Source: Infoguerre.fr. Publié le 22 juillet 2002.
Cette fiche fait le point sur les opérations de désinformation utilisées lors des événements politiques et militaires intervenus au Zaïre, entre août 1996 et mai 1997. Elle met en outre en lumière l’ampleur des stratégies de guerre psychologique développées par M. Kabila et ses alliés régionaux (Rwanda, Ouganda, Angola), voire internationaux (Etats-Unis) contre le pouvoir mobutiste zaïrois.
I – Introduction: un contexte régional crisogène
Les événements militaires zaïrois ne peuvent être dissociés du contexte régional extrêmement instable qui prévalait dans la période 1996-97. L’embrasement du Kivu, région située à la frontière du Zaïre, du Rwanda, de l’Ouganda et du Burundi était, dans une grande mesure, la conséquence logique d’une situation sécuritaire de plus en plus incontrôlable pour les voisins orientaux de Kinshasa. Kigali, Kampala et Bujumbura subissaient, en effet, les incursions répétées de leurs oppositions armées respectives réfugiées dans l’Est zaïrois et souhaitaient, pour y parer, mettre en place un glacis stratégique sur leur frontière orientale. Au delà de ce souci sécuritaire, les régimes rwandais et ougandais ont aussi vu dans l’explosion du Kivu une opportunité pour déstabiliser un pouvoir mobutiste jugé corrompu et anachronique.
Orientés en grande partie autour du Kivu, province agricole riche et convoitée, les affrontements zaïrois s’inscrivent dans un contexte régional plus large. Il est marqué par trois conflits dans lesquels le Zaïre était, à des degrés divers, indirectement impliqué : le conflit des Grands lacs (Rwanda, Burundi, Ouganda) où les rébellions Hutii utilisaient l’Est zaïrois comme base arrière; le conflit soudanais (Ouganda, Ethiopie, Erythrée, Soudan), où Kinshasa apparaissait comme un allié objectif du régime islamiste soudanais; le conflit angolais enfin, où Mobutu offrait à l’opposition armée angolaise de l’UNITA (Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola) des facilités à la fois militaires (bases arrières) et financières (trafic du diamant angolais). Ce contexte régional extrêmement instable, dont le Zaïre apparaissait pour ses voisins comme l’épicentre, a donc favorisé l’émergence d’une coalition informelle contre Mobutu réunissant, à travers des intérêts convergents, le Rwanda, l’Ouganda, le Burundi, la Tanzanie, l’Angola, la Zambie, le Zimbabwe et l’Afrique du Sud.
II – Les opérations de guerre psychologique.
2.1 les acteurs
- L’Alliance des Forces démocratiques de libération du Congo-Zaïre (AFDL)
L’AFDL est une coalition qui regroupe des partis de l’ancienne mouvance lumumbiste (nationaliste) et des mouvements à caractère ethno-régionaliste. Elle s’est élargie, en octobre 1996, avec l’incorporation du parti formé par les Tutsi du Sud-Kivu (Banyamulenge). L’Alliance est indissociable de son leader charismatique, M. Laurent Désiré KABILA. Originaire du Katanga, révolutionnaire dès les premières heures de l’indépendance congolaise, Kabila ne jouait plus aucun rôle politique majeur au Zaïre depuis les années soixante. Petit chef de guerre à la tête d’une centaine d’hommes, trafiquant d’or, de diamants,d’ivoire et d’armes, ses contacts permanents avec le président ougandais Museveni, depuis leur rencontre dans les années soixante-dix en Tanzanie, lui ont permis de devenir le porte-étendard idéal de l’Alliance. Nommé coordinateur du mouvement en octobre 1996 (soit un mois après le début de l’offensive), son aura et sa personnalité font de lui le « libérateur » parfait. A ce titre, il sera instrumentalisé par ses parrains ougando-rwandais qui pourront ainsi masquer leur ingérence directe dans le conflit derrière la nature « zairo-zairoise » du conflit.
- le tandem rwando-ougandais
Les dirigeants rwandais (M. Kagamé) et ougandais (M. Museveni) sont liés par une proximité ethnique (groupe Hima-Tutsi) et de lutte politico-militaire (prise de pouvoir par la force, en 1986 pour Museveni, 1994 pour Kagamé). Tous deux anciens chefs de guérilla et leaders afro-progressistes, ils partageaient des intérêts communs à la chute de Mobutu.
- L’Angola
Le rôle de l’Angola dans la chute du régime mobutiste, a été important au niveau diplomatique, grâce, entre autre, à son action politique vis à vis du Zaïre. Luanda a caché son intervention jusqu’en janvier 1997 en signant, le 21 décembre 1996, un accord de normalisation des relations avec Kinshasa. L’Angola et le Zaïre renonçaient, au moins pour un temps, aux manoeuvres de déstabilisation réciproques. Cette habileté a occulter, pendant une période importante, leur implication dans l’AFDL, a permis aux angolais de n’apparaître qu’en filigrane dans l’apport militaire à l’Alliance, alors que leurs actions au Katanga (ex-Shaba) et lors de la chute de Kinshasa se sont montrées déterminantes. Tout comme le Rwanda, l’Angola a su masquer son intervention militaire directe par l’intermédiaire des Gendarmes katangais, Zaïrois chassés de la province du Katanga (sudouest du Zaïre) lors de leur tentative d’indépendance (1960) et réfugiés depuis en Angola.
2.2 les opérations de guerre psychologigue
La progression très rapide des forces de l’AFDL s’est accompagnée d’une campagne de désinformation en amont extrêmement poussée tant au plan régional qu’international.
L’AFDL est une création ougando-rwandaise qui visait à donner à l’opération militaire au Kivu une couverture locale. La présence et l’utilisation de Kabila permettait de maintenir l’illusion selon laquelle la crise n’était qu’une révolte du peuple zaïrois. Enfait, il semblerait que cette opération faisait partie dune stratégie de conquête mise au point par le Rivanda et l’Ouganda dès 1995.
- L’utilisation de l’argument ethnique: le cas banyamulenge
Une fois la légitimité politique (mouvement de libération nationale) de l’Alliance mise au point, celle-ci pouvait commencer à se consacrer à la phase préparatoire de l’offensive. Cette préparation a eu une perspective essentiellement psychologique dont l’objectif était d’une part, de jeter le discrédit sur la politique zaïroise et, d’autre part, de créer l’étincelle qui permettrait l’embrasement de la région. A cette fin les Rwandais ont infiltrés des soldats de l’ethnie Batiyamulenge(Tutsi zaïrois du sud Kivu) au coeur même du Kivu. Ceux-ci ont alors commis des exactions à l’encontre des réfugiés hutus rwandais et des autochtones provenant d’autre ethnies que la leur (Bavira). Les FAZ(Forces Armées Zaïroises.) sont intervenus dans un premier temps pour tenter de rétablir un semblant de sécurité, avant de s’en prendre à leur tour aux Banyamulenge, après avoir reçu l’ordre du gouverneur du Kivu de les chasser de la région. Les Rwandais ont utilisé le prétexte de cette répression des FAZ pour justifier leur intervention. Ils ont créé un mythe autour de cette ethnie amalgamée, pour l’opinion internationale, à l’ensemble de la population du Kivu. En fait, les Banyamulenge ne représentaient que 200 000 personnes, soit à peine 3% de la population de la région (0.5% de la population zaïroise). Les FAZ ont alors été assimilées en tant que « tueurs de Banyamulenge », procédé psychologique qui est, d’ailleurs, à mettre en parallèle avec la méthode utilisée par le FPR (Front Patriotique Rwandais.) au Rwanda en 1994, assimilant les Hutus aux génocideurs. La diabolisation des FAZ dans le pays autorisait du même coup à présenter les forces de l’AFDL en libérateurs, dès le lancement de l’offensive.
- la maîtrise locale et internationale des médias
Pendant toute la crise, les forces de l’AFDL se sont efforcées de contrôler les médias et leur impact sur l’opinion international avec deux objectifs essentiels: maintenir leur avantage psychologique acquis après « l’affaire » des Banyamulenge et contrôler toute critique néfaste à leur avancée sur Kinshasa. Dans cette optique, l’AFDL a organisée des campagnes de presse à destination des médias internationaux. Les premiers reportages de CNN montraient des réfugiés souvent bien portants, ce qui peut surprendre si l’on considère qu’ils sont censés avoir marché des dizaines de kilomètres sans se nourrir, et s’exprimant en anglais (qui n’est pas la langue la plus communément parlée par les réfugiés hutus). Au moins un réfugié interrogé sur CNN était même d’origine tutsie. L’expérience acquise par l’APR au Rwanda depuis 1994, ainsi que la dénonciation systématique d’une remontée en puissance des ex-FAR (Forces armées rwandaises, troupes de l’ancien régime Hutu rwandais) et des risques de nouveaux massacres, voire de génocides, en découlant, a porté ses fruits. L’AFDL a manipulé dans son sens l’ensemble des médias internationaux en focalisant leur attention sur le problème des réfugiés. Cette victoire médiatique marquait le point final à une guerre de propagande commencée plusieurs mois auparavant par l’APR, avant la formation de l’AFDL. De la diabolisation des ex-FAR à la libération des camps de réfugiés du Kivu par les hommes de Kabila, la gestion des médias par l’APR-AFDL s’est déroulée de manière professionnelle. Il existait au sein de l’AFDL une véritable cellule de presse dirigée par des conseillers médiatiques spécialisés les uns pour la presse écrite les autres pour la presse audiovisuelle. Cette méthode rigoureuse de suivi de l’information se montra d’autant plus efficace qu’une telle structure n’existait pas du côté zaïrois. Ayant tirée les leçons du génocide rwandais de 1994, en particulier de l’impact des radios sur la population (cas de la Radio des milles collines), l’AFDL a mis en place une radio qui représentait le seul outil médiatique accessible sur le terrain. Ses émissions ont été lancées d’abord depuis deux émetteurs situés au Rwanda (Cyangugu et Gisenyi), puis depuis les villes zaïroises de Goma, Bukavu et Bunia. Les rebelles ont exercé un contrôle total sur ce moyen, de sorte qu’aucune autre information ne pouvait arriver dans la province du Kivu.
L’outil médiatique a servi aux hommes de Kabila dans le cadre de la gestion des réfugiés hutus. La conduite du problème des réfugiés devait se faire le plus rapidement possible afin de contrer une éventuelle intervention des Nations-Unies au Zaïre qui risquait indirectement d’interrompre la progression des rebelles. Dans un premier temps, les troupes de l’Alliance ont vidé les camps par la force. Les rebelles ont ensuite cherché à rabattre une partie des réfugiés vers le Rwanda en les affamant. Avec les premiers retours, le gouvernement de Kigali a entreprit ses actions diplomatiques à l’égard de la communauté internationale en déclarant que la grande majorité avait été rapatriée et qu’il n’était dès lors, plus nécessaire d’envoyer une force d’interposition dans la région. Pour étayer ces affirmations, le Rwanda a ouvertement surévalué leur nombre. Kigali s’est ainsi offert une marge d’erreur qui a camouflé la disparition et, implicitement, la mort d’une bonne partie des réfugiés. Le premier jour, les Rwandais ont déclaré que 500 000 hutus rwandais étaient de retour alors qu’à peine 300 000 avaient passé la frontière. Dans la nuit du 13 au 14 novembre 1996, les forces de l’AFDL ont attaqué les camps de la zone de Mugunga Sake où stationnaient près de 750 000 réfugiés.
Entre 200 et 250 000 d’entre eux semblent s’être dirigés vers la frontière rwandaise mais 400 000 ont fui vers l’ouest ou, pour la moitié d’entre eux, ont été massacrés. L’AFDL a nié leur existence et la marge prise dans la comptabilité des retours a couvert ce déficit au yeux de l’opinion internationale. Cette soustraction a entraimé, de facto, la dissolution de la force multinationale d’interposition, le 14 décembre 1996. Aujourd’hui, on peut considérer qu’entre 200 000 à 250 000 réfugiés hutus ont disparu pendant la progression de l’AFDL.
III – Utilisation tactigue de la désinformation et de la guerre Psychologique
3.1: l’Alliance maîtrise les cartes de l’offensive
La phase préparatoire des opérations de l’AFDL a débuté avec l’infiltration de commandos pilotés par PAPR au Kivu, dès la mi – octobre 1996. L’objectif militaire consistait à créer une zone d’insécurité permanente avant le déclenchement de l’offensive, puis d’attaquer l’arrière des défenses zaïroise lors de la progression des rebelles. Ce , procédé est une technique qui avait été utilisée, avec succès, par le FPR au Rwanda en 1994 Lorsque cette tactique de guérilla ne permettait plus l’infiltration et le débordement du dispositif adverse, des combats frontaux voyaient l’engagement en force d’unités constituées rwandaises. Ce fut notamment le cas à Goma, où l’APR a participé directement à la prise de cette ville, dont l’aéroport était à portée de son artillerie, afin d’empêcher que cette position stratégique ne devienne la plaque tournante d’une éventuelle intervention humanitaire.
La désinformation a caché la plupart des actions des contingents étrangers pendant toute la phase de déstabilisation des camps du Kivu. Le Rwanda et l’Ouganda ont déclaré conjointement que leurs armées n’étaient jamais rentrées au Zaïre et que seul des déserteurs avaient porté assistance aux Banyaniulenge et aux Ngilima (Nord Kivu). D’autres implications rwando -ougandaises plus directes ont été relevées à cette époque, notamment des combats contre la Division spéciale présidentielle (DSP) du maréchal Mobutu. L’utilisation d’uniformes communs (treillis camouflés, bottes) dépourvus de tout marquages d’unités a permis d’intégrer discrètement les contingents nonzaïrois, tout en renforçant l’effet de masse que peut dégager une troupe disciplinée et uniformisée, en particulier dans un contexte africain.
Au résultat, les FAZ ont été les premières victimes de la guerre psychologique mise en place par les rebelles. L’incapacité des troupes gouvernementales à riposter à la propagande de l’AFDL, ainsi que leur discrédit auprès de la population, a eu raison du peu de capacité opérationnelle dont faisait preuve l’armée zaïroise. La désinformation a exécuté un travail de sape envers les populations civiles et militaires du Kivu, au travers de l’utilisation de techniques visant à créer un sentiment d’infériorité vis à vis des hommes de Kabila. Ce fut, par exemple, le cas de la surestimation des moyens militaires de l’AFDL qui fut largement diffusée auprès de la population et des forces armées zaïroises. Elle s’est accompagnée d’une politique de propagation de rumeurs afin de désorganiser le repli des FAZ. C’est ainsi qu’en février 1997 avait été annoncé la chute de la ville de Punia située à 300 kilomètres de la ligne de front, à l’époque au sud de Kisangani.
La désorganisation, l’inaptitude au combat et le manque de moyens ont accéléré la démotivation des FAZ. Bon nombre d’officiers, soucieux de préserver leurs acquis et attirés par l’appât du gain, vendaient tout, de leurs armes individuelles et collectives à leurs dispositifs de combat. La désinformation sur le terrain a accéléré l’effondrement de la résistance zaïroise et a permis aux forces régulières du Rwanda de l’Ouganda et de l’Angola de combattre en toute discrétion derrière le paravent des jeunes recrues de l’AFDL.
Enfin, un dernier cas concret de l’utilisation tactique de la désinformation peut être apporté avec les menaces diffusées par la rébellion Banyamulenge à l’encontre d’une éventuelle force d’interposition internationale. Visant à éviter le déploiement d’une force capable, par sa seule présence, d’entraver la progression militaire de l’Alliance, des rumeurs ont circulé concernant la possibilité d’attaques terroristes, en particulier contre un éventuel contingent français. Ces menaces comprenaient notamment le sabotage des lignes logistiques, l’attaque de cantonnements de la force multinationale et la destruction en vol par missiles antiaériens (SAM-7) d’avions de transport. Au delà de l’objectif militaire, ces opérations de harcèlement auraient eu pour but de saper, par leur retentissement médiatique spectaculaire, la détermination d’une communauté internationale soucieuse de ne pas reproduire les traumatismes de l’opération Restore Hope (Somalie, 1992).
3.2 le cas des mercenaires
Autre aspect de la désinformation tactique, la diabolisation des mercenaires occidentaux engagés dans le conflit a basculé en faveur de l’AFDL. Bien qu’il existait des mercenaires dans les deux camps, seuls les hommes engagés du côté de Mobutu ont ouvertement été dénoncés. Leurs résultats tactiques se sont montrés d’un intérêt très relatif mais leur présence a justifié la levée de boucliers diplomatiques au sein de la communauté internationale à l’encontre de Kinshasa. Mobutu comptait dans ses rangs trois groupes de mercenaires: une centaine de Serbes basés à Kisangani, une trentaine d’occidentaux (Français, Belges, Italiens … ) et quelques Russes ou Ukrainiens (essentiellement des pilotes d’aéronefs). Les Serbes n’ont jamais pu combattre et se sont repliés, rappelés par Belgrade 4 le 14 mars 1997. D’autres groupes, essentiellement français et belges, devaient rejoindre les occidentaux pour pallier à ce départ, mais l’accélération de la déroute des FAZ en a décidé autrement. PAFDL disposait d’une proportion équivalente de mercenaires: des contingents africains aguerris (Ougandais, Rwandais, Erythréens), une trentaine d’Américains sans doute de l’officine privée ONOEGA ainsi que des pilotes d’aéronefs anglo-saxons et russes. Engagés uniquement dans des opérations de soutien logistique (pont aérien), ces mercenaires « blancs »de l’Alliance n’ont cependant pas participé directement au combat.
IV – Rôle des USA
Sans tomber dans un tropisme anti-américain, force est de reconnaître que le soutien discret, voire occulte, que Washington a apporté aux opérations de l’AFDL et du tandem rwando-ougandais s’est révélé déterminant, en particulier dans le domaine de la formation militaire. Le fait que le Département de la défense (DoD) ait à répondre, à la mi-97, de ses activités zaïroises devant une commission parlementaire témoigne de l’ampleur du soutien américain. Les Etats-Unis ont fourni aux forces de l’AFDL une légitimité politique par un soutien diplomatique, notamment via un intense lobbying pro-rwandais au Conseil de sécurité de l’ONU, renforcé d’un soutien militaire discret qui regroupait un ensemble de moyens déployés sur les bases arrières de l’AFDL, au Rwanda.
4.1-activités diplomatiques et politiques américaines
La forte présence diplomatique américaine dans la région est la conséquence de la politique instaurée par Washington depuis la fin de la Guerre froide. Ayant prudemment rompu, en 1991, les ponts avec un régime mobutiste qui avait perdu’ son importance stratégique de la confrontation Est-Ouest, les Etats-Unis ont développé un programme de coopération visant à prendre pied dans la région des Grands lacs. L’Ouganda et, dans une moindre mesure, le Rwanda, ont ainsi bénéficié d’un soutien diplomatique et financier américain. Il est, de plus, à remarquer que certains dirigeants de l’Alliance sont issus du système universitaire anglo-saxon, comme MM. Kongolo Muenzé et Mawa Panga, respectivement ministres de la justice et de l’agriculture de l’actuel gouvernement de la toute jeune République démocratique du Congo (RDC)…
Pendant toute la crise au Zaïre, les Etats-Unis ont pratiqué un double jeu politique pour atteindre leur objectif :
- ils ont soutenu le pouvoir Mobutu à travers l’engagement de la CIA, chargée de restructurer les services de renseignement des FAZ (réhabilitation du centre d’écoute de Kisangani) alors que parallèlement, les Special Forces américaines avaient formé les unités rwandaises combattant aux cotés des rebelles de Kabila,
- certaines entreprises américaines ont signé des contrats commerciaux avec le régime Mobutu tout en contactant les hommes de Kabila pour des contrats similaires. C’est le cas de la société Barrick Gold Company, qui a bénéficié d’une concession de 83 000 km 2 dans le haut-Zaïre reconduite par M. Kabila. (La Barrick Gold Co est une société canadienne dont le comité de direction compte parmi ses cadres 3 anciens directeurs de la CIA : l’ex – président George Bush, Richard Helms, et M. Gates).
- L’ambassadeur américain à Kinshasa a accusé le Rwanda et l’Ouganda d’avoir agressé le Zaïre en soutenant la rébellion (déclaration du 11/01/97 à la télévision zaïroise) pendant que le gouvernement américain couvrait les incursions ainsi que le soutien de l’APR et de l’UPDF (forces armées ougandaises) aux rebelles, en prétextant dès le début du conflit qu’il ne s’agissait que « d’unités locales non constituées ». Ce n’est que lorsqu’ il est devenu impossible d’occulter les ingérences rwando-ougandaises dans le conflit que Washington a demandé officiellement le retrait de toutes les forces étrangères du Zaïre y compris les mercenaires (sous entendu français et serbes). La centaine de mercenaires serbes postée à Kisangani s’est ainsi repliée sans combattre, conséquence d’une pression diplomatique directe des Américains sur Belgrade.
Avec l’annulation de l’envoi de la force internationale d’interposition, l’habileté politique de l’administration Clinton a consisté à donner l’image d’une volonté de participation à l’intervention onusienne (réunions militaires de Stuttgart), tout en mettant en exergue des déclarations gouvernementales rwandaises relatives au bon retour de plus de 500 000 réfugiés du Kivu. Le retrait, avant même sa mise en place, du plan d’intervention de l’ONU permettra ainsi aux rebelles de pousser rapidement leur progression vers le centre du Zaïre et de développer leur contrôle militaire jusque là limité essentiellement à l’est du pays.
4.2 activités militaires américaines
Les moyens militaires américains sur le terrain ont eu pour mission de soutenir l’action stratégique de la diplomatie de Washington. A cette fin, deux outils militaires ont été utilisés
- l’officine privée de sécurité américaine MPRI (Military Professional Resources Incorporated), qui permet à Washington, à l’instar de la firme OM[EGA, d’apporter un soutien militaire discret et non officiel à des alliés diplomatiquement « encombrants ». MPRI est l’équivalent américain de la société sud-africaine Executive Outcome.
- le programme de coopération militaire IMET (International Military Education Training). Cette structure comprend deux volets: l’un directement militaire et sous la direction des Forces spéciales américaines (US Special Operation Forces-S0F), l’autre à vocation civile, le CIMIC (Civilian Military Corporation ou Civil Affairs).
Les Special Forces, qui restent les seules unités américaines bénéficiant d’une véritable connaissance pratique de l’Afrique, sont les principaux instruments d’action des Etats-Unis dans la région. La plupart des conseillers et spécialistes militaires américains déployés en Afrique appartiennent de près ou de loin aux SOF. Cette présence permet d’avoir des personnels polyvalents disposant d’une capacité propre à leur spécialité, doublée d’une formation au renseignement. Leur efficacité est renforcée par une bonne collaboration entre les différents services (CIA, DIA). Dans la région des Grands lacs, les 12 à 20 instructeurs SOF basés au Rwanda entre 1996 et 97 ont eu pour mission de :
- former les combattants Banyamulenge (Tutsi Zairois du Kivu) au camp rwandais de Gako au sud de Kigali, camp utilisé à l’origine pour l’entraînement des troupes de l’APR. L’instruction officieuse des Banyamulenges s’est faite dans le cadre de l’assistance américaine au Rwanda. Les instructeurs américains ont, de même, dispensé au profit de l’Armée patriotique rwandaise (APR) une formation civilo- militaire axée sur le contrôle des population et la gestion des réfugiés.
- soutenir la politique de désinformation de l’AFDL sur le terrain avec l’aide des PSYOPS (Psychological Operation Groups) stationnés au Rwanda et en Ouganda. Les PSYOPS ont géré les actions psychologiques avant, pendant et après les combats. Ils ont aidé à la diffusion d’informations par le biais de radios locales et de moyens aériens (largage de prospectus ou de petites radios portables).
- supporter l’offensive de l’AFDL dans le domaine du renseignement, de la planification et de la logistique. Trois conseillers militaires américains, dont l’attaché de défense et ex-n°2 de la DIA en Afrique, M. Richard ORTH, ont ainsi participé aux planifications de l’Etat- major de l’AFDL.
Le CIMIC regroupe l’ensemble des mesures civiles d’accompagnement d’une opération militaire. Bien qu’à vocation principalement politique, le CIMIC administre également l’aspect médiatique de la crise (maîtrise de l’information) avec l’assistance des forces spéciales. Dernier aspect de l’implication des Civil Affairs au Zaïre, les liens qu’ils entretiennent avec les ONG anglo-saxonnes sous tutelle discrète de Washington. C’était le cas de USCR (US Commitee for Refugees) et d’IRC (International Rescue Commitee) dont les liens étroits avec la CIA auraient permis l’installation de pièces de D.C.A. à Bukavu et à Goma. IRC aurait aussi organisé le paiement, sous forme de nourriture, du premier salaire des fonctionnaires de la nouvelle administration congolaise à Bukavu.
Le réseau informatique Internet a également servi les moyens américains avec la création du site Zaire Watch, basé près de Langley (Virginie) (qui abrite aussi le quartier general de la CIA) financé par la compagnie minière canadienne BANRO (qui depuis a récupéré une concession sur une des mines d’or les plus prometteuse : projet SAKIMA) et piloté par M. Marek, ancien officier de l’US Air Force.
V-Conclusion et enseignements
La désinformation a pris une place essentielle dans la crise politique et militaire intervenue au Zaïre entre août 1996 et mai 1997. Ce rôle majeur est simplement lié à l’importance que lui ont accordé les troupes de l’AFDL tout au long du conflit. Préparée bien avant le début de l’offensive, l’action psychologique s’est déroulée de manière réellement professionnelle jusqu’à l’effondrement du régime mobutiste. Maître de l’information sur le terrain, les rebelles l’ont savamment distillés aux médias qui n’ont pas été en mesure de contrer cette situation. L’erreur tactique des FAZ est de ne pas avoir pris en compte cet aspect de la guerre, incapables d’esquisser la moindre action de contre-propagande.
Le rôle essentiel qu’a joué la désinformation dans le conflit du Zaïre constitue un exemple avancé de guerre psychologique qui, à bien des égards, pourrait être reproduit sur d’autres théâtres de conflit africains. Les opérations militaires zaïroises se sont révélés riches en enseignements militaires, qu’ils soient à dimension tactique ou stratégique :
- les stratégies de guerre psychologique sont extrêmement bien adaptées au théâtre africain, où elles offrent un rapport coût – efficacité remarquable et tirent un profit maximal de la réceptivité du caractère africain à la manipulation et à l’irrationalité. Cette vulnérabilité africaine face à une information maîtrisée est aggravée par la faible capacité d’accès aux médias des populations, qui d’elles-mêmes amplifient les rumeurs.
- malgré des moyens matériels réduits, des unités militaires africaines formées sont totalement à même de conduire des opérations de guerre psychologique à grande échelle. Dans le cas ougando-rwandais, le fait que ses dirigeants aient été aguerris par de longues luttes de guérilla (M.Museveni a été officier de renseignement) n’est pas étranger aux résultats obtenus contre les forces armées zaïroises,
- le jeu informel des alliances militaires de circonstance s’affirme sur le continent africain. Au delà du cas zaïrois, citons l’entente Ouganda – Ethiopie – Erythrée contre le Soudan ou la coopération entre le général Sassou Nguesso et l’Angola au Congo – Brazzaville.
L’action psychologique menée par les hommes de Kabila s’est gagnée bien avant le déclenchement des hostilités. Elle doit donc être détectée le plus tôt possible afin être en mesure de lancer une politique de contre – emploi dès le commencement de la crise. De plus :
- par sa capacité à maîtriser l’information, l’AFDL et ses partenaires régionaux et internationaux ont concrétisé sur le terrain une victoire qu’ils avaient déjà remportés sur le théâtre des médias et de la désinformation. Dans un cadre préventif, il apparaît donc vital de détecter au plus vite les stratégies de déstabilisation médiatique, sous peine de voir s’effondrer prématurément la légitimité politique de notre intervention militaire.
- à court terme, toute opération, en particulier à vocation militaro – humanitaire, de nos forces en Afrique, qu’elle se fasse dans un cadre national ou multinational, doit obligatoirement inclure une maîtrise de l’information. Ceci est surtout indispensable dans la région des Grands lacs, où les populations civiles semblent toujours marquées par les accusations de notre partialité lors de l’opération Turquoise (Rwanda, 1994).