Par Jean-Pierre Mbelu.
Quelque chose de neuf est en train de naître dans la sous-région des Grands-Lacs. Les douleurs d’enfantement perdurent. La vérité qui est en train de venir au grand jour contient en elle-même une exigence de justice pouvant conduire la liberté et la paix à s’épanouir dans cette sous-région. La vigilance doit être de mise. Les distractions des alliés du Rwanda doivent être décriées.
Ecouter Mende et Tshibanda aujourd’hui peut faire sourire. Ces deux messieurs reviennent sur des secrets de polichinelle après avoir soutenu des escadrons de la mort au nom de la paix des cimetières ! Les plus avertis d’entre nous savent comment Mende et son « raïs » ont voulu convaincre le monde entier que Bosco Ntanganda était une pièce maîtresse pour la paix à l’est de notre pays. Quand aujourd’hui, le gouvernement issu du coup d’Etat administratif après les élections chaotiques de novembre et décembre 2011 s’en prend à « la bande à Ntaganda », on croit rêver. En dehors du fait que ce gouvernement a considéré Ntaganda comme « le gardien de la paix » à l’est de notre pays, il l’a impliqué dans les fraudes, les irrégularités et les tricheries massives ayant conduit au coup d’Etat susmentionné. Que le M23 soutenu par le Rwanda et soutenant Ntaganda et le gouvernement de Kinshasa s’accusent mutuellement d’avoir soutenu « les forces négatives » à l’est de notre pays, cela constitue un signe des temps à décrypter.
Ce que Mende et Tshibanda soutiennent dans les propos qu’ils tiennent dans les médias et à travers le monde est un secret de polichinelle. Quand Mende est allé au RCD après la guerre de l’AFDL, la vérité sur la guerre de basse intensité menée contre notre pays était déjà connue. Mgr Munzihirwa, d’heureuse mémoire, en avait déjà parlé à un président Américain. Dans sa lettre à ce Président Américain, il exigeait déjà en 1996, une enquête internationale sur les massacres perpétrés par le FPR au Rwanda depuis octobre 1990. Il posait déjà cette question : « N’y a-t-il pas une intention manifeste de détruire en partie le groupe des Hutu, et certainement tous leurs intellectuels ? C’est d’ailleurs ce que le Burundi a fait en 1972 et continue de faire actuellement. » Au Rwanda, cela se faisait avec l’appui des USA. A ce propos, Mgr Munzihirwa notait ce qui suit : « De plus, les Etats-Unis apportent une aide financière et militaire inopportune à Kigali. On sait que 50 instructeurs américains contribuent à la formation des soldats de l’armée patriotique rwandaise. Et vous le savez certainement, c’est avec la logistique et du matériel américains que les soldats de l’APR ont attaqué la nuit du 6 au 7 novembre 1995, les pauvres paysans hutu habitant l’île d’Iwawa, situé en territoire rwandais près de Goma. » (Cette lettre peut être lue dans C. ONANA, Ces tueurs tutsi. Au cœur de la tragédie congolaise, Paris, Duboiris, 2009, pp. 109-112).
Quand Mende est allé au RCD après la guerre que le Rwanda a livré au Congo (RD) à partir du 02 août 1982, il devait être au courant de ses tenants et de ses aboutissants.
Tshibanda devrait aussi savoir qu’il est allé au PPRD après que son « raïs » de chef ait tenu un discours public en 2004. Dans ce discours, il disait clairement que l’aventure criminelle du Rwanda au Congo sous le fallacieux prétexte d’y poursuivre les groupes armés. « En effet, début décembre, Joseph Kabila fait une déclaration publique sur l’agression du Rwanda portée sur le sol congolais. Il affirme : « Depuis quelques jours, les forces armées du Rwanda ont violé notre territoire (sic) en traversant la frontière commune par plusieurs entrées, dans la province du Nord-Kivu. Pour justifier leur aventure criminelle les responsables rwandais avancent le prétexte de la chasse aux groupes armés rwandais sur le territoire de la République Démocratique du Congo. » (Ibidem, p.162) Mende revient sur ce dernier prétexte et le qualifie aussi de non-fondé dans le dernier communique (du 28 juin 2012) du gouvernement issu du coup d’Etat administratif après les élections de novembre et décembre 2011. Il fait même mention de la présence de « ces forces négatives recyclées» dans les rangs du M23 collaborant avec Ntaganda et soutenu par le Rwanda.
De tout ce qui précède, il y a quelques vérités qui sautent dorénavant aux yeux : maintenir des alliances mortifères contre le Congo (RD) après plus de deux décennies de mensonge devient de plus en plus intenable ; ces alliances commencent à se dissoudre et annoncent l’avènement d’un autre Congo et d’une autre sous-région des Grands-Lacs. Les acteurs apparents impliqués dans ces alliances mortifères parlent de plus en plus. (Même si la question de savoir pourquoi c’est Mende et Tshibanda qui doivent parler pendant que tous les autres se taisent peut être posée.) Ils disent leurs parts de vérité longtemps après Munzihirwa, Mgr Kataliko, Pierre Péan, Charles Onana, Honoré Ngbanda, Théogène Rudasingwa, beaucoup de compatriotes avertis et les différents rapports des experts de l’ONU ; à commencer par le rapport Gersony de 1994. Les acteurs majeurs de cette tragédie sont aussi connus et plusieurs d’entre eux ont perdu l’autorité morale dont ils se prévalaient.
Un exemple. Longtemps après que Noam Chomsky ait classifié l’un de ces acteurs, les USA, parmi « les Etats manqués », Jimmy Carter vient d’avouer que son pays, pour avoir choisi de commettre des meurtres extrajudiciaires avec des drones, a perdu toute autorité morale à travers le monde. Citons Jimmy Carter : « Au moment où des révolutions populaires se multiplient à la surface du globe, les Etats-Unis devraient renforcer, et non affaiblir, les principes et les règles édictés dans la déclaration universelle des droits de l’homme. » Et il ajoute : « Cette évolution (de meurtres extrajudiciaires) a suivi les attentats du 11 septembre 2001 et a été poursuivie sous l’autorité des deux partis (républicain et démocrate), sans être contestée par l’opinion publique ». Et « en conséquence, notre pays ne peut plus s’exprimer avec une autorité morale sur ces questions essentielles. » (Lire Carter juge que Washington a perdu son autorité morale dans AFP/La Libre Belgique du 25 juin 2012)
Disons que la vérité est en train de triompher chez nous au moment où l’un des acteurs majeurs de notre tragédie est disqualifié comme autorité morale sur les questions essentielles qui se posent dans le monde. Ceci peut être une chance si cette disqualification peut être suivie de celle des acteurs apparents de cette même tragédie que leurs propres témoignages confondent. Mais aussi d’une réorientation géopolitique et géostratégique sage et intelligente.
Au niveau des acteurs apparents de notre tragédie au pays, certaines questions peuvent être posées. Comment peut-on aujourd’hui, par exemple, vouloir rompre à moindre frais avec le CNDP (et le M23) après la signature des accords secrets ayant permis à ces forces mortifères de participer de fraudes et de tricheries aux élections de 2006 et celles de 2011 ? Il y a là une complicité dont les dégâts collatéraux doivent être supportés par la coalition. La vérité qui est en train de venir au grand jour contient en elle-même une exigence de justice pour que la liberté et la paix puissent s’épanouir dans la sous-région des Grands-Lacs.
En principe, l’AFDL, le RCD (et ses différentes branches), le CNDP, le M23 le PPRD et ses alliés devraient un jour répondre de leurs crimes avec leurs alliés du FPR/APR avant que la sous-région des Grands-Lacs ne devienne davantage un espace convivial. La fin de l’impunité alliée aux objectifs de vérité et de réconciliation fondés sur une éthique de responsabilité partagée est indispensable à cette partie de l’Afrique.
Mbelu Babanya Kabudi