Source: Syfia Grands Lacs.
À Goma, la vue sur le beau lac Kivu et les promenades sur ses berges sont désormais réservées à ceux qui ont les moyens de payer pour contourner la loi interdisant de construire sur une bande de dix mètres à partir du rivage. Colère des militants des droits de l’homme et des juristes.
« Ces derniers temps, les bords du lac Kivu sont occupés par des hommes riches et lorsque par mégarde une chèvre y entre, elle est saisie par les propriétaires. Les touristes et les personnes qui veulent se détendre ne peuvent plus y accéder », regrette Salomona Kakese, un habitant de Goma, la capitale provinciale du Nord-Kivu, à l’est de la RD Congo. Passionné de nature, il venait auparavant y faire brouter ses chèvres, car la végétation y est florissante. Cet espace protégé au bord du lac profitait alors à tout le monde, mais aujourd’hui de spacieuses villas et des hôtels occupent le rivage et empêchent les habitants et visiteurs de la ville de s’y promener. Pourtant l’arrêté ministériel d’octobre 1993, toujours en vigueur, « interdit la violation des patrimoines publics, porte application de la réglementation sur les rives des cours d’eau allant jusqu’au moins 10 mètres à partir de la ligne formée par le niveau le plus élevé qu’atteignent les eaux dans leurs périodes de crue. »
Il suffit de payer
Les services de l’État compétents se rejettent la responsabilité de la violation de ce patrimoine public : « Pour les lotissements aux abords du lac, nous respectons les normes données par la loi, mais à notre insu, les acquéreurs élargissent les espaces jusqu’à atteindre l’eau du lac », précise Saliboko Kaowe, géomètre au service du cadastre. Pour Maître Ruffin, un juriste de la place, « les 10 mètres de rive sont un patrimoine de l’État ; personne ne peut y construire une maison et nul n’est au-dessus de la loi ! »
« En 2010, précise le chef de bureau du service de l’urbanisme et habitat, nos services avaient introduit auprès de la mairie une demande de démolition des constructions dont les propriétaires ont violé la zone protégée et aussi d’annulation des autorisations de bâtir sur ces lieux. Mais l’autorité avait proposé à la place une taxe compensatoire aux occupants de ces espaces. »
Quant aux propriétaires de ces parcelles, ils ne se reprochent rien et affirment qu’ils sont dans leur droit puisqu’ils payent régulièrement la taxe annuelle compensatoire qui va de 200 à 1 000 $ selon les catégories de concession. « Chaque année, je paie un montant de 500 $ pour ma propriété », justifie ainsi le propriétaire d’une villa construite sur les 10 m prétendument protégés. Les activistes des droits de l’homme ainsi que les juristes s’indignent de cette situation favorisée par la corruption. « Aucune taxe ne peut être instaurée en compensation de l’utilisation d’un patrimoine d’intérêt public à des fins individuelles. Cela permettra à tous ceux qui ont de l’argent de passer par cette pratique illégale pour violer la loi », indique un activiste des droits de l’homme.
Un impact négatif sur l’environnement
Ces constructions luxueuses présentent d’autres inconvénients pour les habitants de Goma. Elles freinent l’arrivée de l’air frais en provenance du lac qui fait respirer la ville, estime un expert des services de l’OVG (Observatoire volcanique de Goma). « La ville de Goma est située au pied des volcans Nyiragongo et Nyamulagira, encore actifs. L’air frais en provenance du lac qui contient de l’oxygène compense le gaz carbonique qu’ils dégagent », explique un des agents. Par ailleurs, explique Faustin Bushashire, écologiste, enseignant à l’Institut supérieur de tourisme, « la quantité de poissons a sensiblement baissé, car les constructions les empêchent de déposer leurs œufs au bord du lac et les petits ne peuvent plus s’y réfugier pour échapper aux gros poissons. »
La coulée de lave de la dernière éruption volcanique de 2002 avait élargi la plage, mais partout des maisons de différentes catégories y ont été construites. « Ces champs de lave devaient être conservés et gardés tout simplement comme sites touristiques car ils ne sont pas stables et peuvent ne pas résister à un séisme », conclut un agent de l’OVG.