend les Congolais pour des imbéciles. L’Eglise ne fait qu’inviter nos populations à la vigilance. Mende nous distrait avec le débat sur la constitution pendant que ces gens constituent une armée parallèle rwandophone qui contrôle la logistique de l’armée congolaise.
Sur le rôle des forces sociales et politiques congolaises
Pour nos compatriotes qui s’abîment dans ce débat sur la constitution, il faut qu’ils se rendent compte que tout cela participe de la distraction orchestrée par ceux qui ont fait de la révision constitutionnelle une question de survie.
Si les compatriotes congolais ne font pas très attention, quand ce débat prendra fin, le Congo va se retrouver balkanisé, il aura implosé, et il n’y aura plus de sujet de débat. Il est donc important que les forces politiques et sociales congolaises, qui tiennent à voir, demain, émerger dans ce pays, un autre Congo, commencent à comprendre qu’ils doivent aller vers populations de la base. Pour faire quoi ?
Mettre sur pied, une vision commune du Congo que nous voulons demain. Faire un portrait robot des personnes qui pourraient porter cette vision. Réfléchir sur nos ressources de financement propres, pour sortir de la situation de main tendue vers l’étranger. Voilà les pistes proposées par l’abbé Mpundu, qui devraient faire partie des luttes à venir du peuple congolais.
C’est à faire maintenant. Parce que demain risque d’être trop tard. Les dernières mises en place au sein de l’armée ne semblent pas être un phénomène du hasard.
Sur l’infiltration des forces sociales et politiques congolaises
Ce qui se trame au Congo est la peur de l’alternative. La Kabilie joue le rôle de marionnette sans plus. Les acteurs majeurs de la tradition congolaise opèrent dans l’ombre. Il nous faut, nous congolais, avec nos populations à la base, trouver une alternative crédible au système actuel qui a promu des marionnettes. Si vous passez tout votre temps à vous attaquer aux marionnettes, vous n’en aurez pas suffisamment pour créer une alternative crédible.
Le malheur est que les membres du statu quo ont aussi infiltré les forces sociales et politiques du Congo qui cherchent à réfléchir aux alternatives. Notre tragédie risque de durer parce que ceux que nous estimons être des acteurs politiques sont infiltrés par plusieurs forces du statu quo qui placent de plus en place d’alternance et non d’alternatives.
Il ne sert à rien de dire que nous voulons un Congo libre et souverain demain et de dire ensuite que les partenaires extérieurs nous donnent leur argent pour organiser nos élections.
Sur Kabila et les congolais qui l’entourent
Nous limiter à Kabila, c’est gaspiller notre temps. Kabila n’est pas le maître du jeu qui se déroule au Congo. Le Congo est au cœur d’enjeux historiques, économiques et politiques que Kabila ne peut pas maîtriser. On donne trop de poids à cet homme, en croyant qu’il est capable de gérer la situation du Congo. Non.
Même ceux qui nous l’ont imposé de l’extérieur, comme la MONUSCO, voient que c’est un homme faible. Faible mentalement, psychologiquement, moralement et intellectuellement.
On devrait mettre ce monsieur entre parenthèses et discuter entre hommes sérieux. Il faut changer le système et les hommes qui l’alimentent. Nous avons aujourd’hui, un groupe de compatriotes, qui a juré de pouvoir vivre en mangeant et non en réfléchissant. Et ce groupe de compatriotes n’en a que faire de l’avenir du Congo.
Sur Kengo et sa prise de position contre la modification de la constitution
Quand hier on a servi les tueurs à gage économiques du Congo que sont le FMI et la banque mondiale comme Kengo et qu’aujourd’hui, on tient des beaux discours, et qu’on est applaudi, c’est que le Congolais sont un peu foutus.
Kengo est l’un des acteurs de la mort du Congo. C’est avec ce dernier que les mesures d’austérité, aujourd’hui décriées, partout en Europe, ont été appliquées au Congo. C’est avec Kengo, que le Congo détruit, a dû accueillir les balkanisateurs comme étant des sauveurs. Certains d’entre nous sont en train de se fourvoyer, en oubliant l’histoire, en oubliant le rôle que certains ont joué pour mettre ce pays à terre et on applaudit.
Il n’y a pas que les imbéciles qui ne changent pas d’avis ? Il faut arrêter avec ce jeu là et dire « il y a parmi les compatriotes et leurs amis étrangers des gens qui ont compromis l’avenir du pays, en participant à un système de la mort.
Il y a des ruptures profondes à faire au sein de nos imaginaires et l’avenir du Congo en dépend.
Sur la libération du pasteur Kutino
Il s’agit d’un théâtre de mauvais goût. On garde un patriote en prison injustement. On le tue à petit feu. Et quand on se rend compte qu’il n’est plus capable de pouvoir se soigner par lui-même, on le relâche. Ce qui est arrivé à Kutino est le symbole de ce qui est en train d’arriver au Congo.
Le Congo est en train d’être tué à petit feu de l’intérieur, avec la complicité de ses fils et de ses filles. Demain quand ce pays aura implosé en de petits Etats non gérables, on dira : « vous voyez, ils sont comme ça les congolais, ils sont incapables. »
Le fait que Kutino soit mis dehors devrait nous interpeller parce que cela ressemble à ce qui est en train d’être d’imposé au Congo sous la tutelle de l’ONU, sous les forces d’occupation internes et externes.