L’analyste politique Jean-Pierre Mbelu rappelle, dans le contexte du processus électoral ayant cours en RDC, la mission de Joseph Kabila et le mode opératoire des acteurs majeurs de la guerre au Congo, expose les enjeux du socialisme du 21ème siècle. Et explique pourquoi il est important qu’il y ait un mariage de cœur et de raison entre toutes les forces du changement et les masses populaires.
Sur Malu Malu et le processus électoral en RDC
Il ne faut pas tomber dans l’amnésie. L’amnésie consisterait à faire comme si l’abbé Malu Malu n’avait jamais été impliqué dans un processus électoral en RDC. Or, c’est ce même Malu Malu qui était aux commandes de la commission électorale en 2006 quand il y a eu tricherie et que Bemba avait dit qu’il avait accepté l’inacceptable.
Les fameux acteurs politiques congolais qui tiennent au processus électoral démocratique et apaisé en RDC font comme si ils avaient déjà oublié ce que Malu Malu a fait en 2006.
Un processus électoral dans les conditions actuelles, avec Apollinaire Malu Malu comme responsable numéro 1 de la commission électorale nationale indépendante, n’aboutira pas à des résultats qui feraient la part belle aux véritables élus du peuple.
Comment des gens qui ont des preuves que Kabila n’a jamais gagné d’élections en RDC puissent focaliser leur attention et débattre sur la possibilité de le voir se représenter aux élections futures ou pas.
Sur Kabila et sa mission au Congo
Kabila n’est pas le chef de l’Etat. Il est venu au Congo avec une mission : participer le plus possible à l’extermination des congolais. Et quand les congolais sont tués, maltraités, malmenés, quand les femmes congolaises sont violées et éventrées : cela rentre dans une partie de sa mission. Il y a dans son chef, suffisamment de mépris à l’endroit des congolais.
Nous ne devrions pas oublier que ce qui se passe dans une partie de notre pays, comme le banditisme organisé à Kinshasa et ailleurs, fait partie de la guerre de basse intensité menée contre le Congo. On ne doit pas séparer ces actes, bien qu’ils apparaissent isolés, de la trame générale de la guerre qui est menée contre le Congo.
Sur le mode opératoire des acteurs majeurs de la guerre au Congo
Quand vous examinez les guerres menées par les acteurs majeurs de cette guerre là dans d’autres pays du monde, comme l’Irak par exemple, vous vous rendez compte qu’ils sont capables d’organiser une guerre pendant plusieurs années. C’est par exemple depuis les années 1940 qu’ils ont organisé la chute de l’URSS. Or cette chute a eu lieu durant les années 1990. Ils travaillent une question pendant longtemps et tant qu’ils n’ont pas atteint leurs buts, ils persévèrent. Malheureusement, nous dans notre majorité, nous n’avons pas cette capacité à rester concentrés sur ceux qui nous livrent réellement la guerre. Tant ils sont perçus comme ennemis réels, tantôt nous pensons qu’ils sont devenus des partenaires et qu’ils peuvent nous aider. Alors qu’eux, quand ils ont une cible à atteindre, ils y travaillent pendant des années et des années.
Sur les massacres et les commissions d’enquête qui s’en suivent
Combien de commissions ont déjà été mises sur pied dans ce pays sans que les conclusions auxquelles ces commissions ont abouti puissent être prises en compte par le pouvoir fantôche de Kinshasa. Il y a tous ces rapports des experts de l’ONU dont les conclusions ont été claires. Mais qu’en a-t-on tiré comme leçon ? Absolument rien. Ce n’est pas en mettant une énième commission d’enquête que demain, nous aurons des résultats escomptés, c’est-à-dire, traduire en justice les auteurs de massacres. Pourquoi ? Parce que les massacres font partie de la mission du gouvernement fantôche de Kinshasa.
C’est quand nous congolais, nous n’arrivons pas à comprendre cela que nous essayons de croire qu’un jour, les mêmes qui sont impliqués dans la mission d’extermination des congolais vont monter des commissions et mener des enquêtes qui aident les congolais à respirer. Non. Ce sont des illusions dont nous devons nous repartir.
Sur la nécessité d’un lobbying populaire
Pourquoi la génération des Lumumba, Nkrumah, Sekou Touré, Nasser, etc. a fait peur aux impérialistes ? Pourquoi cette génération là a été facilement assimilée aux communistes et cela de manière péjorative ?
C’est parce que ces messieurs là nourris aux idées marxistes léninistes pouvaient à tout moment s’inspirer de la révolution d’octobre 1917. En octobre 1917, il y a eu le renversement d’un tsar russe par les ouvriers et les paysans coalisés. Cette coalition a fait peur aux partisans du pouvoir bourgeois.
Ainsi le pouvoir bourgeois qui organise l’idéologie capitaliste a toujours eu peur que naissent les coalitions de ce genre là et que le pouvoir bourgeois puisse être renversé.
Le pouvoir bourgeois ne peut-être représenté que par un gouvernement représentatif comme il est régulièrement représenté par la démocratie bourgeoise, qui est une démocratie dominée par une élite qui possède les sous et une démocratie qui exclut les masses.
Donc, parce qu’il y a eu une tentative de renversement du pouvoir bourgeois par une coalition de paysans et d’ouvriers, chaque fois que quelqu’un qui se lève, comme Lumumba, et dit : « Voici la voie que je propose, il faudrait qu’il y ait des grands mouvements populaires et des partis unifiés », les gens tremblent dans leurs culottes. Les partis politiques tels qu’ils fonctionnent maintenant dans nos pays ne sont pas sérieusement adaptés à nos conditions.
Imaginons que demain il y ait un lobbying populaire qui permette à nos paysans (le Congo est majoritairement paysan) et à nos chômeurs de comprendre que s’ils coalisent, ils peuvent renverser les partisans du statu quo qui font souvent office de politiciens en RDC, ces gens là font faire pipi dans leurs culottes.
C’est cela qui fait peur quand on fait allusion à la pensée de Lumumba.
Est-il possible d’organiser un lobbying populaire qui unifie nos différents mouvements de façon que nos populations soient des parties prenantes de l’organisation de la société, de la gestion de la cité et qu’elles aient des lieux où elles créent, à la fois des moyens culturels, politiques, sociaux et économiques qui leur permettent de devenir des acteurs à partir entière de la gestion de la société congolaise ? Est-ce aussi compliqué que cela ?
Sur le socialisme du 21ème siècle et le Congo
Pourquoi la pensée de Lumumba fait-elle peur? Parce que la petite bourgeoisie comprador qui opère à partir du pays ou au niveau transnational veut conserver sa part de gâteau et ne pas y impliquer les masses populaires.
Quand vous avez un monsieur de la trempe d’Hugo Chavez qui a réussi à redonner aux masses populaires leur place dans la gestion du pays, vous voyez ce que le Venezuela est en train de devenir. Le Venezuela comme la Bolivie et d’autres pays de l’Amérique Latine, sont en train d’aller vers la démocratie communale. C’est-à-dire la gestion collective de la commune par ceux qui l’habitent. Voilà vers quoi on devrait tendre dans des pays comme le Congo.
Lumumba estime qu’au sein des grands mouvements populaires et des partis unifiés, il y a lieu d’ouvrir un espace de débats et de dialogues
Quand on parle du socialisme du 21ème siècle, à quoi fait-on allusion ? On fait simplement allusion au fait qu’on donne à la gestion du pays une autre matrice organisationnelle, un autre fondement. Au lieu de reposer sur la concurrence et la compétitivité, on fonde la matrice organisationnelle sur la solidarité, et la coopération. Mais cela, on l’avait en Afrique.
La question n’est pas de celui d’avoir un modèle original, mais de savoir ce que nous donnons comme base à ce modèle original, comment pouvons-nous faire pour que nos paysans et nos chômeurs participent elles aussi à la gestion de la chose publique ?
Sur les intellectuels critiques et les politiciens
L’élite congolaise ne se tait pas. Il y a un problème de confiscation des lieux d’expression populaire. Les médias sont muselés, et cette élite n’a pas de lieux d’expression appropriés. Dans son livre « deux heures de lucidité », Noam Chomsky explique que les prophètes étaient des intellectuels critiques qui essayaient de mettre des jugements moraux sur la société de leur temps. Et ces prophètes étaient exclus et envoyés dans le désert. C’est longtemps après que leurs mérites furent reconnus. Dans des pays où les intellectuels critiques sont mal vus et exclus, ce sont beaucoup plus les intellectuels mangeurs et thuriféraires qui ont accès à tous les moyens.
On ne tue pas les idées, mais si vous laissez suffisamment d’espace aux intellectuels qui ont des idées révolutionnaires, la démocratie bourgeoise risque d’être mise à mal. Voilà pourquoi les acteurs majeurs de la guerre au Congo essaient de tout organiser pour que les négriers des temps modernes qui sont chez nous, traquent, tuent les intellectuels critiques. Et cela ne se limite pas au Congo. Même dans les pays dits démocratiques, ce sont les grandes entreprises qui gèrent les médias et essaient de lobotomiser les masses.
Les intellectuels qui arrivent à poser des questions fondamentales ont toujours été mal vus, surtout dans les sociétés modernes. Tout est fait pour qu’ils ne puissent pas avoir accès non seulement aux livres mais surtout pas aux masses populaires.
Tous les politiciens ne peuvent pas être assimilés aux intellectuels critiques. Vous avez des gens qui sont dans une instabilité terrible. Aujourd’hui ils militent dans ce qu’on appelle opposition. Demain, ils changent de camp. Ils vont là où ils peuvent trouver à manger et à boire. Il y a beaucoup de ceux qui prétendent être intellectuels qui font la politique du ventre. Aux plus éveillés d’entre nous de faire la distinction entre les intellectuels critiques et les intellectuels mangeurs. Mais aujourd’hui, nous ne pouvons pas affirmer que nous n’avons pas d’élites compétences en RDC, même si ils sont minoritaires.
Sur le mariage de cœur et de raison entre les forces du changement et les masses populaires
Les gens qui luttent doivent, à un moment ou à un autre, s’attendre à subir la loi de ceux qui voudraient à tout prix conserver le pouvoir fantoche au Congo. Il y a une personnalisation du pouvoir et une idolâtrie du « Chef de l’Etat ». Ce n’est pas demain que l’on en sortira. Mais le Congo a besoin de ces filles et de ces fils qui au nom de leurs convictions, parlent et font face aux arrestations arbitraires. Tant que le Congo demeure une jungle dans laquelle les élites compradores se redistribuent les cartes, ces derniers s’efforceront de lutter contre toutes les forces du changement. C’est aux forces du changement de pouvoir comprendre, que plus elles se mettront ensemble pour organiser des grands mouvements populaires et unificateurs autour de défis précis, elles seront marginalisées, arrêtées sans que les populations aillent dans la rue pour réclamer leurs libérations. Il faut qu’il y ait des plus en plus un mariage de cœur et de raison entre toutes les forces du changement et les masses populaires. Quand ce mariage sera scellé sur trois, quatre, dix ans, il y aura renversement des rapports de force en RDC.
Voilà pourquoi il est nécessaire de créer un lobbying populaire qui aille vraiment dans le sens de la création de grandes synergies pour pouvoir changer les rapports de force.