Par Jean-Pierre Mbelu
»La version officielle » de notre histoire collective de ces deux dernières décennies résiste encore à la correction dans l’imaginaire des »révolutionnaires des couleurs » du 17 mai 1997. Cette »révolution de pacotille » est abusivement dénommée »révolution pardon ». L’alliance des »dinosaures mobutistes », de »nouveaux prédateurs » congolais, rwandais, ougandais, tanzaniens, etc. verrouille l’espace public et pousse les plus naïfs d’entre nous, leurs thuriféraires et leurs clients à pouvoir dénommer l’ordre de la kleptocratie qu’elle préside »notre jeune démocratie ». Sans blague !
Le discours dominant débité sur le Congo-Kinshasa depuis bientôt plus de deux décennies est l’une des choses les plus partagées dans certains milieux des »biens pensants ». Souvent, ces milieux nous disent : « Mobutu était un dictateur, il fallait qu’il parte. » Ce discours fut aussi longtemps partagé plusieurs milieux congolais : « Mobutu est un dictateur. Il faut qu’il parte. Même s’il peut être remplacé par un chien. Qu’il parte d’abord. » D’où vient Mobutu ? Qui est-il ? Qu’est-ce qui a constitué la matrice organisationnelle, les fondements et les fondations de sa dictature ? Comment devient-il le président du Congo-Kinshasa ? Par quelle magie ?
« Mobutu » n’est pas devenu »le roi du Congo » de son unique et propre chef
Souvent, dans ces milieux prônant le départ à tout prix de Mobutu, les questions liées à son histoire avec »les faiseurs des rois » est mise entre parenthèse. L’ère du numérique est en train de détourner plusieurs d’entre nous de la recherche conduisant aux sources historiques de »la fabrication de Mobutu ». Des livres écrits par des témoins critiques de cette »création » sont pratiquement ignorés au nom des urgences du présent. A titre indicatif citons-en quelques-uns dans l’espoir que certains curieux les feuillent et sachent que »Mobutu » n’est pas devenu »le roi du Congo » de son unique et propre chef. Citons J. CHOME, L’ascension de Mobutu. Du sergent Joseph Désiré au général Sese Seko, Bruxelles, Complexe, 1974 ; V. DELANNOY et O. WILLOCX, Secret d’ Etat. Le livre des Belges zaïrianisés. 1973-2007, Bruxelles, Le Cri, 2007 ; A. LIBERT, Les sombres histoires de l’histoire de Belgique, Bruxelles-Paris, La Boîte à Pandore, 2014.
La paresse intellectuelle peut nous conduire à négliger les tactiques et les stratégies auxquelles »les faiseurs des rois » ont pu recourir pour que la dictature de Mobutu survive pendant plus ou moins trois décennies.
L’ère du numérique traîne son ambiguïté. Elle peut créer des abrutis et des ignorants, des amnésiques et des esclaves volontaires tout en rendant possible l’accès à certains documents et à certains documentaires. Actuellement, il est devenu possible de savoir suffisamment bien ce qui s’est passé et se passe encore au Congo-Kinshasa en regardant quelques films documentaires. Nous prenons deux exemples : Le conflit au Congo. La vérité dévoilée et Rwanda’s untold story.
Tout cela étant, la paresse intellectuelle peut constituer un motif sérieux pour interdire à ceux et celles d’entre nous dont les cœurs et les esprits ont été mangés par l’imperium culturel et économique occidental ou par la diabolisation émotionnelle excessive de Mobutu de continuer à dire : « Mobutu était un dictateur, il fallait qu’il parte. » La paresse intellectuelle peut nous conduire à négliger les tactiques et les stratégies auxquelles »les faiseurs des rois » ont pu recourir pour que la dictature de Mobutu survive pendant plus ou moins trois décennies. Explicitons un peu.
Et la critique de la vassalisation de Mobutu ?
Dans les documents déclassifiés du Département d’ Etat US traitant de l’implication des Etats-Unis dans l’assassinat de Lumumba, un aveu est fait. Le pays de l’Oncle Sam avait décidé d’occuper le Congo-Kinshasa pour quelques décennies. Et quand Mobutu est créé »Roi du Congo », il a, à ses trousses, un Belge comme conseiller économique et de la Banque nationale du Congo de mars 1966 à mai 1969. Et Jacques de Groote, c’est de lui qu’il s’agit, était au même moment, directeur éxécutif au FMI et à la Banque mondiale à ce moment-là. C’est-à-dire qu’il gérait »les armes économiques de destruction massive » des pays tiers. Disons, donc, que quand Mobutu est créé »roi du Congo », il est déjà un »nègre au service des tueurs à gages » du capitalisme du désastre.
Dans une certaine mesure, la propagande faite au sujet du »dictateur Mobutu » nous a beaucoup plus conduits à sa »diabolisation excessive » qu’à la critique de sa »vassalisation ». Pour dire les choses autrement, la critique zaïro-congolaise de la dictature de Mobutu n’a pas toujours marché de pair avec la remise en question du système créateur des dictateurs et de l’échec de sa politique de vassalisation.
Les rares fois qu’il a osé retrouver quelques moments de lucidité, »ses créateurs » lui ont tapé sur les doigts. Ses échappées en Chine d’où il a ramené aux Zaïrois l’abas-cost le rendaient désobéissant à l’endroit des »parrains du Zaïre ». Tout comme son discours à l’ONU le 04 octobre 1973. Certaines de ses sorties médiatiques critiques à l’endroit des »pays parrains » étaient souvent interprétées comme des tentatives de »rébellion ».
Dans une certaine mesure, la propagande faite au sujet du »dictateur Mobutu » nous a beaucoup plus conduits à sa »diabolisation excessive » qu’à la critique de sa »vassalisation ». Pour dire les choses autrement, la critique zaïro-congolaise de la dictature de Mobutu n’a pas toujours marché de pair avec la remise en question du système créateur des dictateurs et de l’échec de sa politique de vassalisation.
Nous aurions pu apprendre, par exemple, que « les »vassaux » ne sont pas de simples pièces d’un jeu d’échecs pouvant être facilement manipulées par un seul et unique joueur. Ces sont des êtres humains dotés de raison ; et il est probable, pour ne pas dire certain, qu’un excès de pouvoir pressenti comme injuste provoquera non seulement du ressentiment, mais également une résistance efficace. » (P. DALE SCOTT, La machine de guerre américaine. La politique profonde, la CIA, la drogue, l’Afghanistan, … Paris, Demi-Lume, 2012, p.263.)
Développer le savoir critique
Remettre en question et »le dictateur de Mobutu » et le système qui l’a créé nous aurait aidés à rester attentifs au mode de production des »dictateurs » et des »tyrans » en Afrique et à l’image que »leurs producteurs » s’en font. Souvent, ils sont vus comme de »simples clients », de »vassaux » ou de »pions interchangeables » devant générer des profits pour les entreprises qui les emploient. Cela aurait aussi permis de saisir la vision du monde qui les embrigade. Le monde du lobbying ayant Mobutu comme client considéré »le monde comme un énorme jeu de Stratego », »un échiquier » privilégiant les profits engrangés par rapport aux conséquences, aux coûts sociaux.
Ce savoir critique massivement partagé nous aurait évité d’applaudir »les nouveaux vassaux », »clients » et »pions » du »nouvel ordre mondial » comme étant »les libérateurs » du Congo-Kinshasa en 1996-1997. Il nous aurait conduit à élaborer des lois sur »la légitimation extérieure » des dictateurs par le travail du lobbying auquel Mobutu s’est adonné hier et alias Joseph Kabila aujourd’hui. Malgré les faux discours souverainistes de ce dernier et les discours enflammés du premier sur »l’authentiquement congolais ».
Il nous aurait permis de questionner, en permanence, certains »articles de foi » débités au Nord et au Sud du monde : »Vous êtes indépendants depuis 1960. Depuis les années 1960, les colons sont partis et vous n’avez pu rien faire de bon pour votre pays. Vous voulez toujours vous victimiser et accuser les autres. » En effet, quand le 17 mai 1997, Laurent-Désiré Kabila s’auto-proclame »Président de la République Démocratique du Congo », notre pays parachève, pour un cours instant »sa révolution de couleurs ».
Ce savoir critique massivement partagé nous aurait évité d’applaudir »les nouveaux vassaux », »clients » et »pions » du »nouvel ordre mondial » comme étant »les libérateurs » du Congo-Kinshasa en 1996-1997. Il nous aurait conduit à élaborer des lois sur »la légitimation extérieure » des dictateurs par le travail du lobbying auquel Mobutu s’est adonné hier et alias Joseph Kabila aujourd’hui. Malgré les faux discours souverainistes de ce dernier et les discours enflammés du premier sur »l’authentiquement congolais ».
Elle a pour tacticien, Kaguta Museveni et »Kind of Guy » made US, Paul Kagame. Bill Clinton, plus de 400 rangers, des membres de la CIA et de l’ONU, une bonne frange de politiciens anglo-saxons jouent dans l’ombre pour que »le Congo-Kinshasa soient enfin américain ». (Lire Affaire Bill Clinton : la vérité originale sur le Rwanda au nom de la liberté d’expression. Aucun secret ne restera caché ici sous le soleil, dans Intabaza.com). Les Congolais(es) et plusieurs étrangers ayant participé, de près ou de loin à cette »révolution des couleurs » ont, au cours de leurs rares moments de lucidité, dit leur part de vérité sur elle. Dans un passé très récent, nous avons évoqué le cas de Lambert Mende, ex-membre du RCD-Goma, reconnaissant que »la guerre dite de libération » fut une tuerie (contre les paisibles citoyens) organisée par une coalition des grandes puissances et de groupes criminels.
Pour refonder ce pays sur un système des valeurs alternatif
Les proches de Kagame ont produit des textes et des documents allant dans ce sens. Certains ont été assassinés ; d’autres sont en exil. Les Congolais(es) proches des groupes armés par Museveni et Kagame ont, au cours de ces deux dernières décennies, livré leur »part de vérité ». Certaines cours et certains tribunaux ont aussi livré »leurs secrets ».
Les élections-pièges-à-cons organisées au cour de cette ère kleptocratique sur fond d’une »Constitution chiffonnée » et quelques »traités esclavagistes et néocoloniaux » signés sous la fausse dénomination d’ »Accords » semblent convaincre plusieurs d’entre nous que le Congo-Kinshasa est sur »une bonne voie ». Comment, dans ces conditions, remettre les cerveaux à l’endroit pour une relecture historique réellement libératrice du pays de Lumumba ? Comment, dans ces conditions fermer la parenthèse de »la révolution des couleurs » made in »Anglo-saxonnie » pour une remise des choses à l’endroit ?
Malheureusement, ‘la version officielle » résiste encore à la correction dans l’imaginaire des révolutionnaires des couleurs du 17 mai 1997. Cette »révolution de pacotille » est abusivement dénommée »révolution pardon ». L’alliance des »dinosaures mobutistes », de »nouveaux prédateurs » congolais, rwandais, ougandais, tanzaniens, etc. verrouille l’espace public et pousse les plus naïfs d’entre nous, leurs thuriféraires et leurs clients à pouvoir dénommer l’ordre de la kleptocratie qu’elle préside »notre jeune démocratie ». Sans blague !
Les élections-pièges-à-cons organisées au cour de cette ère kleptocratique sur fond d’une »Constitution chiffonnée » et quelques »traités esclavagistes et néocoloniaux » signés sous la fausse dénomination d’ »Accords » semblent convaincre plusieurs d’entre nous que le Congo-Kinshasa est sur »une bonne voie ». Comment, dans ces conditions, remettre les cerveaux à l’endroit pour une relecture historique réellement libératrice du pays de Lumumba ? Comment, dans ces conditions fermer la parenthèse de »la révolution des couleurs » made in »Anglo-saxonnie » pour une remise des choses à l’endroit ?
L’une des conditions serait une lecture avertie de notre histoire collective de ces dernières décennies ; sa traduction en nos langues vernaculaires et son étude au cours des cours d’éducation à la citoyenneté. Une autre est celle d’une division raisonnable du travail au sein des lieux de savoir congolais en vue de lancer ou de coordonner un ou deux grands mouvements pour »la renaissance congolaise et panafricaine ». Quelque chose allant dans le sens des récents »Rassemblements », qui soit fondé sur une lecture »insoumise » de notre histoire collective et qui, bien que cherchant l’alternance au pouvoir au Congo-Kinshasa, lutte d’abord et avant-tout pour refonder ce pays sur un système des valeurs alternatif.
Babanya Kabudi
Génération Lumumba 1961