L’analyste politique Jean-Pierre Mbelu décrypte les dangers de l’instrumentalisation de la question ethnique, expose le fonctionnement du réseau transnational de prédation qui sévit au Congo, souligne comment la criminalité a été instituée en mode d’accès à la richesse et à la citoyenneté congolaise et explique pourquoi l’ONU laisse perdurer cette situation de guerre permanente au Congo, malgré la multitude de rapport qu’elle produit.
Sur la question ethnique au Congo
Il y a un piège que nous devons réussir à déjouer. Dès que l’on fait, de ce qui se passe dans notre pays, le problème de telle ou telle autre ethnie, on oublie que le repli identitaire ou communautaire sont les conséquences de la guerre de basse intensité qui sévit dans notre pays, de l’explosion des inégalités des chances. Et on prend les conséquences pour les causes.
Depuis que la guerre a commencé, il est important d’étudier de près le fonctionnement du réseau transnational de prédation qui a en son sein, non simplement, quelques têtes d’une ethnie que ce soit, mais les hommes et les femmes de notre pays, toutes les ethnies confondues, avec d’autres acteurs, en Afrique et en dehors de l’Afrique.
Sur le fonctionnement du réseau transnational
Le fonctionnement du réseau transnational dans notre pays n’est pas ethnique. Il se fonde sur la prédation. Il est indispensable de comprendre cela, sinon nous risquons de croire qu’il y a une guerre entre certaines ethnies, qu’il y a une opposition entre les élites prédatrices de certaines ethnies contre les élites des autres ethnies. Non. Ces gens fonctionnent ensemble dans un réseau.
Nous risquons de croire qu’au Congo, il y a des privilèges accordés à telle ou telle ethnie en défaveur d’une autre. Mais quand vous analysez de près le fonctionnement du réseau, vous remarquez que toutes les ethnies ou presque sont représentés, mais à différents niveaux de fonctionnement du réseau.
Lorsque vous regardez le documentaire, « Foccart, l’homme qui dirigeait l’Afrique », vous voyez par exemple que le Général de Gaulle a aidé Moise Tshombé pour qu’il puisse résister aux casques bleus de l’ONU parce que la France voulait se substituer à la Belgique et prendre le Congo dans son pré carré. Il faut être au fait de ces enjeux internationaux et géopolitiques et ne pas se limiter à ce que nous voyons. Et il arrive que le fait de s’appuyer sur une ethnie ou une tribu, soit lié à la manipulation de l’ethnie ou de la tribu par les tireurs de ficelle que nous ne voyons pas toujours.
Sur la nécessité d’un contrat social au Congo
Si nous voulons fonder ou refonder la nation congolaise demain. Nous devrions partir d’un contrat social. Un Etat, une nation, n’est pas uniquement le prolongement des identités culturelles, ethniques ou tribales. Un Etat, c’est d’abord, un ensemble de règles, que les fils et filles du pays se fixent pour pouvoir promouvoir un vivre ensemble harmonieux.
Ce contrat social peut être lisible à travers une constitution, par exemple. C’est la raison pour laquelle certains pays, après s’être débarrassés de leurs élites néocolonialistes ou compradores, s’efforcent d’abord à mettre sur pied une assemblée constituante impliquant les masses populaires pour que cette constituante puisse édicter des règles qui permettent un vivre ensemble tant soit peu harmonieux.
Sur la nécessité de rompre avec certaines croyances
L’idée n’est pas dire qu’il n’y a pas de groupes tribaux ou ethniques qui essaient de faire croire que ce sont eux qui tiennent les rênes du pouvoir fantôche de Kinshasa. Cependant, il est important de creuser davantage pour voir qui tire les ficelles. Ensuite, nous devons pouvoir étudier ce mode de fonctionnement pour en connaître d’autres auteurs, qui font partie d’autres ethnies et d’autres tribus, et nous ne pouvons pas réduire le fonctionnement de ce système à la prédominance de telle ou telle ethnie. Voilà pourquoi l’école et l’université doivent être refondées comme lieu où la nouvelle société doit s’apprendre.
Sur la criminalité et l’accès à la richesse et à la citoyenneté congolaise
Il y a un mode de fonctionnement des milices au Congo aujourd’hui qui leur permet, à un certain moment, d’intégrer les institutions et structures étatiques. Cela a été le cas avec l’AFDL, avec le RCD, avec le MLC, avec le CNDP. C’est le cas, présentement, avec le M23. Et cela pourra être le cas demain avec les Bakata Katanga. Tout cela signifie que la criminalité a été instituée, officieusement au Congo, comme mode d’accès à la richesse et à la citoyenneté congolaise.
Si pour ceux qui vivent de la culture de la violence et du meurtre, cette voie là est l’unique voie, pour accéder à la richesse, au « respect », et à la citoyenneté congolaise, comme l’impunité est instaurée au cœur de l’Afrique, n’importe qui peut à n’importe quel moment recourir aux armes pour pouvoir faire ce que les autres ont fait.
Le problème le plus crucial est celui de l’impunité qui perdure depuis la guerre de l’AFDL.
Sur le rôle des Nations-Unies et leurs multiples rapports
La multiplication de ces rapports n’apporte rien au Congo. Pas même un minimum de justice. On nous rétorquera qu’il n’appartient pas aux experts de l’ONU de restaurer la justice au Congo, mais il est quand même supposé que l’ONU en tant qu’institution internationale devrait veiller au retour de la paix au Congo. Mais ce n’est pas le cas. Nous avons de plus en plus de preuves que l’ONU se sert là où il y a la guerre. Quelles raisons l’ONU pourrait-elle mettre en avant pour mettre fin à l’exploitation éhontée des matières premières ?
L’ONU a signé des accords avec des entreprises multinationales pour une cotisation minimale de 50000 dollars qui leurs permet d’être associées aux programmes de l’institution. C’est-à-dire que l’ONU s’est ouverte aux entreprises privées et prône la généralisation des partenariats publics privés.
Or, en novembre 2011, un partenariat public privé a été signé au Congo entre Kinshasa et 21 entreprises privées. Ainsi laisser perdurer cette situation de guerre au Congo permet à l’ONU de pouvoir bénéficier des dividendes de la guerre. Dans le cas contraire avec les moyens dont elle dispose, elle aurait créé un tribunal pénal pour le Congo et aurait mis fin à cette guerre là.
L’ONU bénéficie de cette guerre et n’a aucun intérêt à y mettre fin. Elle rédige, en plus, des rapports, comme ce dernier rapport, qui permet à la guerre de perdurer. Tout est fait pour piller le Congo, les ressources de son sous-sol pour exterminer sa population et faire main basse sur le pays et au besoin, conduire à son implosion.
Nous avons intérêt à lire, à nous informer, à fouiner dans les livres qui nous disent comment les choses sont organisées, à pouvoir partager cela le plus possible. Mais nous devons aussi pouvoir nous décider à mener des actions en ayant des preuves à l’appui pour pouvoir mettre fin à cette impunité et à ce carnage qui n’a fait que trop durer.
Sur l’enquête autour de la mort de Ndala
Depuis la guerre de l’AFDL, quelle est cette enquête qui a déjà été menée et qui a abouti ? Il n’y en a pas. Et dans un contexte où les mercenaires essaient de tuer le plus qu’ils peuvent pour pouvoir étouffer dans l’œuf, toute résistance ou tout patriotisme congolais, nous ne pouvons pas nous imaginer un seul instant qu’une enquête digne de ce nom, puisse être menée et aboutir.
Faire aboutir une enquête, c’est couper la branche sur laquelle ces mercenaires sont assis. Cette brancher, c’est : Tuer, créer la peur, exterminer.