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Joseph Kabila, ses discours qui se ressemblent et l’exploitation des masses populaires au Congo

Joseph Kabila, ses discours qui se ressemblent et l’exploitation des masses populaires au Congo

Joseph Kabila, ses discours qui se ressemblent et l’exploitation des masses populaires au Congo 1023 578 Ingeta

L’analyste politique Jean-Pierre Mbelu décrypte les discours de Joseph Kabila depuis qu’il est au Congo, à partir de son dernier discours à l’occasion de la célébration du 56ème anniversaire de l’indépendance formelle du Congo, apporte un éclairage sur la différence entre le terme politique « peuple » et les masses populaires, et expose le contenu de son livre « A quand le Congo ? » qui vient de paraître.

Sur le discours du Kabila en date du 29 juin 2016

Reprenez tous les discours de Kabila depuis qu’il est au Congo, vous verrez qu’ils se ressemblent presque tous. Ce sont des discours qui essaient de relire l’histoire de manière sélective et qui annoncent des projets d’avenir. Mais les années passent et vous n’avez pas de lieux où Kabila peut revenir pour que vous puissez échanger avec lui sur ses discours passés, vous n’avez pas de lieux où vous pouvez évaluer avec lui les projets dont il a parlé.
Si vous êtes parmi les naïfs et que vous attendez que Kabila se réveille un matin et vous dise : « je ne vais plus me représenter en 2016 », vous serez victime de votre naïveté. Parce que le processus politique dans lequel nous sommes engagés depuis 2001 est un faux. Du moment où Kabila a été imposé, et à Thabo Mbeki et aux congolais, nous devrions approfondir la question et nous demander : qui l’a imposé, et pour quels intérêts, et est-ce que ceux qui l’ont imposé aujourd’hui sont disposés à pouvoir poursuivre le travail avec lui, ou voudraient-ils trouver une pièce de rechange. Voilà où se situe le débat. Mais comme plusieurs d’entre nous ont cru qu‘avec la mascarade électorale de 2006 et de 2011, le Congo est devenu une jeune démocratie, ils voudraient nous inviter tous à croire dans ce faux processus politique. Nous disons non.
Joseph Kabila est un soldat, il est venu au cours d’une guerre raciste de prédation et de basse intensité. Il avait des missions à réaliser. Est-ce qu’il les a toutes réalisées ? Si ceux qui l’ont mis là comme soldat estiment que oui, ils sauront ce qu’ils peuvent en faire. Mais nous ne pouvons pas nous, en tant que citoyens congolais, compter sur un soldat qui a été impliqué dans un tel processus pour qu’il nous dise quand il va réellement se retirer du poste qu’il occupe comme cheval de Troie et marionnette.
Qui a écrit l’histoire du Congo en lettres de sang en se servant des autres ? Kabila est passé par les autres qui ont voulu écrire l’histoire de l’Afrique des Grands Lacs, en lettres de sang pour être là où il est. Cette relecture de l’histoire est une façon de falsifier notre histoire collective. La faiblesse de plusieurs d’entre nous est de ne pas avoir notre histoire en tête.

Sur la différence entre peuple et masses populaires

Où est-ce que Kabila rencontre le peuple congolais ? On monte des scénarios à Kalemie et à Kindu. Dans les coins les plus reculés de notre pays, nos populations n’ont ni courant électrique, ni radio, ni routes, etc. Donc quand quelqu’un veut se faire un peu de publicité, il va dans les coins reculés où les gens sont arriérés, et n’ont pas accès à une bonne formation intellectuelle pour donner la preuve qu’il est applaudi par le peuple et que le peuple est suffisamment mûr. Et puis, peuple est un mot politique qu’on ne peut pas utiliser à tort et à travers. Il y a des masses populaires qui peuvent se convertir en peuple quand en conscience et en connaissance des causes, elles connaissent leurs droits fondamentaux et libertés fondamentales. Kabila n’a pas été applaudi par le peuple, il a vu la foule. Le peuple réfléchit, le peuple pense à ses droits. Le peuple examine la façon dont ses droits et libertés sont respectés. Le peuple échange avec ses gouvernants en conscience et en connaissance de cause.
Il y a cette confusion, entre peuple et masses populaire, entretenue par les politicards au Congo et en Afrique, parce qu’ils savent qu’il n’y a pas d’éducation et que nos masses populaires vivent dans l’obscurité qui créent l’obscurantisme. Et ils s’en servent comme marchepied, comme tremplin pour soutenir leur discours qui falsifie l’histoire.

Sur la légitimité de Kabila

Il n’y a pas de légitimité dans un Etat failli, manqué. Les gouvernants congolais ont perdu leur légitimité politique avec l’assassinat de Lumumba et encore plus, avec le coup d’Etat de Mobutu en 1965. Depuis lors le Congo n’a jamais eu de gouvernants légitimes. Joseph Kabila n’a aucune légitimité politique, aucune légitimité populaire.
Ne nous laissons pas leurrer par ce qui s’est passé au Congo-Brazzaville. Le Congo-Brazza est une chasse gardée de la France. Il fait partie des 15 pays de l’Afrique dont la monnaie est bâtie par la France. Ce n’est pas un pays souverain.
Le jour où Kabila sentira qu’il n’a plus tellement l’appui de l’extérieur, il va rendre le tablier rapidement. Le Congo est un pays aux enjeux énormes. Même quand nous avons l’impression qu’il y a des pressions extérieures, il y a toujours par ci, par là, des hommes et des femmes, qui se lèvent parmi les parrains pour dire, est-ce qu’on ne pourrait pas encore le laisser. Quand ils décideront qu’il va partir, il partira. Parce que le fait qu’il soit là ne dépend pas des masses critiques congolaises. Kabila est un soldat. Il est formé pour mourir au front.

Sur le monde multipolaire

Le monde est devenu multipolaire. Nous n’avons pas à entretenir une pensée coloniale et néocoloniale en croyant qu’il appartient à nos ex-colons de pouvoir nous sortir du néocolonialisme… Quand Lumumba s’est rendu compte qu’il avait été trahi et de l’intérieur et de l’extérieur, il a écrit une lettre à sa compagne Pauline dans laquelle il rappelait que nous congolais nous ne sommes pas seuls. Comment se fait-il que nous n’ouvrons pas les yeux pour voir que ceux avec qui nous nous retrouvions comme des peuples humiliés et méprisés sont en train de prendre leur envol. La Russie, avec Poutine, renaît de ses cendres. Et s’associe avec d’autres peuples. Elle est dans l’organisation de la coopération de Shanghai. Elle est dans les BRICS. Idem pour la Chine.

Sur le leadership congolais

Le leadership qui va tirer le pays par le haut viendra d’abord de la victoire dans la bataille pour les idées. Ce leadership est en train de naître, il est là. Ce leadership a compris que sans la maîtrise des idées essentielles on ne peut pas gérer un pays comme le Congo au cœur de l’Afrique. Les grands changements sont souvent moléculaires. Ce leadership est en train de naître et de s’imposer, mais cela prend du temps. Parce que ceux qui sont en face de nous, de ce leadership, ne croisent pas les bras.

Sur le livre « A quand le Congo »

Il y a une diversité d’approche pour sortir le Congo du bourbier dans lequel il se trouve. Là notre est que demain, un leadership composé d’élites organiques et structurantes s’appuyant sur les masses populaires pourra travailler avec ces masses populaires pour en faire des masses critiques, afin de pouvoir renverser les rapports de force et chercher à diversifier les partenariats extérieurs en allant surtout vers les pays qui respectent , tant soit peu, le droit des autres à l’autodétermination, la souveraineté, la réciprocité dans les relations et l’égale souveraineté.
« A quand le Congo ? » est une approche de nous-mêmes et de l’autre. L’autre, celui qui est venu chez nous, a-t-il réussi à faire de nous une rencontre ou une malencontre ? Qu’est-ce que cette malencontre a produit ? La décivilisation. Comment pouvons-nous nous réciviliser ?
Ce livre essaie de ramasser le plus de documents possibles.
Le livre s’adresse surtout aux congolais surtout. Aux jeunes congolais, aux acteurs politiques et élites intellectuelles, qui voudraient avoir une autre approche des choses telles qu’elles sont en train de se passer dans notre pays.
« A quand le Congo ? » est une boîte à idées qui essaie de nous faire avancer dans une approche d’un autre Congo et d’une autre Afrique: Ce livre, c’est pour créer une citoyenneté et une identité congolaise ; inventer un nouvel imaginaire ; travailler au panafricanisme des peuples en réussissant une intégration à la fois politique, économique, culturelle et sociale.

Sur la culture du débat au Congo

Débattre, ça s’apprend. Nous, nous croyons, parce que nous avons été à l’école, nous avons approfondi l’art du débat. C’est faux. On peut même apprendre en débattant. Au fur et à mesure que le débat s’engage, nous apprenons à écouter les autres, à argumenter et à faire des concessions. Voilà pourquoi, au cœur de l’Etat social, que nous nous appelons de tous nos vœux, nous estimons que le conflit non meurtrier devrait faire partie de la matrice organisationnelle de la société. La politique ne peut avancer que s’il y a l’espace de contradiction, de désaccord. Parce que nous sommes différents et qu’en étant différents, nous ne pouvons pas penser de la même façon. Mais parce que nous sommes différents, que nous pouvons faire la politique en réussissant par exemple à créer des consensus provisoires.
Mais ne nous voilons pas la face. Nous avons versé dans le culte de la personnalité pendant au moins 32 ans. Nous avons applaudi un même individu pendant plus de 3 décennies, et on n’en sort pas facilement. Nous critiquons beaucoup ce qui se passe en Occident, mais l’Occident a encore ce côté positif qu’il a encore des espaces de débats. Regardez Michel Collon, par exemple, il est attaqué par beaucoup de ses compatriotes parce que son discours ne plait pas à plusieurs d’entre eux, mais je l’ai vu prendre la parole au parlement européen à deux reprises.

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