L’analyste politique Jean-Pierre Mbelu décrypte les raisons du fossé entre les populations et le gouvernement fantôche de Kinshasa, insiste sur la nécessité pour les congolais de s’engager pour le Congo, d’une manière ou d’une autre, souligne le rôle moteur de la diaspora congolaise et pose les défis à relever pour changer le Congo. L’abbé Mbelu explique également pourquoi nous devons impérativement créer et mobiliser les moyens économiques, intellectuels, culturels et spirituels pour gagner la guerre des idées et changer la donne.
Sur l’importance pour les congolais de s’engager pour le Congo
Il y a la politique politicienne qui implique de s’engager dans un parti politique et postuler à des postes politiques. Il y a aussi une autre approche de la politique comme étant la participation citoyenne à l’édification de la cité. Analyser politiquement la vie telle qu’elle se mène chez nous constitue mon apport à l’édification de la cité congolaise.
Plusieurs d’entre nous sont sur le bon chemin. Mais nous devons pouvoir compter avec le temps, nous devons nous organiser dans un processus qui nous fasse comprendre que les enjeux face auquel notre pays est placé nous exige de travail à court, moyen et long terme. Et cela nous exige aussi de travail davantage avec les plus jeunes pour leur passer le relais. Les enjeux et intérêts autour de notre pays sont si importants et stratégiques que le travail d’appropriation de notre histoire et de toutes les analyses que nous faisons est indispensable, pour nous, mais surtout pour les plus jeunes, à qui nous devons laisser une mémoire. Comme le dit Danielle Mitterrand, dans son livre (le livre de ma mémoire), un peuple sans mémoire ne peut pas être un peuple libre.
Ce n’est pas demain que nous mettrons réellement fin au viol de l’imaginaire. Il faudra refonder les lieux où se viol de l’imaginaire peut être combattu. Nous devons nous atteler à la refondation de l’école, de l’université, de l’église et même des communautés villageoises de base.
C’est facile d’avoir des idées, c’est facile de faire un premier pas. Mais persévérer dans la durée n’est pas donné à tout le monde. Quand on ose, le reste est donné par surcroît. Nous avons commencé, nous persévérons. Même si demain, ou après-demain, nous n’avons pas de gros moyens pour que ce travail aille de l’avant. Nous finirons par avoir des compatriotes ou des alliés qui estimeront que ce travail vaut la peine d’être soutenu. Peut-être qu’ils mettront la main à la poche pour nous soutenir. Mais nous aussi, nous devons imaginer les possibilités de pouvoir créer nous-même nos moyens.
Sur le fossé entre les populations et le gouvernement de Matata et Kabila
Il y a un fossé grandissant entre la population et les gouvernants. Ce fossé est lié au fait que ceux que nos compatriotes estiment être au pouvoir ne sont pas au pouvoir. Ce sont des nègres de service. Comme ils ne sont là que comme nègres de service, comme marionnettes, ils ne peuvent rien faire d’autre que de s’enrichir aux dépens de leur population. On peut les changer comme on en veut, mais tant que le système au sein duquel il fonctionne restera le même, il sera difficile de combler le fossé entre nos populations et ces gens du « gouvernement ».
En Amérique latine, des présidents se sont efforcés de réduire ce fossé. Comment ? En faisant de leurs populations des partenaires privilégiés. Il n’y a pas 36 solutions. Le néolibéralisme qui est la matrice organisationnelle sur fond duquel fonctionne le système marionnettiste congolais évite l’intervention de l’Etat dans la gestion des entreprises. Il y a un privilège indu donné aux entreprises privées. Mais les Chavez, Maduro, Morales, Correa qui ont compris qu’il y a moyen d’avoir une gestion mixte, avec d’une part des entreprises publiques nationalisées et d’autre part des entreprises privées, essaient de faire avancer leur pays.
Mais chez nous comme le fait d’accéder au peuple n’est pas toujours le fait du peuple mais des arrangements entre les puissances occultes du monde et quelques nègres de service, il y aura toujours ce fossé entre ces élites marionnettistes et nos populations.
Kabila n’a pas le pouvoir. Ces gens du gouvernement acceptent juste de l’argent pour détruire leur propre pays. Notre pays est sous la tutelle de l’ONU. Kabila a juste quelques tâches qu’on lui demande d’accomplir de temps en temps. Le pouvoir c’est l’ONU, le FMI et la Banque Mondiale.
Sur le bilan de Jospeh Kabila et de son « gouvernement »
Nous n’avons aucune industrie. Nos matières premières sont exportées sans aucune valeur ajoutée. Le Congo ne contrôle absolument rien, et dans l’entre-temps nous avons, ces gens qui organisent des bilans d’auto-satisfaction et se congratulent entre eux. Pendant ce temps, de l’autre côté, le peuple a touché le fond de la misère.
Et si nos populations arrivent à applaudir ces messieurs qui viennent, par moment, leur faire des dons, c’est simplement pour des motifs de survie. Quand vous avez une guerre qui dure pendant plus de deux décennies, vous êtes détruit en tant qu’individus. Les guerres de basse intensité qui durent pendant très longtemps avilissent et détruisent et les identités et les familles.
Donc au lieu que les populations se disent « cet argent est à nous, il faudrait une répartition qui permettrait à tous d’avoir un revenu minimum », ils applaudissent ceux qui se servent sur le dos du peuple.
Pour pouvoir arriver à des résultats qui conduisent, par exemple, à l’égalité des chances, on doit pouvoir lutter pendant très longtemps. On doit pouvoir créer un fond de résistance avec des objectifs précis. Notre bêtise est de croire parfois qu’il suffit qu’untel part et tout va changer. Il faut davantage privilégier les processus que les individus.
Les hostilités ont repris, à l’est du Congo. Cette guerre théâtralisée est une prédation, une manière d’organiser le vol, celui de vies, des ressources naturelles et des terres. Contrairement à ce que nous pensons de temps en temps, les congolais ont compris. Ils ont compris que le poisson pourrit aussi par la tête.
Sur le rôle de la diaspora congolaise à travers le monde
La diaspora congolaise fait beaucoup. Elle a compris qu’elle doit prendre le temps d’expliquer sur ce qui se passe réellement sur le terrain. Le travail de communication et d’information est très important et la diaspora le fait très bien. Parce que nous sommes souvent victimes de la propagande mensongère et de la désinformation. Un autre travail que la diaspora fait très bien, c’est lorsqu’elle se mobilise pour une cause.
La diaspora devrait penser à créer un peu plus de moyens de sa politique. Marcher, manifester, c’est bien. Un peuple debout n’est jamais un peuple vaincu. Mais créer les moyens de sa lutte est important, créer par exemple une organisation qui aide cette diaspora à se structurer et à devenir une force qui n’a pas peur. Nous pourrions avoir une organisation qui a, à sa tête, une pluralité de membres, et qui travaille sur le court, moyen et long terme, et qui mobilise les moyens intellectuels, culturels, économiques et sociaux pour sa politique. On ne peut pas se battre simplement avec la parole. La mobilisation des moyens, c’est important et indispensable.
Il ne faut pas exiger que tout le monde fasse ce que tout le monde fait. Nous devrions procéder à une division du travail. Nous devrions avoir des compatriotes qui ne font que lire et écrire. Nous devrions avoir des compatriotes qui publient. Des compatriotes qui rencontrent ceux qui produisent et mettent à la disposition des autres compatriotes le fruit de ces rencontres.
Une division du travail permettra à chacun de faire ce qu’il peut faire pour un autre devenir pour le Congo. Nous devons devenir « créateur de valeur », pas pour nous-même individuellement, mais pour nous en tant que communauté et pour notre terre mère.
Pourquoi ne sommes-nous pas capables d’avoir une banque congolaise à Paris ou à Bruxelles ? Ainsi l’argent que nous envoyons au pays, et qui passe par les banques de ceux qui nous font la guerre, passe par nos banques à nous.
Pourquoi la diaspora ne s’organise pas pour créer ses propres entreprises au Congo ? Il y a des tentatives à faire et des risques à prendre pour nous réapproprier notre économie, même si pour que les choses marchent au Congo, il faudrait que le pouvoir soit entre les mains des dignes filles et fils du pays.
Sur les relations et interactions de la diaspora avec les Occidentaux
On peut tout dire mais l’Europe ou l’Occident des lumières a quand même marqué certains esprits africains. Il y a un certain imaginaire qui est marqué par certaines valeurs humanistes et qui croit qu’en discutant avec l’Occident, on pourrait arriver à quelque chose de bien, pour le Congo. Mais il est temps qu’on puisse dresser le bilan et tirer des conclusions qui permettent aux Congolais et aux africains, en général, à s’engager dans des démarches qui diversifient les partenaires stratégiques. Ainsi nous pourrons apprendre comment faire les choses autrement.
Nous sommes trop longtemps restés prisonniers dans une sorte de « droit-de-l’hommisme ». Nous croyons que les choses s’arrangent quand nous nous adressons aux ONG des droits de l’homme. Mais nous n’arrivons pas à voir qui sont derrière ces ONG internationales des droits de l’homme.
Sur le travail qu’il reste à accomplir pour la diaspora congolaise
Nous devons pouvoir créer des sociétés civiles vivantes et des partis politiques qui ont une idéologie différente de ceux qu’on répète dans plusieurs partis politiques du pays.
Nous devons développer un travail de synergie entre nos différentes organisations qui sont à l’extérieur et les organisations qui sont au pays. Qu’on puisse travailler en permanence, en utilisant le plus possible les nouvelles technologies de l’information et de la communication. Et en essayant aussi le plus possible d’aller sur place au pays, échanger avec nos compatriotes au pays.
Nous devons aussi créer les moyens matériels, intellectuels, culturels et spirituels en essayant de refonder l’école, l’université et l’église.
Enfin, si nous voulons que le Congo aille de l’avant, nous devons passer au panafricanisme des peuples. Le Congo doit être sur le devant de la scène pour travailler au panafricanisme des peuples et continuer le travail de Lumumba. C’est cela qui peut sauver l’Afrique et le Monde. Le salut du monde se trouve en Afrique et plus particulièrement au Congo.