Par Jean-Pierre Mbelu
Depuis la guerre de l’AFDL, l’ouverture de la RDC au néolibéralisme est au cœur de plusieurs rencontres au sommet. La permanence de cette guerre de basse intensité semble participer de la thérapie de choc administré à un pays aux habitants soupçonnés d’être majoritairement ‘’souverainistes’’. Les convaincre des bienfaits de l’application du ‘’consensus de Washington’’ dans la partie orientale de leur pays est une préoccupation partagée au cœur de la communauté internationale voulant à tout prix ‘’néocoloniser’’ l’Afrique et la RDC ad vitam aeternam.
Après ‘’la messe noire’’ (du jeudi 20 mars 2014) de Kingakati réunissant 500 Congolais disposés, pour un certain nombre d’entre eux, à mourir pour ‘’le rais’’ si un quidam l’empêchait d’ajouter des mandats supplémentaires aux deux frauduleux qu’il a déjà eus, une rencontre sur la gestion ‘’régulée’’ et ‘’juste’’ des matières premières a eu lieu à Goma à partir du dimanche 23 mars ; une date lourde historiquement pour le pays de Patrice Lumumba. Parmi les personnes ayant pris la parole à Goma, il y a Martin Kobler. Voici ce qu’il a (entre autres) dit selon la radio Okapi : « Il faut produire plus, vendre plus, gagner plus. L’investissement au secteur privé est une condition sine qua non du développement durable et pérenne du secteur minier dans l’Est de la RDC. » Qu’est-ce qui pousse Martin Kobler à soutenir cette contre-vérité ? La Monusco est-elle la vendeuse du ‘’consensus de Wahsington’’ fondé sur les principes de la dérégulation, de la libéralisation et de la privatisation ? Où Martin Kobler a-t-il vu la privatisation marcher de pair avec une économie régulée par l’Etat et ‘’juste’’, c’est-à-dire répondant aux exigences de la souveraineté étatique et de la justice sociale ? Comment un ressortissant d’une Europe où les transnationales occupent des pans entiers de l’espace public après avoir ravi aux Etats et aux parlements nationaux leurs compétences souveraines peut vouloir berner les Congolais(es) en leur faisant croire que ‘’la privatisation’’ a des vertus développementales durables et pérennes ?
L’Europe, elle-même, pour y avoir cru est en train d’imposer à ses citoyens des programmes d’ajustements structurels dans une austérité génératrice de la famine, de la misère et du fascisme ; les extrêmes y explosent[1] et des citoyens abandonnés à leur triste sort ne savent plus à quel saint se vouer ! Raf Custers en témoigne quand il écrit : « Chez nous aussi, on bricole frénétiquement un Etat de développement, mais celui des transnationales. L’union européenne et ses partisans dans les Etats membres imposent au peuple une politique de privatisations et de famine. Cette thérapie de choc est la variante européenne des Ajustements structurels qui ont été appliqués à l’Afrique, l’Asie, l’Amérique latine, l’Europe centrale et de l’Est. Là aussi cette politique a débouché sur l’appauvrissement de la population et l’extension démesurée des transnationales. Celles-ci font main basse sur une part de plus en plus grande du domaine public. »[2] Et elles bénéficient de l’appui de la troïka composée de la Commission européenne, du Fonds monétaire international et de la Banque centrale européenne ligués comme une seule institution contre le peuple européen. L’Espagne, la Grèce, le Portugal, etc. en paient déjà le prix. Et un prix fort. Dans ces pays, les peuples descendent dans les rues pour résister contre la destruction européenne des acquis sociaux au nom du fondamentalisme du marché. Martin Kobler propose donc à l’Est de la RDC, une recette qui a déjà échoué en Afrique et qui est en train d’échouée en Europe en créant de graves inégalités.
Depuis qu’il a parlé, aucune voix ne s’est levée, parmi ‘’les gouvernants congolais’’, pour fustiger cette contre-vérité.
Pourquoi ? L’une des raisons serait que la RDC est un ‘’Etat-manqué’’ ; et dans ‘’un Etat-manqué’’, l’application du ‘’consensus de Washington’’ conduit à une thérapie de choc dont ‘’les élites compradores’’ tirent un profit énorme. Cela d’autant plus qu’un ‘’Etat-manqué’’ ou ‘’failli’’ est le produit de l’application des politiques néolibérales par le réseau transnational de prédation auquel appartiennent lesdites élites. Dans une certaine mesure, ‘’le coup d’Etat’’ préparé à Kingakati pourrait être mis au service de l’application de la privatisation chère à Martin Kobler. Lui comme les autres parrains du pouvoir fantoche de Kinshasa sont contre ‘’l’étatisme’’, ‘’la nationalisation des entreprises publiques’’ et le contrôle sociale et stratégique de la gestion des matières premières. L’une des raisons justifiant cet état d’esprit est que ce beau monde obéit au principe selon lequel ‘’les matières premières appartiennent à toute l’humanité[3]’’. Il y en a même qui estiment qu’elles leur appartiennent et qu’elles se retrouvent ailleurs par erreur géographique.
Tout ce qui précède est un constat révélateur d’une question grave : « Qui gouverne le Congo ? » Ce pays est sous l’occupation des pays voisins et sous la tutelle de la communauté dite internationale par ‘’les chevaux de Troie’’ interposés.
Comment mettre fin à cette occupation et cette tutelle ? Ici, les compatriotes s’empoignent. Il y en a qui estiment que ‘’les chevaux de Troie’’ ayant usurpé le pouvoir après l’assassinat de Laurent-Désiré Kabila doivent être eux-aussi assassinés pour que le Congo soit finalement dirigé par ses dignes filles et fils. Pour ces compatriotes, le changement des rapports de force n’est qu’à ce prix. Pour d’autres, une justice transitionnelle réparatrice des torts causés au pays et à ses habitants peut déboucher sur un Etat de droit. Pour d’autres encore, une formation sûre et patiente des masses critiques à partir des luttes citoyennes et partisanes portées par quelques défis dont celui du respect de la souveraineté de la RDC pourraient être, à moyen terme, à la base de la refondation d’une véritable République au cœur de l’Afrique. Le débat est toujours en cours…
Comment créer des espaces où ces différentes hypothèses peuvent être débattues froidement et leurs porteurs tant soit peu identifiés ? La méfiance créée par les trahisons dont plusieurs compatriotes ont été victimes tout au long du ‘’génocide congolais’’ ne facilite pas la tâche. Ce qui est plus ou moins sûr est que plusieurs ‘’minorités organisées en conscience’’ se rencontrent, tentent des synergies, débattent et essaient, malgré les échecs et les trahisons d’avancer dans la recherche d’une meilleure orientation facilitant le renversement des rapports de force. Les médias alternatifs, au pays comme dans la diaspora, jouent un rôle important dans cette lutte d’émancipation politique. Tout ceci finira par donner naissance à un imaginaire alternatif collectivement partagé, à même de relativiser les discours des Kobler et de bien d’autres ‘’maîtres du monde’’. Une jonction avec des alliés du Nord, victimes ‘’conscientes’’ du ‘’consensus de Washington’’, peut être de quelque utilité dans cette lutte.
Mbelu Babanya Kabudi