Par Jean-Pierre Mbelu
Le débat soulevé par la lettre ouverte adressée au Prof Mbata doit pouvoir être replacé dans le contexte général d’une guerre perpétuelle de basse intensité et de prédation menée contre le Congo-Kinshasa depuis les années 1990 et même un peu plus tôt. Le texte sur lequel porte ce débat, la lettre ouverte, risque de ne pas être comprise si elle est lue en marge de ce contexte où ‘’les empêcheurs de penser en rond’’ sont en permanence les cibles des journalistes, des intellectuels et des politiques du système.
Il est très préoccupant de constater qu’au fur et à mesure que l’année au cours de laquelle cette guerre perpétuelle de basse intensité a débuté au Congo-Kinshasa, une sorte d’amnésie soit en train de s’installer au cœur des débats politiques menés au pays de façon que ses objectifs majeurs soient oubliés. Parmi ces objectifs, il faut citer la production d’un ‘’Etat raté’’ au cœur de l’Afrique par le biais du ‘’chaos constructeur’’ pouvant aboutir à son implosion et/ou à sa balkanisation. Celle-ci en ferait une somme de petits Etats corvéables à souhait pour ‘’les nouveaux centres du pouvoir’’ ou simplement ‘’un lieu chaotique’’ échappant à toute coopération avec des partenaires stratégiques extérieurs autres que les initiateurs et les commanditaires de ladite guerre.
La vieille question que repose André Mbata Mangue est celle du rôle de l’intellectuel critique engagé dans une société prise en otage par les seigneurs de la guerre opérant avec leurs journalistes, leurs intellectuels et leurs hommes politiques en tant que des proxies d’un système néolibéral orchestrant ‘’la guerre de tous contre tous’’ dans un monde tendant de plus en plus vers la multipolarité et la polycentricité. Les attaques menées contre le Prof André Mbata Mangu participent du refus conscient ou inconscient du rôle que les intellectuels critiques et engagés sont en train de jouer pour rendre effectif l’avènement de cet autre monde. Ce n’est pas un cas isolé et ce n’est pas une nouveauté. Elles sont vieilles comme le monde. Elles attestent de la reconnaissance de l’importance de la pensée critiques et des idées dissidentes dans le fonctionnement des systèmes hégémoniques.
En son temps, traitant de l’hégémonie culturelle, Gramsci disait que « si vous occupez la tête des personnes, leurs cœurs et leurs mains suivront. Le système dominant n’a pas oublié cette leçon et a créé une nouvelle narration de l’histoire pour raconter et légitimer sa domination et ce qui est en train de sa passer dans le monde. » Longtemps après Gramsci, Susan George a mené une recherche montrant comment, aux Etats-Unis, les droites laïque et religieuse ont enchaîné la pensée pour mieux s’emparées de l’Amérique. Il n’est pas étonnant que cet ‘’Etat manqué’’[1] soit l’instigateur de la production des ‘’Etats ratés’’ par le canal des proxies. Dans les pays des Grands Lacs africains, il a instrumentalisé le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi[2] pour faire main basse sur les richesses du Congo-Kinshasa, y créer le chaos afin d’éviter que ce pays ne passe sous l’influence de la Chine ou de la Russie (ex-URSS).
Relire cette histoire, en identifier les acteurs apparents et les acteurs majeurs, mettre à nu leur mode opératoire devrait être perpétuellement au cœur des préoccupations des intellectuels critiques et engagés de la trempe de Mbata.
La falsification des textes et de l’histoire est un axe de leur mode opératoire. Elle permet justifier les ‘’services des nègres de service’’ et d’abrutir les jeunes générations en leur racontant ‘’l’histoire officielle’’ tout en leur proposant ‘’leurs pyromanes’’ comme étant ‘’leurs pompiers’’. A ce point nommé, le documentaire produit dernièrement par la BBC[3] vient corroborer plusieurs thèses commentées par des compatriotes Congolais ayant participé à ‘’Le Conflit au Congo. La vérité dévoilée[4]’’ Revoir simultanément ces deux documentaires aiderait à comprendre la guerre perpétuelle face à laquelle le Congo-Kinshasa est encore confronté aujourd’hui.
Rwanda’s Untold Story Documentary from RDI-Rwanda Rwiza on Vimeo.
Le débat sur ‘’la révision de la constitution’’, cette charte d’occupation et de mise sous tutelle du Congo-Kinshasa, auquel Mbata Mangu participe activement en essayant de profiter de l’ambiguïté de ce texte pour en tirer le meilleur parti a un côté passionnant dans la mesure où il pourrait avoir une issue sonnant le glas des ‘’nègres de service’’ de l’ordre néolibéral et néocolonial. L’idée de cette possible issue pour ceux qui ont fait de la politique une question de ‘’survie’’ et ‘d’instinct de conservation’’ les met dans tous leurs états. Et ils ont prêts, pour obéir à leur instinct de survie et de conservation à ‘’broyer et avaler’’, au propre comme au figuré, les intellectuels critiques et engagés pouvant s’interposer sur leur chemin. Chebeya, Bazana, Bapuwa, Tungulu, etc. sont des faits historiques sur lesquels les Congolais(es) dignes de ce nom n’ont pas encore dit leur dernier mot. Faudrait-il qu’en plus de ces dignes fils du pays et ses autres héros comme Mamadou Ndala, Mbuza Mabe, etc. la liste s’allonge avec Mbata ?
Nous ne pensons pas. Le Prof devra se comporter en homme averti au cas où, fort de son refus de choisir le chemin de l’exil, il penserait retourner dans son pays pour débattre sur les questions engageant le destin collectif congolais et dispenser ses cours. Un homme averti en vaut deux. ‘’Les nègres de service’’ de l’ordre néolibéral et néocolonial ne lésinent pas sur les moyens. Protagonistes de ‘’la guerre de tous contre tous’’, ils ont, pour plusieurs d’entre eux, sombré dans la sociopathie et dans la psychopathie : ils tuent sans aucun état d’âme. C’est pour eux une question d’argent et de survie biologique.
Mbelu Babanya Kabudi