L’analyste politique Jean-Pierre Mbelu décrypte la mise en scène entre Kabila et les diplomates occidentaux, alerte sur les dangers de l’amnésie de congolais notamment au regard de la relation historique du Congo avec ces derniers, montre comment la communauté occidentale crée la dépendance pour pouvoir justifier l’imposition de ses principes et de ses normes et explique pourquoi la guerre de basse intensité imposé par les élites dominantes occidentales se poursuit par le biais de la doctrine de bonnes intentions de Russ Feingold et des américains.
Sur le différend entre Kabila et les diplomates occidentaux
Il s’agit d’une mise en scène de mauvais goût. Kabila est le produit de la fameuse communauté occidentale que plusieurs d’entre nous confondent avec la communauté internationale. Quand vous lisez « Faiseurs de paix » de jean-Claude Willame, vous vous rendez compte que quand Joseph Kabila prétend prendre le pouvoir, le Congo est déjà sous-tutelle. Comment peut-il s’imaginer un seul instant qu’il pouvait dans un pays sous-tutelle appeler des ambassadeurs pour leur faire la leçon ?
Quand il s’attaque à la résidence de Jean-Pierre Bemba, après les élections bidon de 2006. Jean-Pierre Bemba est en train d’échanger avec les ambassadeurs de la fameuse communauté occidentale, qui à ce moment là, ne dit rien. Pourquoi ? Parce qu’avant ces élections bidon de 2006, il y avait une décision qui avait été prise, par cette fameuse communauté occidentale. Elle avait mis beaucoup d’argent sur ces élections et devait récupérer cela en essayant de faire main basse sur les ressources du sol et du sous-sol congolais. Et la personne qui pouvait mieux les aider en cela, c’était Kabila. Le livre de Charles Onana, « Europe, crimes et censures au Congo : Les documents qui accusent », explique tout cela très bien, et montre comment Kabila est une fabrication de la communauté occidentale.
Donc, cette mise en scène est consécutive d’une autre mise en scène que la fameuse communauté internationale est en train de jouer. C’est-à-dire, montrer que le mariage qu’il avait conclu avec ce monsieur là est en train de connaître son divorce, et qu’il faudrait maintenant qu’on ait d’autres partenaires beaucoup plus engagés pour défendre sa cause que monsieur Kabila.
Sur la dépendance de Kabila vis-à-vis de la communauté occidentale
Dans cette mise en scène, il y a des éléments que nous pouvons retenir. Bien que Joseph Kabila, aidé par Lambert Mende, ait voulu faire croire à nos populations que le Congo n’était pas un pays sous-tutelle, ses maîtres ont confirmé qu’effectivement, ce sont eux qui dirigent le Congo. Dans un pays qui se respecte, les prises de position qu’il y a eu, après la rencontre entre Kabila et le corps diplomatique à Kinshasa, ces prises de position n’auraient pas pu avoir lieu. Mais parce que ces créateurs voulaient à tout prix prouver à l’opinion nationale et internationale que ce monsieur là dépend d’eux, ils sont revenus à la charge. Et après, Kabila n’a rien dit.
Si le ridicule pouvait tuer, Kabila serait déjà mort. Mais comme les marionnettes n’ont rien à voir avec le ridicule, elles savent qu’elles peuvent être défaites à tout moment et donc elles se préparent à assumer les coups.
Contrairement à ce qu’il a voulu nous faire croire, Kabila sait qu’il est une marionnette.
Sur le danger dans l’amnésie
Il ne faut cependant pas tomber dans l’amnésie. L’amnésie serait d’abord d’oublier l’histoire de cette communauté occidentale avec Mobutu. Mobutu était à leurs services depuis les années 1960 jusqu’au moment, où ils lui ont préféré Kagamé et Museveni. C’est comme cela qu’ils agissent.
Ce qui se passe réellement est que, après avoir vu les congolais se battre mains nues sur tous les fronts en essayant de décrier le génocide silencieux que ce pays connaît depuis les années 1990, il est possible que les créateurs de Kabila puissent se dire : « Dribblons encore une fois les congolais. Nous allons faire comme si nous partagions leurs points de vue, tout en essayant de les contrôler le plus possible. Alors, nous allons faire sauter cette soupape de sécurité et nous aurons à travailler avec d’autres marionnettes qui pourront de plus en plus garantir nos intérêts.»
Il n’est pas un seul instant question de la démocratie, ou des élections qui pourraient survenir dans des conditions de transparence et de liberté.
Si la communauté occidentale avait voulu aider le Congo, elle l’aurait fait, entre autres, en 2011, quand les masses congolaises se sont levées pour soutenir Etienne Tshisekedi, mais elle ne l’a pas fait. Ce sont les mêmes ambassadeurs qui ont conduit la communauté occidentale et la communauté nationale à tomber dans cette histoire indescriptible quand ils ont dit : «Il y a eu des tricheries, il y a eu des fraudes, mais malgré cela, ces fraudes n’entament pas l’ordre d’arrivée des candidats.» Voilà le sophisme auquel nous avons été confinés et qui a fait que Kabila a pu être maintenu.
Sur les rivalités entre les faucons et les légalistes dans la kabilie
Kabila joue le rôle d’un figurant. Il n’est pas au pouvoir. Comment ses faucons veulent-ils qu’il reste à un pouvoir où il n’était pas?
Quant aux légalistes congolais : Pourquoi n’ont-ils pas été légalistes quand leur autorité morale a usurpé le pouvoir en 2001?
Au Congo, il n’y a pas un camp de légalistes et un camp de faucons. Il y a surtout un camp unique des membres d’un statu quo qui pratiquent la politique du ventre et qui sont prêts à manger à tous les râteliers.
La plupart de nos compatriotes s’exercent à faire de la politique, non pas en se fondant sur une idéologie qui pourrait garantir le bien-être collectif dans ce pays là, non. Ils font de la politique comme un business.
Ce sont des gens qui mentent et qui se mentent à eux-mêmes. Ils se mentent d’abord parce qu’ils croient qu’ils ont le pouvoir alors qu’ils n’ont rien. On leur donne des sous, oui. Mais ce n’est pas parce que vous avez les sous que vous avez le pouvoir. Ils se redistribuent les miettes qui tombent des tables des multinationales qui exploitent au maximum les matières premières du Congo.
Sur le sens de la souveraineté de l’Etat
Amba Wetshi a amplement raison quand il affirme que l’ingérence se nourrit de la dépendance. Mais cette affirmation est discutable. Le Congo d’aujourd’hui n’est même pas un Etat. Comment pourrait-il être un pays souverain ? Ce dont nous aurons besoin demain, c’est que le Congo commence par devenir un Etat. Pour le moment, c’est un Etat manqué, on ne peut parler de souveraineté en ce qui concerne le Congo.
C’est vrai que l’ingérence se nourrit de la dépendance. Quand vous êtes faibles, culturellement, intellectuellement, économiquement, et que vous n’arrivez pas à vous imposer sur l’échiquier mondial, comme des partenaires crédibles, les autres se moquent de vous. Mais cette affirmation peut-être discutée. N’oublions pas que, depuis plus de 100 ans que le Congo connaît la « traite » négrière, la colonisation, la néocolonisation et le système néolibéral. Durant toute cette période la communauté occidentale a fabriqué ses nègres de service pour pouvoir affaiblir le Congo de l’intérieur. Et elle a fait cela partout où elle est passée. Elle a une certaine procédure : Organiser des guerres récurrentes, organiser l’affaiblissement des institutions, pour pouvoir à un certain moment, imposer ses principes et son orientation politique. Nous devrions rompre avec l’amnésie et questionner notre histoire sur le mode opératoire de la fameuse communauté occidentale. Elle crée la dépendance pour pouvoir justifier l’imposition de ses principes et de ses normes. Cela d’autant plus qu’elle considère la démocratie et les droits de l’homme comme étant des objectifs illusoires.
De la « traite négrière » à ce jour, les dignes fils et filles du Congo n’ont pas encore récupéré l’initiative historique pour pouvoir gérer leur pays comme ils l’entendent. C’est cette lutte là qui est en train d’être menée, espérons qu’elle pourra aboutir.
Sur la poursuite de la guerre de basse intensité au Congo
Il est important que des pressions puissent être faites de l’extérieur sur les nègres de service au Congo. Il y a eu un professeur congolais d’université, André Mbata, qui a posé le même problème que l’américain Russ Feingold en des termes très clairs. Pourquoi mettons-nous beaucoup plus d’énergie à défendre ce que Russ feingold dit que ce qu’André Mbata dit depuis très longtemps ? Est-ce parce que nous n’arrivons pas à créer un imaginaire alternatif qui nous fasse comprendre que l’avenir du Congo, ce sont les congolais eux-mêmes qui doivent y travailler ?
Dire que l’on soutient les positions occidentales, ce n’est pas nécessairement être lâche, cela peut-être lié aussi à la fatigue psychologique.
Quand on vous mène une guerre multiforme pendant plus de 100 ans, à un certain moment, on est fatigué, et on se dit « il y en a marre, essayons de composer avec nos agresseurs même s’ils nous donnent des miettes. » Mais à ce moment là, vous pratiquez la politique de l’autruche. Vous avez la tête dans le sable, et vous ne voulez pas voir la réalité en face.
Dans le livre de Raf Custers, « Chasseur de matières premières », vous lisez noir sur blanc qu’il y a eu une alliance publique-privé signé entre le gouvernement des Etats-Unis et le gouvernement fantôche de Kinshasa, en novembre 2011. Et la signature de cette alliance risque de faire perdre au Congo le contrôle sur l’Ituri, le Katanga, les deux Kivu.
L’enjeu majeur des interventions des élites dominantes anglo-saxonnes en RDc est que le Congo est pour cette élite, un enjeu permanent.
Quand nous essayons d’examiner les différentes interventions de ces gens qui font partie de la communauté occidentale et de l’élite anglo-saxonne dominante, quand nous voyons ce qu’ils ont fait en Irak, en Libye, en Afghanistan, et au Soudan, on se rend compte que ces élites mentent et cachent ce qu’elles poursuivent comme objectifs dans la rhétorique défendant la démocratie, la liberté et les droits de l’homme. Est-ce qu’il n’est pas important de pouvoir renverser la vapeur en mettant ces mensonges sur la place publique au lieu de pouvoir pratique la politique de l’autruche et d’oublier ce que ces élites dominantes sont en train de faire?
Sur le viol de l’imaginaire congolais
Le viol de l’imaginaire ne se résout pas par un coup de baguette magique, il faut un travail sur le court, moyen et long terme. Ainsi ceux qui sont plus ou moins en avance dans ce travail de la recréation de l’imaginaire alternatif seront toujours attaqués par les compatriotes qui sont majoritaires mais qui ont soif de voir les guerres récurrentes, qui sont imposées par la communauté internationale, prendre fin du jour au lendemain. Or, à ce niveau, le changement est moléculaire et la vitesse ne devrait pas être confondue avec la précipitation. Nous avons aujourd’hui des jeunes qui ont compris cela.
Sur le procès Chebeya au Sénégal
Les énergies mises par les compatriotes, pour obtenir la décision de la justice sénégalaise (qui se déclare compétente sur le cas de Paul Mwilambwe) démontrent que le Congo a encore un avenir. Aujourd’hui nous pouvons être fiers d’avoir des compatriotes capables de s’engager dans des combats à long terme pour pouvoir honorer la mémoire des dignes filles et fils du Congo. Et ces compatriotes, même s’ils ne sont pas majoritaires, ils existent.
Sur Lambert Mende et le phénomène des combattants
La criminalisation des peuples qui luttent pour leur souveraineté est un fait historique. De Gaulle, par exemple, avait été classifié parmi les communistes parce qu’il avait des relais communistes en France.
Le gouvernement fantôche de Kinshasa a peur et l’injure est une manière de disqualifier des compatriotes fiers d’être congolais et qui aspirent à voir leur pays devenir un véritable état de droit, souverain. Nous n’avons pas à nous préoccuper de cette criminalisation. Toute lutte menée pour l’émancipation politique est dure et connaît parfois des moments terribles de criminalisation. Il ne faut pas se décourager pour cela.